2017 : une révolution pour le "vote utile" à gauche (Roger Martelli)

samedi 12 novembre 2016.
 

- Le social-libéralisme au cœur de la tempête
- Mélenchon, ou quand le vote utile change de cap
- Tenter franchement autre chose

Candidat "naturel" mais virtuel, mis en concurrence dans son propre camp, en disgrâce dans l’opinion, François Hollande n’a pas dit son dernier mot. Mais, petite révolution, c’est Jean-Luc Mélenchon qui est en position d’incarner le "vote utile" à gauche.

La sortie du livre de confidences attribuées à François Hollande a mis le feu au lac. Jean-Christophe Cambadélis s’en est ému. Le premier ministre en place, a-t-il suggéré, fait partie des "présidentiables du PS", « celui sûrement qui a le plus de possibilités » en cas d’absence du chef de l’État. Depuis, on ne cesse de gloser, sur l’affaiblissement de l’un, sur les ambitions nouvelles de l’autre et, au total, sur la sourde lutte qui oppose les deux têtes de l’exécutif. Hollande définitivement hors-jeu ? C’est encore à voir…

Le social-libéralisme au cœur de la tempête

Le fond de l’affaire a le mérite d’une certaine clarté. En janvier 2012, le candidat François Hollande s’inscrivait formellement dans la continuité d’une tradition socialiste que Lionel Jospin avait formalisée en 1997, en se démarquant de son homologue britannique Tony Blair : « Oui à l’économie de marché, non à la société de marché ». De façon moins académique, Hollande claironnait en 2012 le célèbre « Mon adversaire, c’est la finance ». Beaucoup, dès cette époque, ne manquaient pas de faire remarquer que le même candidat, si combatif dans son nouveau parti pris anti-finance, avait choisi comme directeur de sa communication – un directeur de campagne bis, disait-on alors – le plus "social-libéral" de ses camarades de parti, un certain Manuel Valls. Mais la confirmation définitive n’est venue que deux ans plus tard, avec l’installation de Valls à Matignon.

La rupture était nette et, cette fois, pleinement assumée. L’arrivée du chef de gouvernement au menton volontaire disait que le socialisme français cessait de tergiverser : le "libéral" définirait désormais les cadres stricts du "social", la compétitivité d’aujourd’hui ferait le social de demain… La gestion de la réorientation était confiée à Matignon ; mais le signal était envoyé par l’Élysée. Le problème est que ce tournant est survenu en France à un moment où le social-libéralisme est à la fois archi-dominant et… archi-contesté dans les rangs mêmes du socialisme européen. Son pays de naissance, le Royaume-Uni, ne s’est-il pas décidé à remplacer les héritiers "néo-travaillistes"de Blair par un réputé "archéo-travailliste", Jeremy Corbyn ?

Si la politique était le règne de la pure logique, la cause serait entendue depuis longtemps : détenteur d’un record absolu d’impopularité, le président Hollande serait bien inspiré de laisser à d’autres le soin de sortir le socialisme de son bourbier. Mais par qui remplacer celui dont la pratique de la Ve République a fait un "candidat naturel" ? Pas facile de sortir une carte incontestée, dans un parti où à peu près tout le monde, "gauche" et "droite" confondues, a longtemps validé l’orientation générale choisie à l’Élysée et à Matignon.

Ajoutons que nous sommes en France et pas au Royaume-Uni. Le régime n’y est pas parlementaire, mais monarcho-présidentialiste. Si, à Paris comme à Londres, les socialistes choisissent leurs candidats, ils le font moins à partir des orientations qu’ils souhaitent, qu’à partir de l’idée qu’ils se font d’un vote efficace contre la droite. Or, sur ce terrain, la carte Montebourg, par exemple, ne brille pas par la dynamique électorale qu’il semble susciter dans l’opinion.

Le mauvais candidat est-il celui qu’on croit ?

Théoriquement, l’inflexion vers le centre étant majoritairement vilipendée à gauche, une primaire socialiste devrait être a priori favorable à la gauche du parti, et donc à son bateleur par excellence, Arnaud Montebourg. Mais l’inflexion du socialisme de gouvernement vers le centre n’est pas un choix conjoncturel. En admettant que l’ancien ministre du Redressement productif gagne la primaire, il est difficilement envisageable que ne se déclare pas, à côté de lui, une candidature portant ouvertement les couleurs d’un choix social-libéral. Vers la fin de l’été, Emmanuel Macron est sorti du bois : il est le héraut de la "modernisation" et il n’est pas tenu par la discipline d’un parti auquel il n’appartient pas. Si Hollande jette l’éponge, si Valls n’est pas chaud pour aller au massacre, il est la carte idéale de la "nouvelle" gauche. Mélenchon d’un côté, Macron de l’autre : Montebourg est en passe d’être carbonisé, quand bien même il serait intronisé.

Par la magie des grandes manœuvres, revoilà le loser de l’Élysée de retour dans le jeu. Il a certes tout piloté de la politique qui a jeté la France de gauche dans la rue. Mais Valls incarne une vision du socialisme que les socialistes ont balayée lors de la primaire de 2012 et, avec Macron, Hollande a trouvé plus à droite que lui. Il est donc repositionné… au centre, entre Montebourg et Macron. Au centre, et ainsi en position de rassembler un peu mieux que tous les autres, tout en entérinant les choix assumés depuis 2012. S’il n’y a vraiment pas d’alternative à une gestion du pouvoir sociale-libérale, autant que son initiateur et pilote en chef en défende la logique, contre vents et marées. Face à la perspective d’un retour prévisible de la droite, mieux vaut assumer la continuité logique d’un recentrage engagé voilà bien longtemps. Qui, mieux que son maître d’œuvre, pour la défendre ?

Restait à tester l’hypothèse d’une candidature du premier ministre. L’affaire des déclarations "off" du président permet de le faire. Devant l’émoi à gauche, Manuel Valls est contraint d’envisager une possible entrée en lice. Crédible ? Les sondages suggèrent qu’elle l’est pour une majorité relative de personnes interrogées, notamment dans la mouvance socialiste. Mais dans l’hypothèse d’une participation à la primaire socialiste, Montebourg le menace. Ajoutons qu’un chef de gouvernement sortant n’a pas la cote dans une présidentielle : aucun premier ministre en exercice ne l’a emporté à l’élection clé du système politique.

Résultat, pour une majorité d’interrogés, c’est Macron qui aurait davantage de chances de talonner la droite et l’extrême droite. Or même Macron est bien loin de l’emporter au bout du compte. Dès lors, tout se passe comme si le grand maelstrom tactique de l’automne n’avait qu’un point d’arrivée possible : la candidature du président le plus mal aimé de toute la Ve République.

Mélenchon, ou quand le vote utile change de cap

Macron, Montebourg, Valls… En réalité, le problème est ailleurs. Il est bien sûr dans l’échec total du couple Élysée-Matignon. Il est surtout dans le fait qu’une autre hypothèse s’est installée, celle de Jean-Luc Mélenchon. Pour l’instant, il continue de surfer sur la vague favorable qui, dans les sondages, le situe dans une fourchette qui va de 12,5 % à 15 % des intentions de vote déclarées. Un sondage n’est pas un vote réel ? Nous sommes loin du scrutin ? Sans doute, mais la déclaration de proximité est cette fois confortée par un effet d’image : quand on demande aux sondés quelle est la personnalité qui incarne le mieux la gauche, la plupart du temps la réponse Mélenchon vient en premier. Depuis que le Parti socialiste est passé devant le PCF en 1978, c’est la première fois qu’un candidat de la gauche de gauche est en position de surpasser un candidat socialiste.

Il est vrai que la logique de l’élection présidentielle a habitué les électeurs à des choix d’utilité présumée. Or les appels rituels au rassemblement de toute la gauche, surtout quand ils sont au profit d’un socialiste, ont fait surtout la preuve, au mieux de leur inutilité, au pire de leur nuisance. Quand bien même un sursaut de l’électorat met les socialistes en position de gouverner, comme en 1997, cela se traduit par une poussée de la droite et, plus encore, par un élan de la droite la plus extrême.

Pour la première fois depuis longtemps, on annonce, sans que l’option contraire convainque, que la gestion socialiste a trop épuisé la gauche pour qu’elle puisse gagner. C’est si vrai que, comble du comble, une partie de la gauche envisage d’aller voter à la primaire des Républicains ! On croit si peu au moindre mal à gauche, que l’on s’apprête à peser pour un moindre mal à droite…

Mais c’est donc aussi la première fois que la notion jusqu’alors mortifère du "vote utile" peut se retourner contre ses utilisateurs patentés. Et si le vote utile à gauche était cette fois un vote qui permet de remettre les pendules à l’heure ? Et si remettre les pendules à l’heure revenait à stopper radicalement une logique de renoncement à gauche engagée depuis plus de trente ans ? Or aucun socialiste en place ne peut incarner ce renoncement. Mélenchon a plus d’arguments pour le faire.

Tenter franchement autre chose

Qu’il ne soit pas nécessairement le point de convergence de toute la gauche de gauche est possible. Mais qui peut l’être ? Qu’il accompagne son projet d’un discours de légitimation – le "populisme de gauche" – plus emprunté à l’exemple latino-américain ou à Podemos qu’à la tradition française est une autre chose. Mais les électeurs votent-ils pour une doctrine ou pour une stratégie ? Votaient-ils communiste naguère pour la "dictature du prolétariat" ? Et pour Mitterrand parce qu’il avait juré jadis qu’un socialiste ne pouvait pas être autre chose qu’un anticapitaliste ?

En revanche, Mélenchon a pour lui de mener une critique de la gauche gouvernementale cohérente depuis de nombreuses années. Il a longtemps tenté la carte du socialisme officiel et il en est revenu, et pas seulement depuis hier. Depuis bien des années, il a été des grands combats menés contre les effets de l’ultralibéralisme et contre sa logique la profonde, concurrentielle et technocratique. Il s’est identifié à l’expérience porteuse du Front de gauche, dont il a brillamment porté les couleurs en 2012.

On peut alors penser ce que l’on veut du style politique du candidat. On peut ou non apprécier ses références, à Mitterrand, au populisme de gauche, à la logique du "eux" et "nous". On peut se reconnaître ou non dans les projets politiques de restructuration de la gauche qu’il énonce parfois. Pour une grande part de l’opinion, il est le plus à gauche, le plus représentatif de la gauche, mieux à gauche que tous les tenants de la gauche des gouvernants.

Hollande a pour lui sa cohérence, et contre lui sa politique. Valls et Macron ont pour eux l’image respectable du pouvoir, mais sont contestés, sur leur gauche comme sur leur droite. Mélenchon a pour lui l’élan d’une histoire récente. Il a le parfum sulfureux de ce que les travaillistes britanniques ont réalisé avec Corbyn et que les démocrates américains ont été à deux doigts d’obtenir avec Sanders : sanctionner rudement le pseudo-réalisme des accommodements au centre…

Roger Martelli. Publié sur le site de Regards.


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