“La Sociale”, le film sur la Sécu qui tombe mal pour François Fillon

mercredi 21 décembre 2016.
 

Au moment où François Fillon s’attaque à la Sécurité Sociale, un documentaire de Gilles Perret retrace son histoire injustement oubliée et donne des raisons de se battre pour la défendre. Toujours en salle, il connaît un succès inattendu.

“La dernière fois qu’un documentaire politique a eu autant de succès, c’était Merci Patron !“. Ce 15 décembre, Jean Bigot, producteur du film La Sociale, de Gilles Perret, ne cache pas sa satisfaction. Devant le public conquis d’une salle de cinéma du XXe arrondissement, où Olivier Besancenot était invité à débattre à la fin de la projection, il admet que le pari n’était pourtant pas gagné : “Quand on parlait autour de nous d’un projet de film sur la Sécu, on nous regardait avec de grands yeux, parfois même avec compassion”, relate-t-il. Et pourtant, La Sociale est en train de connaître un succès aussi mérité qu’inattendu.

Porté par le bouche à oreille et la pub de Jean-Luc Mélenchon

En cinq semaines d’exploitations, déjà 60 000 spectateurs l’ont vu. Porté par un bouche à oreilles efficace et continu (Jean-Luc Mélenchon a même incidemment diffusé l’affiche du film sur sa chaîne YouTube), le nombre d’entrées augmente même chaque semaine : la 5e semaine a été la meilleure, avec près de 12 000 entrées. Gilles Perret, déjà réalisateur de Walter, retour en résistance, De mémoires d’ouvriers ou encore Les jours Heureux (sorti en 2014), se félicite de ces chiffres exceptionnels : “En cinq semaines d’exploitation, il a déjà été vu deux fois plus que Nos Jours heureux“. Ce phénomène viral n’est pas sans rappeler celui qui a fait de Merci Patron !, de François Ruffin, un véritable blockbuster politique :

“Même s’il n’y pas le côté satirique de Merci patron ! dans La Sociale, ils ont en commun d’être positifs et d’avoir une dimension humaine, humaniste : c’est ce qui fait que les gens sortent de la salle dans un état d’esprit combatif”, analyse Gilles Perret.

Rebsamen ne se souvient pas d’Ambroise Croizat

En cela, La Sociale est un coup de maître, puisqu’il parvient à redonner sa dimension politique à la Sécurité sociale sans tomber ni dans le dogmatisme, ni dans la déploration. Construit sur une juxtaposition d’images d’archive et d’interviews avec des spécialistes du sujet – l’historien Michel Etievent, le sociologue Frédéric Pierru, l’économiste Bernard Friot ou encore le médecin Anne Gervais –, il met en lumière une page parfois oubliée ou volontairement réécrite de l’histoire du mouvement ouvrier.

Ainsi le ministre du Travail François Rebsamen se révèle-t-il incapable de citer l’un des créateurs emblématiques de la Sécu : Ambroise Croizat, ministre du Travail communiste de 1945 à 1947. La mémoire officielle lui préfère le haut-fonctionnaire gaulliste Pierre Laroque, qui eut également un rôle important dans l’édification de ce système de santé solidaire. A travers le personnage central de Jolfred Frégonara, militant CGT de 96 ans, qui était chargé de la mise en place des caisses de sécurité sociale en Haute-Savoie en 1946, Gilles Perret montre surtout la dimension collective et titanesque de cette “démocratie sociale” en germe.

“Fillon nous a permis d’entrer dans le champ politique”

Depuis les années 1990 pourtant, la Sécu ne fait plus la Une des JT que pour être ramenée à son “déficit”. “La dimension politique de la Sécu est oubliée. On débat de sa place dans l’économie, pas dans la société”, dit Frédéric Pierru dans le film. Tout le mérite de La Sociale est d’aller à contre-courant de cette tendance.

Le candidat de droite à la présidentielle, François Fillon, aurait-il involontairement fait la publicité de ce film militant en déclarant vouloir désétatiser la Sécu ? “Oui, c’est sûr, sourit Gilles Perret. Suite à ses attaques contre la Sécu, j’ai été sollicité par la presse, et les gens qui s’interrogeaient sur ce sujet ont été attirés par le film. Cela a contribué à l’élargissement du public, et nous a permis d’entrer dans le champ politique”.

Bon timing

Le réalisateur haut-savoyard a d’ailleurs publié une tribune dans Le Monde en réaction au programme de François Fillon, et lui a envoyé le DVD du film. Pour l’instant, le candidat n’a pas répondu.

“Je ne pense pas qu’il le fasse, avance Gilles Perret, car il est mal à l’aise sur cette question, d’où son rétropédalage récent. Même dans son électorat, il est difficile d’assumer de vouloir confier la médecine de ville (soit 50 % du budget de la branche santé) aux complémentaires santé, c’est-à-dire un système plus inégalitaire et moins efficient que la Sécu”.

A coup sûr, La Sociale fait donc grincer des dents du côté des Républicains. A la fois documentaire réussi et outil politique, il ne pouvait pas mieux tomber.


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