LE PIEGE DE MICHEL ROCARD (2ème partie)

dimanche 15 avril 2007.
 

Si Ségolène Royal lui répond « oui, faisons cette alliance puisque nous n’avons pas de majorité autrement », comme le lui propose Michel Rocard, alors le premier tour de l’élection est perdu. Des dizaines de milliers de socialistes, dont moi, sortiront des rangs et retourneront leurs fusils électoraux contre leur propres généraux comme dit la chanson d’avant. La troupe est si mal traitée que ce n’est sûrement pas les douceurs du campement qui la retiennent, croyez moi ! Ce n’est sans doute pas le plus grave, j’en conviens. Ceux qui suivraient les avis de Rocard commettraient aussi une faute tactique terrible. Car aussitôt le vote utile « anti-Sarkozy », argument numéro un (et suivant..) de la campagne, refrain péremptoire appliqué à tous les états d’âme, glisserait directement du bulletin de vote socialiste vers celui de Bayrou. Il est facile de comprendre pourquoi. Comptons bien sur les sondages pour le confirmer en boucle selon une technique de manipulation désormais bien rodée. Elle avait d’ailleurs commencé à porter ses fruits avant que par enchantement les médias cessent de faire sonder les deuxième tours avec François Bayrou (ouf, on a eu chaud !).

A l’inverse, si Ségolène Royal dit « non pas question », comme l’a fait séance tenante François Hollande, on voit aussi la difficulté. Car au deuxième tour il faudra alors se livrer à une danse du ventre encore plus active et suggestive devant ceux à qui on aura claqué la porte au nez peu de temps auparavant. L’exercice pourrait être vain non seulement parce qu’il ne convaincrait pas ceux à qui il serait destiné mais aussi parce que cela pourrait être révulsif pour nombre d’électeurs de gauche. Et si Ségolène Royal dit que nous ne demanderons rien à personne car nous ferons une majorité avec tous les électeurs qui le voudront ? Alors il faudra aussi admettre que quand Bayrou dit la même chose, comme il le fait depuis plusieurs semaines, il sera désormais impossible de lui rire au nez...Par quelque bout que l’on prenne la question ainsi mise sur la place publique par Michel Rocard, il n’y a que des inconvénients.

TEL EST PRIS...

Je pense que Rocard le savait avant de s’y engager. Ca doit l’amuser de prouver son pouvoir de perturbation aux petits malins qui avaient oublié de l’afficher dans la liste des 13 (!!!) précieux publiée cette fameuse semaine où les éléphants étaient revenus en grâce... Et, plus sérieusement, il fait avancer son projet comme jamais puisque le terrain est propice. Quand quelqu’un a demandé au sénateur Mercier, trésorier de l’UDF, s’il lui faudrait beaucoup de temps pour faire une nouvelle majorité dans le cas ou François Bayrou l’emporterait, j’étais assis à côté de lui au Bureau du Sénat où nous siégeons lui et moi. « Environ un quart d’heure » a-t-il répondu avec le sourire. Je pense qu’il exagère. Il faudra une grosse demie heure. Le raisonnement est en effet en vigueur dans toutes l’Europe ou sociaux démocrate, écolos et chrétien démocrates gouvernent ensemble chaque fois que c’est possible. Sans oublier l’Italie ou Romano Prodi, le partenaire affiché de François Bayrou, rassemble sous sa houlette ce petit monde et se propose de les unifier dans un même parti qu’il compte nommer.... « Parti Démocrate ».

UNE REALITE A TROIS DIMENSIONS

Je ne pense pas diaboliser cette formule. Je la combats. Pour une raison de cohérence : le programme et la coalition qui le porte ne peuvent pas se dissocier. Dans ce genre de coalition on ne peut pas aller plus loin que ne le supporte la partie la plus conservatrice. On ne peut donc vouloir appliquer un programme de gauche dans une coalition avec le centre. Pardon de ce rappel à un classique connu de tous : le programme, la coalition et la forme du Parti sont les trois rameaux d’une même réalité. On ne peut toucher à l’un sans affecter l’autre. Michel Rocard est donc convaincu que les trois repères ont assez évolué pour être compatibles. Qu’il le veuille ou non c’est ce qu’il donne à entendre quand il s’exprime de cette façon. La candidate socialiste reçoit alors deux mauvais coups. Le premier parce que la candidature de Bayrou et sa démarche sont validés par un socialiste. Le second parce que le programme de la candidate est proclamé de la sorte « compatible » avec celui de Bayrou. On ne doit pas sous estimer les dégâts subliminaux de ce genre de déclarations, même démenties par François Hollande. De toutes façons, personne ne croit qu’il a assez d’influence sur la candidate pour la faire agir autrement qu’à sa tête. Je pense qu’elle doit marquer sa distance avec le propos de Michel Rocard en abordant sa réponse à partir du contenu de son programme. En toutes hypothèse nous serons aidé par la droite et je prends les paris que la presse ne donnera pas beaucoup de suite à cette sortie rocardienne car Sarkozy ne rêve pas de voir Bayrou s’installer en face de lui...

MALGRE LES SIENS

En ce qui me concerne, je me sens validé dans mes démarches récentes de bien des façons. Ceux qui au PS ont brocardé mon engagement en faveur d’une candidature unique de l’autre gauche se gardaient bien de répondre au problème que je soulevais, avec mes amis, de cette façon. Le voici directement servis sur les genoux des méprisants d’hier : avec qui comptez vous faire une majorité ? Rocard y répond. Et les autres ? Comment comptez vous dynamiser la gauche en direction des désemparés et des désorientés qui vont faire la décision cette fois ci ? Enfermés dans leur vision patrimoniale de l’électorat, les habile ont appliqué leur énergie d’influence pour pousser l’autre gauche dans ses mauvais penchants à la division et les écologistes dans leur nombrilisme. Tout a été conçu pour que la candidature socialiste puisse bénéficier avant toute chose de l’argument du vote utile anti Sarkozy en face d’une poussière de concurrents. Possible que ça finisse par marcher. Electoralement. Au niveau de la conviction acquise et de l’adhésion construite c’est une autre affaire...

Je pense aussi que cet épisode tranche le débat sur l’utilité ou non de faire campagne contre François Bayrou. Je suis heureux du travail accompli avec le groupe des socialistes au Sénat qui a accepté de se mobiliser pour produire les argumentaires de cette campagne. J’ai bien noté partout où je suis passé que les arguments et les citations ainsi produits ont marqué, fait avancer les débats et les esprits mieux que les diabolisations simplettes qui ont signalé l’affolement de ceux qui n’avaient rien préparé de sérieux. J’observe que le tract de PRS qui compare les trois programmes de droite est bien accueilli et beaucoup diffusé. Etre en campagne ce n’est que cela : se rendre utile à la cause que l’on soutient. Parfois malgré les siens.


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