Présidentielle : Les classes populaires seront-elles privées de scrutin  ?

dimanche 1er janvier 2017.
 

Près de 7,2 millions de Français sont mal inscrits sur les listes électorales, et 3,5 millions non enregistrés. Ces dysfonctionnements, qui aggravent l’abstention, sont liés à la procédure d’inscription complètement dépassée, qui exclut de vote de nombreux jeunes et des habitants de quartiers populaires.

Célia, la vendeuse de bijoux, fera-t-elle la démarche de s’inscrire avant la date butoir du 31 décembre  ? « Je travaille de 9 heures à 20 heures, voire, certains jours, 21 heures. Avec une heure trente de transport pour rentrer chez moi. J’ai un enfant à charge. Je n’ai pas le temps de m’intéresser à ça », dit-elle d’abord. Puis, au bout de quelques minutes, la jeune femme de 22 ans fait part de véritables doléances politiques, exprimées sans ambages  : « Baisser le taux de chômage est une priorité, comme la réduction de la précarité ou trouver des solutions pour les sans-abri et les immigrés. » Peut-être retournera-t-elle chez ses parents pour la présidentielle. Peut-être pas. Cela dépendra. Des aléas de la vie, d’un coup de fil de sa famille, de l’état de son compte en banque…

Certains parlementaires ont pris la mesure de ce scandale démocratique

L’inscription automatique de toute personne fêtant ses 18 ans, instaurée à la fin des années 1990, a stoppé la hausse du nombre de non-inscrits, environ 7 % du corps électoral aujourd’hui. Mais de nombreux jeunes, comme Célia, ne se réinscrivent pas après avoir quitté le foyer familial. « Si le nombre de non-inscrits est resté stable, celui de mal-inscrits n’a cessé d’augmenter depuis cette époque », explique Céline Braconnier. Certains quartiers populaires, comme la cité des Cosmonautes, à Saint-Denis, concentrent des populations mal-inscrites mais aussi des personnes touchées par la non-inscription, qui frappe d’abord les milieux populaires, les moins diplômés… et les Français naturalisés. Un tiers des personnes ayant acquis la nationalité française n’apparaît pas sur les listes. Dans ce quartier, la chercheuse a déjà recensé 24 % d’habitants non inscrits, 20 % de mal-inscrits et 28 % de mal-inscrits qui n’y résidaient plus.

Certains parlementaires ont pris la mesure de ce scandale démocratique et ont promu une loi cet été pour réduire le phénomène… qui n’aura d’effet qu’en 2019 (lire ci-contre). Une campagne officielle a bien été lancée, 70 000 affichettes et près d’un million de dépliants publiés et diffusés par le service d’information du gouvernement. Mais elles ont surtout été envoyées aux administrations et préfectures. Aucune publicité à la radio, ni à la télévision. « C’est nous qui devons faire le boulot », déplore Nicole Borvo, qui bat le rappel dans les quartiers, avec les communistes du 13e arrondissement. Car, « si l’abstention fait entendre la colère, après, rien ne bouge  : une fois passées les lamentations habituelles sur la forte abstention, tout continue comme avant », interpelle leur tract. Ce souci de politiser les enjeux est partagé par les militants de la France insoumise. « Pierre Gattaz, le président du Medef, ira voter pour obtenir de nouveaux cadeaux pour les actionnaires contre les salariés. Et vous  ? », interrogent-ils, dans un matériel diffusé à un million d’exemplaires. « Lorsque François Hollande mène une politique libérale qu’il n’a jamais annoncée, quand le gouvernement a recours au 49-3, ou que le vote populaire de 2005 sur le référendum est méprisé, cela n’aide pas à montrer l’utilité du vote », nuance toutefois Pierrette Chenot, venue prêter main-forte aux militants PCF dans les allées du marché Blanqui.

Malgré la désillusion, beaucoup souhaitent s’exprimer par le vote

À Roubaix (Nord), qui a battu des records d’abstention ces trente dernières années, des milliers de cartes postales ont été diffusées par l’association Nouveau Regard sur la jeunesse. En comparant les chiffres de la participation et de l’abstention, elle rappelle que les abstentionnistes représentent la majorité, donc un réel pouvoir potentiel, rapporte Julien Talpin, chercheur à l’université Lille-II et spécialiste de la participation politique des classes populaires. « La mobilisation des associations de quartier semble toutefois moins spectaculaire qu’en 2006 et en 2011, estime-t-il. Il est plus facile de mobiliser les abstentionnistes dans les quartiers populaires quand la droite est au pouvoir que quand on sort d’un quinquennat socialiste qui laisse un goût très amer dans la bouche des classes populaires. »

Il n’y a pas de désintérêt pour la chose publique, plaident militants et chercheurs. « Les gens étaient contents de nous voir, il arrivait même qu’ils nous remercient de les avoir écoutés », raconte Mathilde Panot, coordinatrice des groupes d’appuis de la Caravane insoumise, qui a mené campagne contre l’abstention « dans 200 quartiers populaires ». C’est que, même quand il y a de la désillusion, beaucoup de gens continuent de s’exprimer par le vote. Et si l’offre politique joue évidemment un rôle sur la participation, « ce sont d’abord les obstacles procéduraux de l’inscription qui excluent une grande partie d’entre eux du scrutin », estime Céline Braconnier, auteure d’une enquête auprès de bénéficiaires de la Banque alimentaire lors de la campagne de 2012. « Ils s’intéressaient à la campagne et s’informaient par les journaux gratuits, la télévision, les réseaux sociaux, exprimant clairement leurs préférences. » Environ 10 % de la population sont en rupture totale avec la politique, ou dans une situation de précarité telle que celle-ci ne présente plus le moindre intérêt, estime la chercheuse. Mais la grande majorité des classes populaires, les plus affectées par les décisions politiques, « place toujours de l’espoir dans les élections ». D’autant que la campagne présidentielle a un réel effet de mobilisation populaire, « mais seulement un à deux mois avant le jour de l’élection ». Il ne reste que quelques jours pour changer la donne.

Comment s’inscrire sur les listes électorales  ?

Pour voter aux élections de 2017, il faut être inscrit sur les listes électorales au plus tard le 31 décembre 2016. Si ce n’est pas votre cas, il est donc encore temps d’y remédier. Vous avez trois possibilités. La plus classique  : vous vous rendez dans votre mairie. Moins sportif  : vous adressez un courrier, mais attention, le cachet de la poste fait foi. Ou plus technologique  : sur internet via www.service-public.fr (si votre mairie est raccordée à ce service). Dans tous les cas, vous devrez fournir une copie recto-verso de votre pièce d’identité, un justificatif de domicile de moins de trois mois et le formulaire d’inscription dûment rempli. Si vous venez d’avoir 18 ans, votre inscription est normalement automatique mais, si vous n’avez pas reçu de courrier vous le confirmant, pensez à vérifier auprès de votre mairie.

Pierre Duquesne et Lola Ruscio, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message