La machine à broyer de l’intérim

samedi 7 janvier 2017.
 

L’union syndicale de l’intérim (USI) CGT a lancé sa campagne coup de poing « Urgents  ! Intérimaires en danger » pour sensibiliser aux périls qui guettent ces travailleurs. Les photos marquantes d’un enterrement ou d’une usine polluante se combinent au poids des slogans inspirés de films noirs « Ascenseur pour l’échafaud » ou encore « 64 morts sur ordonnance  ».

Il faut dire que l’hécatombe sociale ravage le secteur. Pour l’année 2014, le nombre de décès est effectivement de 64 et les accidents du travail se sont élevés à 39 869. De 2012 à 2014, 201 salariés sont morts au travail dans la branche et 122 832 ont été blessés. Comme le rappelle Philippe Tixier, secrétaire général de l’USI CGT  : « Les deux millions d’intérimaires ont deux fois plus de risques de subir un accident du travail  ! Être intérimaire est un risque en soi et une pénibilité de tous les instants. » Les statistiques ne sont pas encore connues pour 2015 mais promettent d’être aussi sombres. «  Les intérimaires sont ignorés des maladies professionnelles  »

Et ces données ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. André Fadda, en charge de la communication à l’USI, rappelle « qu’une partie des accidents est maquillée et que les intérimaires sont totalement ignorés des maladies professionnelles ». Le secteur du travail temporaire catalyse conditions de travail dégradées et absences de droits pour ces précaires. Au sein de la boîte d’intérim Start People, les élus au CHSCT ne savent plus où donner de la tête. « Il y a un accident mortel ou grave tous les dix jours, déplore Frédéric Willemain, élu au CHSCT. On part tout le temps enquêter aux quatre coins de la France. La semaine dernière nous étions sur un chantier, à Grenoble, où un ouvrier a fait une chute de dix mètres. À Nantes, plus récemment, un intérimaire s’est fait couper trois doigts. »

Dans d’autres sociétés, comme Adecco, le leader du marché n’a pas, selon la CGT, d’instance CHSCT constituée depuis des années. Dans de nombreuses entreprises, les risques d’accidents du travail sont carrément reportés sur les intérimaires. Alain Wagmann, de l’USI, constate que « si des machines anciennes provoquent des troubles musculo-squelettiques (TMS), pour éviter de voir ses cotisations AT/MP flamber à cause du nombre d’accidents du travail de salariés, l’employeur va remplacer ces derniers par des travailleurs temporaires plutôt que d’investir dans du matériel. Dans le secteur du caoutchouc, on a obtenu que les salariés ne puissent pas travailler au-delà de 40 ans sur certaines machines. Mais, à la place, les dirigeants font tourner les jeunes intérimaires ».

Même scénario chez Renault Cléon, grand pourvoyeur d’intérimaires. Sur les 3 200 employés, 1 700 sont des travailleurs temporaires. « Leur présence n’a rien à voir avec un surcroît temporaire d’activité ou des absences, précise un délégué CGT de l’enseigne au losange. Il s’agit bien d’un usage abusif d’emplois précaires. Dès qu’un intérimaire a un accident du travail, il ne remet plus un pied dans l’entreprise. Beaucoup d’entre eux finissent en miettes. » Les négociations sont au point mort depuis 2010

Les TMS sont aussi très mal reconnus chez les forçats du travail temporaire, avec seulement 741 déclarations en 2014. Les chiffres en matière de maladie professionnelle sont, eux, inexistants. Comme le souligne la CGT, il n’existe aucun système de traçabilité de carrière et d’exposition aux risques dans le travail temporaire pour permettre de relier la maladie à l’activité professionnelle ou au lieu de travail, notamment avec l’amiante. Malgré cette situation dramatique, le dernier accord de branche sur la santé et sécurité au travail date de... 2002. Les négociations en cours sont au point mort depuis 2010. En maintenant la pression, la CGT espère maintenant aboutir d’ici la fin de l’année et obtenir des garanties pour les intérimaires en matière de prévention, de formation, d’organisation d’une médecine du travail dans les entreprises, de possibilités de reclassement des intérimaires et de traçabilité d’exposition aux risques. Entre-temps, les visuels chocs et slogans forts de la campagne seront affichés dans les agences d’intérim et distribués aux premiers concernés. Pour sortir d’une réalité plus noire que la fiction. uN renforcement des CHSCT pour plus de reconnaissance

Pour la CGT de l’intérim, la reconnaissance des droits des intérimaires passe aussi par un renforcement du CHSCT. Comme l’explique Alain Wagmann, de l’USI-CGT, « il faudrait que les CHSCT puissent mettre un droit de veto sur la relation commerciale pour arrêter d’envoyer des intérimaires au casse-pipe, en inscrivant notamment les entreprises dangereuses sur une liste noire ». De son côté, Marie Le Memez, élue au CHSCT chez Crit Intérim, déplore « que les accidents des intérimaires ne soient pas évoqués en CHSCT. S’il y a un accident mortel de temps en temps, on reçoit un mail… ». Cécile Rousseau journaliste


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