Suite au Brexit : l’Ecosse et l’Irlande font monter la pression

lundi 23 janvier 2017.
 

Deux des quatre nations constitutives du Royaume-Uni refusent de quitter l’Union européenne et dénoncent l’absence de stratégie de la première ministre britannique Theresa May dans les négociations officielles qui vont débuter en mars. Explications avec Martina Anderson, députée européenne et membre du Sinn Féin.

Entretien avec Martina Anderson, eurodéputée irlandaise

Le « Brexit is Brexit » en quoi Theresa May avait trouvé malin de résumer sa fine stratégie dans les négociations du Brexit pour lesquelles elle venait d’être nommée premier ministre, serait-il en train de faire pschitt ? Si l’on observe les réactions agacées de certains dirigeants politiques britanniques, et maintenant de presque toute la presse britannique, la tautologie semble en tous cas tourner à la blague vaseuse, le lourd silence de l’occupante du 10 Downing Street ne faisant que renforcer le doute quand à sa capacité à gérer ce tournant décisif dans l’histoire du Royaume-Uni. C’est une chose de faire tourner un pays qui marche à peu près tout seul, ç’en est une autre d’inventer sur le pouce le nouveau destin d’une nation qui vient de choisir de se séparer de son continent. Pour faire quoi ? « S’ouvrir sur le monde », a daigné avancer May, comme si tout le monde ne voulait pas faire la même chose. La première ministre devrait en dire un peu plus la semaine prochaine mais il est déjà tard. Ivan Rogers, l’ambassadeur britannique auprès de l’Union européenne a déjà rendu son tablier à l’heure des bons vœux, au motif qu’il était impossible de travailler avec « un gouvernement confus » aux « arguments mal fondés et aux pensées embrouillées. » Un jugement sans nuances de la part d’un fidèle sherpa du Royaume-Uni auprès de l’Union européenne, dont il était l’un des meilleurs connaisseurs.

Mais au delà des défections personnelles, c’est à une toute autre contestation que Theresa va maintenant devoir faire face : celle provenant de deux des régions aux velléités autonomistes, l’Ecosse et l’Irlande du Nord. Pas question en effet pour la brillante « first minister » écossaise, Nicola Sturgeon, de laisser sa région quitter l’Europe, surtout après que les électeurs écossais aient massivement voté pour le maintien dans l’Union. Quant au vice-premier ministre d’Irlande du Nord, Martin McGuiness, l’ancien chef de l’IRA, qui fut le chef des négociateurs du Sinn Féin pendant les négociations de paix, il vient de coller sa démission pour les raisons sur lesquelles s’explique la députée européenne Martina Anderson (Gauche unitaire européenne/ GVN), membre elle aussi du Sinn Féin.

Depuis le vote qui a eu lieu il y a six mois, comment a évolué le débat sur le Brexit en Irlande ?

Martina Anderson. « La majorité des habitants de l’Irlande du Nord a voté contre le Brexit. Nous acceptons qu’une majorité d’électeurs en Grande-Bretagne aient voté pour quitter l’Union Européenne, mais nous n’acceptons pas que l’Irlande du Nord soit arraché à l’Europe contre sa volonté. Le gouvernement britannique poursuit son chemin vers le Brexit sans tenir compte des intérêts du peuple d’Irlande du Nord. Le débat en Irlande commence à se concentrer sur la façon dont les intérêts de l’Irlande - du Nord comme du Sud - peuvent être protégés. À cet égard, au sein du Sinn Féin, nous recherchons un statut spécial de l’Irlande du Nord à l’intérieur de l’Union européenne.

On a du mal à comprendre ce que veut Teresa May. Quelle va être selon vous sa stratégie dans les négociations du Brexit ?

Martina Anderson. Il est de plus en plus évident que le gouvernement britannique n’a pas de stratégie ou de plan en ce qui concerne les négociations du Brexit.

Le contrôle de l’immigration en provenance des autres pays européens semble cependant être une des priorités de Teresa May qui veut en même temps continuer à avoir accès au marché européen. Est-ce que ce sera un point central selon vous dans la négociation ?

Martina Anderson. Sans doute le gouvernement britannique fera-t-il de l’immigration une question importante dans la négociation. Mais au lieu de cela, il devrait saisir l’occasion pour soulever les problèmes réels avec l’Union européenne. Par exemple comment l’UE promeut des politiques qui permettent aux entreprises de réduire les salaires et les conditions de travail pour les travailleurs britanniques et ceux des autres États membres.

Comment sentez-vous l’attitude de l’Europe dans ces négociations du Brexit ? Quels vont être ses objectifs selon vous ?

Martina Anderson. De toute évidence, il n’existe pas une approche unique du Brexit à travers l’Union européenne, à part le fait que tout le monde ressent une frustration en raison du manque de clarté du gouvernement britannique. Nous craignons que les institutions européennes négocient avec le gouvernement à Londres sans tenir compte de la situation de l’Irlande (ou, en l’occurrence également, de l’Écosse). Il est important pour l’UE de ne pas prendre de positions qui finiraient par renforcer la division entre le Nord et le Sud de l’Irlande. Si le résultat de la négociation devait pousser l’Irlande du Nord à quitter l’UE, cela rendrait plus compliqué tout processus futur vers l’unité irlandaise si un référendum, tel qu’il est prévu dans l’Accord du Vendredi Saint ( l’accord du 10 avril 1998 par lequel les partis d’Irlande du Nord acceptaient une solution politique pour mettre fin à 30 ans d’évènements sanglants, ndlr), devait aboutir. Au lieu de cela, l’Union européenne devrait se concentrer sur l’avenir et essayer de faciliter la réunification de l’Irlande à l’intérieur de l’Europe.

Pourquoi Martin Mac Guiness, le vice-premier ministre d’Irlande du Nord, a-t-il démissionné ?

Martina Anderson. Ces dernières années, le Parti Unioniste Démocrate ( DUP, le parti d’Irlande du Nord qui défend les intérêts de la communauté protestante, ndlr ) et le gouvernement britannique ont sapé les institutions de partage du pouvoir et érodé la confiance du public en refusant d’honorer les accords, en refusant de résoudre les problèmes du passé, tout en imposant l’austérité et le Brexit contre les souhaits et les intérêts du peuple en Irlande du Nord. Le DUP a montré un manque honteux de respect envers de nombreux groupes de notre communauté. Entre autres, les femmes, les communautés LGBT et les minorités ethniques ont tous ressenti ce préjugé. Les principes de l’égalité, du respect mutuel dans l’ensemble de l’Irlande, inscrites dans l’Accord du Vendredi Saint, n’ont jamais été adoptées par le DUP. La réticence de la première ministre qui est membre du DUP, Arlene Foster, à se tenir à l’écart pour permettre une enquête visant à remédier à l’incompétence et à la fraude possible à l’égard de l’argent public a rendu inévitable la démission de Martin McGuinness.

Est-ce qu’aujourd’hui le Brexit met à l’ordre du jour la réunification de l’Irlande ?

Martina Anderson. Le Brexit ouvre une occasion unique d’envisager à nouveau un avenir au-delà de la partition, du sectarisme et de la division du pays en deux, d’aller vers une nouvelle Irlande unie. L’Accord du Vendredi Saint prévoit un changement constitutionnel pacifique et démocratique par le biais de référendums qui auraient lieu aussi bien au Nord qu’au Sud du pays. Assurer un référendum sur l’unité irlandaise, ce serait une occasion historique pour tout le peuple d’Irlande. Cela nous permettrait de voter pour le genre de gouvernement et de société que nous souhaitons avoir. Beaucoup d’Irlandais du Nord et du Sud qui jusqu’à maintenant ne voyaient aucun intérêt à réunifier l’Irlande, commencent à en voir la nécessité, et pensent même qu’il est inévitable de le faire. »

Jean-Jacques Régibier, L’Humanité


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