Le divan de Staline, réalisé par Fanny Ardant, sort en salles

mardi 17 janvier 2017.
 

Le Divan de Staline, le nouveau film de Fanny Ardant, est sorti en salles ce 11 janvier 2016. Rencontre avec une insaisissable étoile.

Staline intellectuel ? poète ? cinéaste ?

5 mars 1953 Joseph Staline mort. Qu’il reste dans sa tombe !

Avant tout, peut-être, Fanny Ardant est comédienne, par-delà encore, elle est une voix inexplicable, celle bien sûr des films de François Truffaut et en particulier de la Femme d’à côté, où, en quelques phrases, elle a inscrit à jamais l’inexorable défaillance des romanesques. Fanny Ardant est un clair-obscur aux allures du rêve familier de Verlaine. Depuis plusieurs années, elle dessine de nouvelles lumières dans ce qui la constitue à nos regards, le cinéma. Elle filme des histoires et au fil de ces « récits cinématographiques », elle s’exerce à mettre en jeu la difficulté pour les êtres à ne pas s’évaporer d’eux-mêmes, éclaire la douleur consciente de sombrer à plein corps dans le champ d’un autre que soi. On oserait dire que Fanny Ardant n’abandonne rien. Plus encore dans son dernier film où elle traite d’une des figures majeures du XXe siècle, Staline. Elle garde tout, même ses failles. On explore dans le même plan la perversion morbide et le reste de tendresse de celui qui, déjà, n’est plus que l’ombre paranoïaque d’un monstre. Le film met en scène Staline venu se reposer, Lidia sa maîtresse, un peintre et un divan. On entre au temps d’une villégiature d’acier, dangereuse et trouble. Fanny Ardant expose dans un paysage clos un cauchemar sans cri, une fin de partie, où des êtres s’égarent dans un jeu qu’ils ne comprennent plus. Elle instaure un climat plus proche du langage inconscient que d’une forme de réalité. On sent une vacance. Le peuple a perdu son absolu et les personnages frôlent le fantomatique. Il ne reste déjà plus rien que de tristes protagonistes trop déformés pour se souvenir de ce qu’ils furent.

C’est votre troisième film. Avant d’aborder le Divan de Staline, j’aimerais revenir sur le geste qui vous a conduit à devenir réalisatrice sans renoncer pour autant à être comédienne  ?

Fanny Ardant Je crois que j’ai toujours écrit des histoires. Quand je jouais au théâtre, souvent, je passais de longues après-midi à écrire. Pendant longtemps, j’ai imaginé des choses avec plus ou moins d’aboutissement. Et puis un jour, voilà, je suis arrivée au bout d’une histoire. Mon producteur, Paulo Branco, l’a produite. Et après, j’ai tenté de continuer mais comme vous l’avez dit, je suis essentiellement une actrice, j’aime jouer et je ne voulais ni renoncer à écrire des histoires et à les filmer, ni à jouer. Alors les deux se sont liés.

Pourquoi avoir choisi ce sujet précis, que fait-il résonner en vous  ?

Fanny Ardant Depuis toujours, c’est-à-dire dès ma jeunesse, je me suis passionnée pour l’histoire russe, et j’entends par là par sa littérature, sa poésie, sa musique. Elle m’a toujours accompagnée. Très tôt, j’ai lu des livres liés à l’époque stalinienne, mais aussi à l’aventure bolchevique. Dans le même temps, après mon deuxième film, je cherchais une histoire pour Gérard, Gérard Depardieu. Je souhaitais trouver un rôle à sa mesure. Un jour, je traînais dans une librairie, et je suis tombée sur le Divan de Staline, de Jean-Daniel Baltassat. Et là, j’ai trouvé à la fois un sujet qui me passionnait, et un rôle pour lui. Cette histoire se déroule sur trois jours dans une résidence où Staline vient se reposer. Un huis clos où le pouvoir joue un rôle.

Vous parlez de huis clos et en effet le film possède une structure théâtrale…

FANNY ARDANT Oui, je connais très bien les limites de ma production. Je devais m’adapter à cette contrainte. Le livre possède une unité de temps, de lieu et d’action, pour reprendre Aristophane, qui m’allait très bien. J’ai su que j’avais une latitude pour structurer une intensité dans un lieu unique. Puis j’ai choisi mes acteurs. Gérard, bien sûr, pour incarner Staline. Il m’a dit oui dans l’instant. Enfin, j’ai demandé à Emmanuelle Seigner, que j’apprécie beaucoup. Elle possède un mélange troublant de femme énigmatique, voire fatale, et d’enfance. Dans le regard, elle porte une vulnérabilité dont j’avais besoin.

Avez-vous travaillé avec l’auteur  ? Est-ce ensemble que vous avez décidé de donner plus de place au personnage féminin  ?

Fanny Ardant Jean-Daniel Baltassat m’a permis de faire le film, mais je l’ai écrit seule. Et je l’ai beaucoup transformé. J’ai gardé le point de départ, l’architecture autour de la psychanalyse de Staline. Mais, je me suis vite aperçue que le personnage principal était Emmanuelle, ou plutôt Lidia. Le parcours véritable, c’est elle. Elle a cru à l’utopie communiste, elle a embrassé ce rêve pour l’humanité, puis il s’est délité, et a fini enseveli sous les dérives de Lénine, de Staline. Ainsi cette femme, après avoir sommeillé dans ce fantasme, se réveille et se dit  : « Non, pas plus loin. » Elle recherche une rédemption.

Dans votre film, un soin particulier est apporté à la lumière et au cadre, qui se rapproche des portraits réalistes socialistes qui trônaient alors en Union soviétique. Vous êtes-vous documentée  ?

Fanny Ardant Oui, absolument. Vous savez, je vais souvent à Moscou. En particulier, je me rends dans les musées. Je connaissais bien le travail du peintre Alexandre Deïneka. Dans le film, lorsque Staline et Lidia se reflètent dans un tableau, c’est un tableau de Deïneka. Il était un des peintres du réalisme socialisme. Dans la vie, tout est une question de nourriture, et avant même de savoir que je ferais un jour un tel film, j’ai éprouvé pendant des années cet univers, c’est une chose avec laquelle j’ai vécu. Alors, au moment d’y aller, on est prêt. Souvent, quand on visionne un film, on ne regarde que l’anecdote. Moi, j’ai voulu le construire comme un opéra où s’affrontent les couleurs, la rigidité, les plans longs. Je désirais une pesanteur.

Dans ce film, on ne sait jamais si on est dans le réel ou dans le fantasme  ?

Fanny Ardant En effet. Staline arrive dans une grande lenteur, dans un temps comme étiré. Au fur et à mesure, les personnages deviennent une chose floue, lente, sans plus aucun rapport les uns avec les autres. Pour moi, le cinéma est de nature hypnotique. Il est un rêve dans un rêve. Et ce film, je le désirais avec les contours d’une fable, d’un conte. Au début, les grilles s’ouvrent comme un « Il était une fois ». Vous savez, j’ai longtemps cherché un château à l’architecture Romanov. Il était trop cher de tourner en Russie, et c’est dans un petit village au Portugal que je l’ai trouvé. On imaginerait la demeure de Barbe Bleue. Je ne souhaitais pas faire un documentaire. D’une manière générale, je m’intéresse plus à la vérité qu’à la réalité. En même temps, vous savez, je perçois très bien cette utopie, elle était magnifique, cet acte de foi en l’humanité afin de transformer le monde, où il n’y aurait ni possédant ni possédé. Souvent, on dit qu’ils se sont trompés d’idéologie mais je n’en suis pas si sûre. La question – et avec le problème – est à l’évidence dans quelles mains met-on le pouvoir. Et pour Staline, de façon singulière, la chose est d’autant plus dure qu’il a longtemps été sauvé par la victoire des Russes contre les nazis. Le tragique du XXe siècle me passionne. C’est un siècle lyrique. Notre société est plus complexe à définir, elle est plus sournoise, les dogmes n’ont plus de pôles, comme un mercure qui file et on n’arrive plus à le rattraper. L’histoire se déroule en 1950 et, pourtant, elle fait écho au présent, surtout avec cette phrase  : Qu’as-tu fait pour perdre ton âme  ?

N’est-ce pas le risque toujours de se perdre  ? La scène où le portrait imaginaire se déforme sur le portrait réel le montre bien  ?

Fanny Ardant Oui. L’image devient un monstre. Elle se défigure. Il est vrai, et sans apporter une connotation religieuse, que la question de la perte de son âme, de ne plus se reconnaître, est d’autant plus intense dans notre époque où, par une consommation extrême, un conformisme brutal, on est de plus en plus tenté et poussé à se perdre.

Entretien réalisé par Genica Baczynski, L’Humanité


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