Gauche : et maintenant ?

mercredi 8 février 2017.
 

Benoît Hamon a réussi son coup. Il a terrassé Manuel Valls et créé sur son nom une dynamique incontestable. Peut-il dès lors rassembler toute la gauche ? À ce jour, il en est loin.

Qui ne rêverait pas aujourd’hui d’une gauche rassemblée et conquérante, capable d’écarter l’extrême droite menaçante, de battre la droite radicalisée et de réussir, au pouvoir, la politique pour laquelle on lui demande de gouverner ? Ce rêve est nécessaire. Encore faut-il comprendre ce qui, jusqu’à ce jour et depuis bien longtemps, l’a rendu inaccessible.

Que la politique suivie par le couple Hollande-Valls porte une écrasante responsabilité dans le désastre de la gauche française est une évidence. Les deux têtes de l’exécutif ont payé leur choix de leur effacement. La situation créée ainsi est inédite : tant pis pour eux, tant mieux pour nous. Mais le mal n’a pas saisi la gauche avec l’arrivée de Manuel Valls à Matignon. En fait, la méthode gouvernementale engagée en 2014 n’est que le parachèvement d’une longue évolution remontant au début des années 1980, quand François Mitterrand s’engagea dans la « rigueur ».

Le fond du problème réside dans une logique globale, forgée dans un cadre européen, et qui consiste à intérioriser les présumées contraintes de la mondialisation : compétitivité (donc réduction du coût du travail), flexibilité (donc fin du salariat protégé), monétarisme et réduction de la dépense publique (donc fin de l’État providence). C’est à cette logique-là qu’il faut s’attaquer, et pas seulement à la dernière vague, « vallsienne », de ses manifestations.

De ce point de vue, la construction de Benoît Hamon n’est pas sans ambiguïtés et fragilités. Après avoir contribué à l’intronisation de Valls en 2014, il a pris ses distances avec lui : on ne peut que lui en savoir gré. Mais la question désormais n’est pas de revenir à la situation d’avant 2014. Il ne suffit pas de reprendre le fil de l’histoire au moment où le candidat Hollande de 2012 prononça son fameux discours du Bourget. Il ne s’agit même pas de revenir à Lionel Jospin, quand il s’écartait de Tony Blair en récusant une « société de marché ». La rupture avec « l’ordo-libéralisme » doit être bien plus ambitieuse. Elle doit toucher à la racine de nos maux, et pas seulement en corriger les excès.

Pour l’instant, Benoît Hamon n’en ouvre pas la perspective. Il proclame la fermeture de la période Valls : c’est bien ; ce n’est pas assez. Sans compter qu’il s’y attelle avec un PS déchiré comme jamais, dont une part non négligeable est d’ores et déjà tenté par la solution Macron. Hamon a gagné à gauche, mais la machine est engagée qui laisse entendre que, pour que la gauche soit au second tour, l’hypothèse Macron est la plus solide face à une droite gouvernementale en difficulté.

En revanche, Jean-Luc Mélenchon présente sur tous ces points des avantages majeurs. Tandis que Valls a cautionné les reculs successifs du PS depuis 2002, celui qui porta les couleurs du Front de gauche s’en est distancé de plus en plus. Depuis une quinzaine d’années, il est de tous les combats majeurs visant à redonner au peuple sa souveraineté et à la gauche son dynamisme. Son programme, dans la continuité de celui de 2012, reprend la logique « antilibérale » et démocratique qui s’est déployée après le choc de la présidentielle de 2002. Pour l’opinion, son image reste raccordée à ces combats et à l’expérience prometteuse du Front de gauche, hélas bien durement ébréchée depuis de nombreux mois.

Au fond, Benoît Hamon incarne la continuité d’un Parti socialiste qui a accompagné les reculs successifs d’un socialisme devenu hégémonique au début des années 1980. Jean-Luc Mélenchon ouvre la voie d’une rupture dont toute la gauche pourrait bénéficier. Mais pour aller au bout de cette possibilité, des ajustements doivent s’opérer, sur le fond comme dans la forme. Nous n’en sommes plus au temps où l’on pensait que un responsable de l’exécutif, Hollande ou Valls, défendrait globalement son bilan. Désormais, le combat n’est pas d’abord contre un exécutif et ses choix politiques, mais contre une droite radicalisée, vampirisée par le Front national, et pour une rupture à gauche d’une ampleur sans précédent.

Manifestement, J.-L. Mélenchon ne retrouve pas la totalité de son électorat de 2012. Tant que sa candidature actuelle se déployait contre le couple de l’Élysée et de Matignon, cela pouvait être compensé par des apports nouveaux. L’émergence d’une ligne socialiste officielle plus à gauche redistribue la donne. Le candidat à la candidature Benoît Hamon ne mordait pas sur l’électorat possible de Mélenchon. Le candidat officiel a plus d’atouts pour y parvenir. Dès lors, le manque-à-gagner sur 2012 risque de peser lourd à la gauche de la gauche.

Retrouver le plus loin possible l’élan de 2012 devient ainsi une obligation. À la base de cet élan, se trouvait la synergie exceptionnelle – et jamais reproduite – d’un candidat et de l’arc des forces qu’il rassemblait. Cette synergie peut être retrouvée. Pour cela des gestes devraient être faits, en direction des partenaires de l’époque. France insoumise est une réalité ; réduire à ce seul instrument la dynamique rassembleuse risque de laisser des forces sur le bord du chemin. À l’arrivée, le risque est que nul n’en tire bénéfice.

Par ailleurs, le recentrage de l’exécutif brouillait les repères de la droite et de la gauche. Le retrait de François Hollande et la défaite de Manuel Valls revalorisent l’enjeu de la gauche. Rassembler le peuple et non la gauche ? Redonner unité et dynamisme aux catégories populaires dispersées, atomisées, ulcérées par les choix libéraux est certes une nécessité. Mais cette reconquête n’est possible qu’autour des valeurs d’égalité, de citoyenneté et de solidarité qui ont fait la force et l’attraction de la gauche historique. C’est donc une majorité populaire à gauche qu’il convient de rebâtir. Cet objectif ne peut être laissé au seul candidat officiel du Parti socialiste.

Or, pour y parvenir, encore faut-il dire quel modèle gauche doit aujourd’hui donner le ton. Depuis près de quatre décennies, c’est la gauche socialiste qui le fait. Au nom du « réalisme » et de la menace de la droite, elle a prôné les accommodements successifs avec la logique capitaliste financière dominante. Nous en mesurons les effets. Qu’un socialisme réorienté à gauche soit un partenaire futur de majorités propulsives est une perspective souhaitable. Qu’il soit hégémonique, l’expérience le montre, n’est pas une chance pour la gauche et pour la société tout entière.

Enfin, l’une des clés du succès et que la gauche la plus à gauche montre qu’elle est capable de traiter sur le fond les problèmes de la modernité. Celle de la République sociale en fait partie, comme celle de l’écologie. Il importe d’y ajouter celle du travail, celle de la révolution numérique, celle des enjeux urbains, celle d’une mondialité qui ne peut plus s’épanouir dans le cadre de la mondialisation.

C’est donc bien l’avenir entremêlé du mouvement populaire et de la gauche qui se joue en 2017. Si se maintiennent les équilibres de quelques décennies, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Benoît Hamon, au-delà des mots de la novation, incarne plutôt un maintien de la disposition actuelle de la gauche. Or, pour que du neuf s’enclenche, de la rupture est nécessaire, portée par des forces et des individus qui l’incarnent sans ambiguïté aucune. L’équilibre des forces, que fixeront la présidentielle et les élections législatives dans sa foulée, dira dans quelle direction ira la gauche française.

À ce jour, Jean-Luc Mélenchon et tous ceux qui le soutiennent, sont les meilleurs garants d’un sursaut porteur de ruptures durables. C’est leur chance, dans un moment où l’on a besoin de repères solides. Mais c’est une responsabilité majeure que de montrer que, de cette rupture et de cette disposition nouvelle des forces, la gauche tout entière bénéficiera. Et que les catégories populaires pourront alors troquer le ressentiment contre une nouvelle espérance.

Roger Martelli


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