Emmanuel Macron, « candidat des médias » : autopsie d’un choix implicite

dimanche 19 février 2017.
 

par Daniel Schneidermann

On pourra faire adopter les plus vertueux statuts de la presse, faire voter toutes les lois anticoncentration, le journaliste vibrera toujours pour le neuf, pour le jeune, pour le moderne, pour l’inédit.

Partons cette semaine, chers lecteurs, en enquête d’immersion dans la fabrication d’un « candidat des médias ». Quelles sont ses méthodes ? Comment et par qui est-il désigné ? Voici un cas d’école. Le week-end dernier, quatre gros meetings se partageaient l’actualité politique. Benoît Hamon était investi à Paris, tandis qu’Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon tenaient des réunions publiques à Lyon. Seuls deux de ces quatre candidats virent leurs réunions retransmises en direct et en intégralité par les quatre chaînes d’info en continu (BFM-TV, i-Télé, France Info et LCI). Lesquels ? Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Les deux autres (Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, donc) durent se contenter des miettes, dans le grand festin du live.

Est-ce à dire, comme le conclurent immédiatement de nombreux internautes, que « les médias » ont choisi leurs deux candidats, et le second tour de leurs rêves ? Les médias votent-ils pour un duel Macron - Le Pen ? Il faut disjoindre les deux cas. Leurs différences montrent qu’il existe plusieurs filières d’accès au titre envié (mais redoutable) de « candidat des médias ». Prenons Marine Le Pen. Si les médias, tout au long des dernières années, ont assuré la promotion de Marine Le Pen, et crédibilisé sa « dédiabolisation » de façade (le programme du FN n’ayant pas changé sur les points essentiels), c’est bien malgré eux. Sans doute peu de patrons et d’actionnaires de la presse ont-ils des sympathies pour le programme du FN (préférence nationale et sortie possible de l’UE, ce dernier point provoquant même sans doute une sorte de panique). Pour ne pas parler des journalistes, chez qui le vote FN est ultra-marginal. Mais, dans la surexposition de Le Pen, et de ses satellites phillipotoïdes, ont sans doute été déterminants à la fois les sondages et les scores d’audience des émissions où ils étaient invités, les uns se nourrissant des autres, dans une interaction aussi bien connue que mystérieuse.

S’agissant de Macron, c’est exactement l’inverse. Xavier Niel et Pierre Bergé, copropriétaires du groupe le Monde, lui ont plus ou moins publiquement déclaré leur flamme. Rien, dans ce que l’on sait de lui, et du peu que l’on sait de son programme, n’est de nature à effaroucher MM. Dassault, Arnault, Pinault, Lagardère, Bolloré ou Drahi. Ce qui ne signifie pas que les oligarques français soient pendus au téléphone chaque matin pour commanditer des unes, des éditos, ou des sondages favorables. Simplement, par capillarité intellectuelle, ils ont nommé à la tête des rédactions de « leurs » médias des journalistes macrono-compatibles, éventuellement macrono-indifférents, en tout cas jamais macrono-opposés, encore moins macrono-hostiles.

Ce qui, en soi, ne suffirait d’ailleurs pas. Ce terrain favorable, soigneusement aménagé « d’en haut », doit nécessairement être ensemencé par une logique fondamentale de la presse : l’intérêt pour la nouveauté. On pourra faire tout ce qu’on voudra, faire adopter les plus vertueux statuts de la presse, faire voter toutes les lois anticoncentration, le journaliste vibrera toujours pour le neuf, pour le jeune, pour le moderne, pour l’inédit.

Si en plus cet inédit a un joli sourire et les dents du bonheur, la cause est entendue et le lourd arsenal peut commencer à se déployer : sondages incohérents testant sa performance au second tour (alors même que selon les mêmes sondages, il ne franchit pas le premier tour) ; éditos assurant qu’il n’est pas le candidat des médias ; éditos tout aussi savants assurant qu’il terrasserait à coup sûr Le Pen au second tour ; échos saluant « l’humour » et la maestria avec lesquels il a déminé les rumeurs sur sa vie privée : la bulle grossit, grossit. Les ennemis se flinguent tout seuls. François Fillon est victime d’un accident industriel. Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon sont bien partis pour s’entre-neutraliser ingénieusement. Et, cerise sur la friandise, Macron révèle d’insoupçonnées facultés de cogneur.

Pas de programme ? Mais enfin, pourquoi, donc un programme ? Ses discours scintillants de vacuité pourraient avoir été écrits par le maire de Champignac, dans Spirou ? Mais il les prononce si bien. Voilà pourquoi, à l’insu de leur plein gré, « les médias » ont manifestement fait de Macron leur favori. Position périlleuse, d’ailleurs, on ne le dira jamais assez.


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