Assurance maladie : La révolution du « 100% sécu »

samedi 15 avril 2017.
 

Dans une récente tribune1, Martin Hirsch et Didier Tabuteau se sont prononcés en faveur de la création d’une assurance-maladie universelle couvrant les dépenses de santé actuellement prises en charge par l’assurance-maladie et par les « complémentaires santé ». Comme cela a été souligné par certains observateurs, cette proposition se rapproche beaucoup du « 100% sécu » que la France insoumise défend dans le débat présidentiel depuis plusieurs mois.

Dans un premier temps Fillon, faisant alors preuve sur ce sujet d’une certaine franchise, a annoncé un projet consistant à privatiser l’assurance maladie avant de faire un rétropédalage. Macron ou Hamon tentent, eux, d’habiller maladroitement le fait qu’ils ne modifieront en rien l’organisation du dispositif actuel. Jean-Luc Mélenchon est bien le seul candidat à proposer une prise en charge intégrale des soins par l’assurance maladie.

Un recul continu de la prise en charge par l’Assurance maladie au profit des complémentaires. Il faut savoir que depuis les années 1980, la part de la consommation de soins et de bien médicaux (CSBM) prise en charge par l’assurance maladie ne cesse de reculer, passant sur la période de 80% à environ 76,8%, soit une diminution de plus de 6 Mds €. Si l’on s’attache aux seuls soins courants (hors dépenses de l’hôpital et ALD2), aux dépenses d’optique et aux frais dentaires, l’assurance maladie ne rembourse alors qu’à peine 50% des dépenses. Le reste est pris en charge par la complémentaire santé, à condition d’en avoir une et que celle-ci offre un bon niveau de couverture, et par l’assuré, c’est ce que l’on appelle le « reste à charge ».

Certains voudraient nous faire croire que cette situation ne pose aucun problème et que la solution serait de favoriser l’acquisition d’une complémentaire santé par l’ensemble des Français. Or il n’en est rien, cette organisation duale de la prise en charge des frais de santé (assurance maladie pour une part des dépenses, complémentaire santé pour la part restante) est non seulement inégalitaire mais aussi très coûteuse.

La prise en charge par les complémentaires nuit au principe de solidarité. Rappelons d’abord brièvement comment est organisé « le marché de la complémentaire santé ». On associe parfois les complémentaires aux seules mutuelles. Pourtant celles-ci ne représentant que 53% du marché aux côtés des instituts de prévoyance (19% du marché) et des assureurs privés comme AXA, dont l’ancien PDG conseille François Fillon, qui ne cessent de gagner des parts de marché (28% du marché). Or, cette concurrence agressive des assureurs privés, avec lesquels la mutualité a naïvement accepté d’entrer en concurrence à partir des années 1990, conduit l’ensemble des acteurs à s’aligner sur leurs pratiques, qui sont bien éloignées du principe de solidarité. La conséquence est qu’aujourd’hui, les tarifs des contrats proposés par les complémentaires sont de plus en plus indexés sur le risque que vous représentez, c’est à dire l’âge. Et de moins en moins proportionnels aux salaires (un cadre et un ouvrier du même âge payant alors le même prix pour un même contrat).

Il s’agit d’une première entorse au principe de solidarité qui veut que les plus riches et les moins malades cotisent pour les plus malades et les plus démunis, via notamment des cotisations proportionnelles aux salaires comme c’est le cas pour l’assurance maladie. S’en ajoute une seconde, liée au fait que les contrats collectifs proposés aux salariés sont subventionnés par de l’argent public (niches fiscales et sociales) et sont plus avantageux que les contrats individuels, réservés aux retraités, aux indépendants et aux chômeurs. Donc tout euro transféré de l’assurance maladie vers les complémentaires santé est un euro inégalitaire.

Le « 100% sécu » évitera les dépenses inutiles en frais de gestion, liés au coût de la prise en charge par les complémentaires. Celles-ci ont en effet des frais de gestion bien plus élevés que ceux de l’assurance maladie (20% contre moins de 5%), en raison de leur taille plus réduite, mais aussi des importantes dépenses de marketing et frais de démarchage engendrés par la concurrence, auxquels s’ajoute la rémunération des actionnaires dans le cas des assurances privées. Ces frais de gestion des complémentaires sont estimés entre 6,5 à 7 Mds €, payés par les assurés et qui ne bénéficient en rien à leur santé. Quant aux niches sociales et fiscales mises en place pour encourager l’acquisition d’une complémentaire, leur coût est estimé à 3,5 Mds € par le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie. Le « 100% sécu », garantira donc une utilisation plus efficace des cotisations des assurés via la suppression de ces frais de gestion.

Une mesure qui peut être financée sans difficultés. Le « 100% sécu » est une mesure d’autant plus pertinente que le taux de renoncement aux soins pour raison financière ne cesse d’augmenter. Une telle mesure, qui permettrait que chaque assuré puisse se soigner sans avoir à débourser un euro, n’a rien d’utopique et peut être financée aisément. Dans la mesure où les dépenses actuellement prises en charge par les complémentaires seront couvertes via la transformation des primes qui leur sont actuellement versées en cotisations sociales, financer le « 100% sécu » revient à couvrir le reste à charge payé par les Français, qui s’élève à 16,4 Mds €. La suppression des frais de gestion (-6,5Mds €), l’interdiction des dépassements d’honoraires (-7,6 Mds €), une négociation plus dure sur le prix des médicaments (-3 Mds €), secteur où les entreprises affichent des taux de profit supérieurs au secteur bancaire, ainsi que la régulation de certains tarifs aujourd’hui excessifs dans le domaine de l’optique et du dentaire notamment (-1 Md €) permettent déjà de couvrir plus que les 16,4 Mds € requis. On pourrait ajouter à ces montants les économies liées à la suppression des niches fiscales et sociales déjà évoquées ou bien, celles engendrées par une meilleure organisation de notre système de soins. Ces marges budgétaires supplémentaires permettront ainsi d’intégrer l’ensemble des salariés du secteur des complémentaires à l’assurance maladie, car il est bien évident que le « 100% sécu » ne devra se traduire par aucun licenciement et devra mobiliser le savoir faire de ces salariés.

Noam Ambrourousi

1 http://www.lemonde.fr/idees/article...

2 ALD : Affections de longue durée, pathologies dont la liste est arrêtée par décret et pour lesquelles les dépenses directement liées à l’affection sont prises en charge à 100% hors dépassements d’honoraires.


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