L’ÉTAT, LES PARLEMENTAIRES ET L’ARGENT

lundi 15 mai 2017.
 

A) JEAN-LUC MÉLENCHON : « La VIe République, c’est d’abord une loi de séparation de la République et de l’argent »

Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise soutenu par le PCF, Ensemble ! et le PG à l’élection présidentielle, fait de la manifestation du 18 mars pour une VIe République un moment clé de sa campagne. Extrait du grand entretien qu’il a accordé à l’Humanité Dimanche.

HD. Quel regard portez-vous sur la situation politique marquée par l’affaire Fillon et des certitudes qui volent en éclats les unes après les autres ?

Jean-Luc Mélenchon. Cette situation est un symptôme sidérant de décomposition politique. La cause est connue. L’argent qui dévore le pays, dévore aussi les personnes. Le mal frappe le cœur de l’élection centrale dans la Ve République. On investit quelqu’un qui est doté de pouvoirs considérables. Le feuilleton Fillon tue tout autre sujet… Il est aujourd’hui impossible de lancer le moindre débat. C’est un moment particulièrement déstabilisant pour la démocratie. Un exemple : M. Macron annonce la fin du système des retraites à la française et le passage au régime par point… zéro seconde de débat. Et, au milieu de cela, surnage «  l’opération Macron  » qui est l’homme de l’oligarchie dans un pays où 99 % des médias sont contrôlés par 9 milliardaires, dont 5 qui ont fait le choix de le soutenir.

Cette situation nous amène aux portes d’un moment politique particulier que j’appelle le «  dégagisme  », une force aveugle de rejet de tout et de tous. Notre rôle est de lui ouvrir une issue positive. Ce n’est pas d’attendre que tout s’effondre dans le chaos. C’est pourquoi je mène une campagne d’adhésion à un programme. Ce n’est pas une campagne où l’on fait peur, où l’on pousse les gens à se décider en fonction de pari sans contenu : «  Qui est-ce qui a le plus de chances de…  » Ce type de calcul a été ridiculisé par la multiplication des hypothèses qui n’ont pas tenu deux mois. Et personne ne sait quelle sera la situation dans un mois.

Cette campagne d’adhésion à un projet est ponctuée d’événements comme le 18 mars sur la VIe République qui est une façon de traduire d’une manière concrète cette issue positive.

HD ? Le 18 mars a donc changé de signification au regard de cette situation que vous décrivez ?

Jean-Luc Mélenchon. Oui. Au départ, il s’agissait de souligner l’importance du changement des institutions pour la suite de la vie politique de notre pays. Notre projet politique, notre stratégie révolutionnaire partent de l’idée que le peuple se réapproprie les institutions politiques en les redéfinissant. C’est la stratégie de la révolution citoyenne... Lire l’entretien en intégralité dans l’Humanité Dimanche en vente chez les marchands de journaux jusqu’au 22 mars 2017 et sur tous vos écrans.

Entretien réalisé par Diego Chauvet et Cédric Clérin

B) Comment agir, enfin, contre les conflits d’intérêts  ?

François Fillon n’est pas un cas isolé. La collusion entre les multinationales et les parlementaires est très fréquente. Mais ces conflits d’intérêts sont encore peu sanctionnés. Jusqu’au mois de mai ?

Servir l’État ou s’en servir, c’est une vieille habitude pour François Pérol. En 2009, cet énarque est passé sans transition du poste de secrétaire général adjoint de l’Élysée à la tête du nouveau groupe BPCE. Problème  : il était lui-même en charge de superviser la fusion de ce nouvel établissement pour le compte du chef de l’État. En 2005, il avait déjà conseillé ces deux banques pour qu’elles créent une filiale commune, Natixis, cette fois-ci avec le costume d’associé gérant de la banque Rothschild.

Un slalom entre la direction du Trésor, la banque d’affaires et le sommet de l’État en tout point comparable à celui de son cadet Emmanuel Macron. Le candidat d’En marche  ! est à son tour rattrapé par les conflits d’intérêts. Mardi, le cardiologue Jean-Jacques Mourad a démissionné de son équipe de campagne parce qu’il avait réalisé 66 prestations rémunérées par le laboratoire pharmaceutique Servier entre janvier 2013 et juin 2016.

En dehors des délits de corruption réprimés par le Code pénal, il existe une immense zone grise où se forment d’inquiétantes collusions entre les multinationales et ceux qui, au sens large, participent à l’élaboration des lois. Au-delà des déviances de certains parlementaires, il y a toute une série de mécanismes de «  corruption douces, avec le phénomène de pantouflage (lorsqu’un fonctionnaire décide de rejoindre le public – NDLR) ou le développement des portes tournantes entre le secteur privé et public  », souligne Benjamin Sourice. Ces phénomènes se sont accrus «  avec la privatisation de nombreuses fonctions qui étaient auparavant publiques  » et le «  triomphe des thèses néolibérales à partir des années 1980  », souligne un rapport de la fondation Terra Nova, cosigné par les juristes Joël Moret Bailly, Hélène Ruiz-Fabbri, et par l’économiste Laurence Scialom. Spécialisée dans la régulation bancaire, cette chercheuse avait été particulièrement choquée par la facilité avec laquelle le lobby financier était parvenu à détricoter la loi de séparation bancaire, au début du quinquennat. «  Les arguments étaient repris par les propres conseillers du ministère des Finances, qui pour beaucoup sont repartis pantoufler dans des banques une fois la loi votée  », raconte cette Économiste atterrée. Contre ce jeu de rôle malsain, jouant sur la technicité des débats, leur rapport propose, entre autres, de «  remettre en cause la possibilité pour les fonctionnaires devenus cadres ou dirigeants d’entreprise de réintégrer la fonction publique  ».

Le programme de Jean-Luc Mélenchon va encore plus loin. Il propose de mettre fin au pantouflage. Comment ? « Tout haut fonctionnaire souhaitant travailler dans le privé devra démissionner de la fonction publique et rembourser le prix de sa formation s’il n’a pas servi au moins dix ans.  » Les règles contre les conflits d’intérêts seront en outre durcies, notamment «  en allongeant les périodes d’interdiction d’exercer une fonction privée après avoir exercé une activité publique dans le même secteur  ». Contre la pollution du débat parlementaire, le candidat de la France insoumise souhaite «  interdire l’entrée des lobbyistes dans l’enceinte du Parlement  ». Dans son programme, encore non définitif, Benoît Hamon n’évoque pas de mesures aussi précises, bien qu’il propose de renforcer l’expertise des parlementaires en augmentant les nombre de hauts fonctionnaires qui leur seront détachés.

Que faire des élus déviants ? Il a fallu attendre la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, adoptée en plein scandale Cahuzac, pour que soit introduit dans le droit français la notion du conflit d’intérêts, définie comme une «  situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés de nature à compromettre l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction  ». Un rapport sur le sujet avait été commandé par Nicolas Sarkozy au moment de l’affaire Bettencourt. Mais ses propositions avaient été enterrées par le gouvernement Fillon  ! En 2012, la commission Jospin avait proposé «  une incompatibilité a priori  » du mandat de parlementaire avec toute activité professionnelle. Cette option fut combattue par la droite, lors de l’examen du projet de loi sur la transparence, en 2013. Ils dénonçaient à l’époque la volonté de créer une «  assemblée d’apparatchiks  » composée de «  députés hors-sol  » et «  déconnectés du monde économique  ».

Cette loi a néanmoins contraint les députés à publier une déclaration d’intérêts et de patrimoine, soumise au contrôle d’une Haute Autorité de la transparence de la vie publique. C’est par ce biais que l’on a pu découvrir les combines de certains députés. Un Parquet national financier a également été créé, et il a permis à la justice d’accélérer le pas dans les dossiers Cahuzac, Dassault ou Balkany. Mais les moyens des policiers spécialisés dans les affaires politico-financières ont été drastiquement diminués, austérité oblige. Il faudra donc une volonté politique certaine pour maintenir cet échafaudage et voter ses budgets. Une victoire de François Fillon risque de menacer l’ensemble .

Outre l’inéligibilité à vie de toute personne condamnée pour corruption, Jean-Luc Mélenchon propose aussi de rendre effectif le non-cumul des mandats dans le temps. Une mesure également défendue par Benoît Hamon, bien qu’il permettrait de cumuler trois mandats consécutifs. Cela suffira-t-il ? « Contre les milliards dépensés pour corrompre et influencer  », et la culture de l’entre-soi libéral, il faut d’abord «  ouvrir la possibilité aux citoyens de s’immiscer et de se réimpliquer dans le jeu politique en créant de nouveaux contre-pouvoirs pour résister au travail de sape des multinationales  », plaide Benjamin Sourice. Un contre-lobby citoyen qui passe clairement pas l’invention d’une VIe République.

Le pantouflage, un phénomène en expansion  ?

Avec le retrait de l’État du secteur productif, les polytechniciens ont moins de perspectives de carrière. Résultat  : près de la moitié d’entre eux s’orientent à la sortie de l’école vers le privé. Pour les énarques, moins d’un quart d’entre eux passent en entreprise à un moment de leur carrière, selon les sociologues Paul Lagneau-Ymonet et François Denord. «  Cela pousse à s’interroger sur l’investissement fait par la collectivité dans des grandes écoles publiques, très discriminantes.  »

Pierre Duquesne, L’Humanité


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