Second tour de la présidentielle : La peste ou la grippe ? (par Robi MORDER, NPA)

samedi 6 mai 2017.
 

Si la « mise en demeure » du soi disant « front républicain » est indécente, le Front national est l’ennemi le plus dangereux pour la classe travailleuse et les mouvements sociaux. Les séquences électorales ne sont que des séquences. Rien n’est jamais joué, ni définitif, là sont les enjeux. Il faut d’abord écarter et réduire le FN le 7 mai, dès le 8 on s’occupera de Macron.

« Ce serait tellement plus confortable si quelqu’un s’avançait pour dire « Je veux rouvrir Auschwitz, je veux que les chemises noires reviennent parader dans les rues italiennes ! ». Hélas, La vie n’est pas aussi simple. L’Ur-fascisme est susceptible de revenir sous les apparences les plus innocentes. Notre devoir est de le démasquer, de montrer du doigt chacune de ses nouvelles formes, chaque jour, dans chaque partie du monde ». Umberto Eco, Reconnaître le fascisme, Grasset 2017 (texte de 1995)

Mises en demeure indécentes

Le 1er tour vient de s’achever et la confusion règne. Le « front républicain » met en demeure chacune et chacun de se prononcer sur le champ sous peine d’être complice du Front national, comme si les premiers responsables du développement de ce dernier n’étaient pas eux, qui ont pour les uns concouru à l’escalade contre l’étranger, l’immigré, le réfugié, le « voleur de pain au chocolat » et pour les autres (parfois les mêmes) laissé un terrain social en ruines : chômage, délocalisation, développement des inégalités, destruction des protections sociales et du code du travail. L’on voudrait un peu de décence !

Croient-ils retirés qu’ils sont sur leur aventin, ignorants de la vie quotidienne de tout un chacun, que l’on peut demander comme allant de soi de voter Macron quand ce ne sont pas leurs retraites qui sont en danger, ni leur sécurité sociale, ils ont leurs assurances privées, quand le candidat demande d’adhérer à son programme fait de nouvelle loi travail par ordonnances hors débat parlementaire… La liste est longue, on la connaît. Alors, si une partie de ce peuple ne se presse pas aux urnes, nul besoin de l’en blâmer, c’est là le résultat de votre politique, vous qui avez gouverné en alternance et fait le lit du Front national !

La présence de Le Pen était annoncée depuis longtemps, et c’est Mélenchon que vous aviez pris pour cible dans les derniers jours, comme si vous préfériez la peste brune new look au spectre « collectiviste ». Aujourd’hui encore vous fustigez Martine Aubry qui ne dit pas le nom du sorcier magique, « Macron » alors que Jospin en 2002 avait fait de même quand au bout de 6 jours de réflexion – il n’avait donné aucune indication le 21 avril au soir – il demandait (le vendredi 26 avril) « d’exprimer par leur vote à l’élection présidentielle leur refus de l’extrême droite et du danger qu’elle représente pour notre pays et ceux qui y vivent. »

Macron est le candidat de la finance, certes, mais Le Pen n’est pas la candidate de la classe travailleuse : elle est même sa plus dangereuse ennemie !

Faut-il pour autant jeter la pierre contre celles et ceux qui utiliseront le bulletin Macron pour réduire Le Pen ? Non, loin de là. Car si l’on peut mourir d’une grippe on peut la combattre aisément, alors que la peste brune est mortelle assurément. Elle est mortelle pour les libertés publiques, à commencer par celles des plus opprimés et exploités, nos sœurs et frères étrangers, réfugiés, immigrés.

Il y en a qui se veulent optimistes, et pensent qu’elle sera battue de toutes façons. Il y en a qui pensent même qu’il ne serait pas mal d’avoir un FN battu, mais fort en score pour « fragiliser » Macron ensuite, alors que cela ne ferait que renforcer l’extrême-droite et le « moral » de ses troupes. Comble de la banalisation, on laisse entendre que le FN est un parti de droite, de la classe dominante, comme les autres... Après tout, nous ne sommes pas en 1933, Le Pen n’est pas Hitler, le 21e siècle n’est pas le 20e… et tant d’autres lapalissades qui « normalisent » l’extrême-droite. Certes, mais le 21e siècle n’enfante t-il pas des Orban, des Bachar, des Trump, des Erdogan ? Le « ni droite ni gauche », qui a été toujours la proclamation des fascistes de l’entre-deux-guerres n’est-il pas brandi par le FN dans un amalgame « national » censé transcender les intérêts de classe.

Vaut-il mieux être un Français exploité « français » qu’exploité « multinational » quand on veut être libéré des oppressions, de l’exploitation, de l’aliénation ? Il faut montrer le véritable programme du FN en la matière d’autant que lui n’hésitera pas à prendre les mesures contraignantes pour réduire toute contestation quand tombera le masque de l’authentique bourgeoise de Neuilly auto-proclamée « amie » des ouvriers. Bien sûr, le Front national ne prévoit d’interdire ni les syndicats, ni le droit de grève. Mais il veut les « encadrer », par exemple en interdisant aux syndicats de « faire de la politique », et pareille interdiction pour les grèves qui devront rester « revendicatives », « professionnelles ».

Rien de « méchant » apparemment, rien qui ne paraît diffèrer du droit et du « bon sens », mais alors qui sera juge du caractère légal ou non des mouvements sociaux ? Contester la politique économique et sociale d’un gouvernement (Loi Travail, réforme des retraites, de la sécurité sociale) est-ce du « professionnel » (toléré) ou du « politique » (interdit) ? Quel sort sera réservé aux grévistes « politiques » et aux syndicats organisant cette contestation ? Le licenciement pour faute ? L’emprisonnement ? La mise sous tutelle, voire la dissolution judiciaire des syndicats voulant jouer leur rôle ? [1]

Hollande laisse pour le/la prochain-e président-e l’état d’urgence. Qu’en ferait Le Pen, elle qui estimait qu’il ne fallait pas autoriser les manifestations contre la loi travail ? Qui l’empêcherait d’utiliser le cas échéant l’article 16 (les pleins pouvoirs) si la situation se tendait dans le pays, avec à son service un appareil policier et militaire dont déjà plus de la moitié des effectifs vote FN et appliquerait avec zèle une politique du « retour à l’ordre » ? On peut même penser qu’en toute légalité, s’il y avait des « troubles », les législatives soient repoussées. Pas le plus probable, mais pas de l’ordre de l’impossible. En tout état de cause, un fort pourcentage de voix FN suffira déjà pour stimuler les discours, et les actes, xénophobes et racistes. Qui n’a fait la queue aux guichets des cartes de séjour dans les préfectures, ou dans des services sociaux ne peut se rendre compte des chicaneries humiliantes dès lors que la « préférence nationale » prend le visage d’une préférence raciale, ethnique.

Une nouvelle séquence d’engagement et de politisation

Il y a la séquence électorale, mais ce n’est qu’une des arènes où se mèneront les combats. Quelques mois après le printemps de la « nuit debout », après la rue c’est dans les urnes que s’est accélérée la décomposition des vieux partis dits « de gouvernement ». On disait la population éloignée de la politique alors qu’en réalité elle se tenait à distance du vieux système. Pour les « primaires » comme pour le premier tour les débats télévisés ont été suivis par plus de 10 millions de personnes au total. Le taux de participation électorale, mais surtout le regain de militantisme notamment de jeunes venant à la politique avec les questions, les codes, les façons de leur génération atteste des potentialités. Macron/Bonaparte a lui aussi pu attirer de droite et « de gauche » dans son mouvement à la fois des vieux chevaux et beaucoup de jeunes ou de jeunes adultes qui ont (ou pensent avoir) intérêt au libre marché, à « la libre entreprise », au travail « indépendant ».

Beaucoup de jeunes issus de « la diversité » s’y sont reconnus. Beaucoup d’aspirants à devenir jeunes patrons de start-up (l’exploitation et l’aliénation sur le mode du tutoiement), mais pas tous. C’est surtout du côté des « insoumis » qu’on a vu fleurir la libre initiative de groupes de base, l’intérêt pour la politique au sens large du terme, une capacité à (re)faire voter les quartiers populaires, les sortir de l’absentention ou, pire, du vote FN. Que la déception ait été le sentiment de certains le soir du 1er tour ne doit pas masquer l’essentiel, un résultat que la plupart pensaient utopique il y a quelques mois – près de 20% - ayant bousculé les prévisions quand Fillon était donné gagnant, puis Le Pen en premier.

C’est là que la volonté politique d’agir pour changer le cours des choses donné comme « immuable » retrouve de la crédibilité et atteste de sa légitimité. Ces formes d’engagement peuvent étonner les plus anciens, mais comme le rappelait un vieux révolutionnaire russe « Il n’est pas rare que les représentants des générations mûres ou âgées ne sachent pas aborder comme il convient cette jeunesse qui, par la force des choses, est obligée de venir au socialisme autrement, par d’autres voies, sous d’autres formes et dans d’autres conditions que ses pères » (Lénine, décembre 1916) ?

Le résultat peut être prometteur pour l’avenir. Les séquences électorales ne sont que des séquences. Rien n’est jamais joué, ni définitif, là sont les enjeux. Il faut d’abord écarter et réduire le FN le 7 mai, dès le 8 on s’occupera de Macron et l’annoncer dès le 1er mai dans la rue.

Robi Morder

Notes

[1] Sur ces questions, nous revenons dans « Dernière station avant l’abattoir », introduction à Leon Trotsky, Contre le fascisme, textes assemblés et annotés par Patrick Le Tréhondat, Robi Morder, Irène Paillard, Patrick Silbersetein, Paris, Syllepse, 2015. Je ne résiste pas à citer cette fable de quelques lignes écrites par Trotsky en janvier 1932 : « Un marchand menait des bœufs à l’abattoir. Le boucher s’avance, un couteau à la main. »Serrons les rangs et transperçons ce bourreau de nos cornes.« , propose un des bœufs »Mais en quoi le boucher est-il pire que le marchand qui nous a conduits jusqu’ici avec sa trique« , lui répondirent les bœufs qui avaient reçu leur éducation politique au pensionnat de Manouilsky. »C’est qu’ensuite nous pourrons régler son compte au marchand ! « - » Non « , répondirent les bœufs à principes à leur conseilleur, »tu es la caution de gauche de nos ennemis, tu es toi-même un social-boucher.« Et ils refusèrent de serrer les rangs. (Tiré des fables d’Esope.) »


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