Que propose Macron ? Le référendum d’entreprise : un outil bientôt dans les mains de l’employeur ? – La loi El Khomri élargie

mercredi 14 juin 2017.
 

Censée permettre aux salariés de participer directement au dialogue social, cette mesure phare de la loi El Khomri, que Macron souhaite élargir, n’est pas dénuée d’effets pervers.

Aux urnes, salariés ! Depuis le 1er janvier, le référendum d’entreprise permet de soumettre au vote des employés les accords qui n’ont réussi à convaincre qu’une minorité de syndicats. Une petite révolution instaurée par la loi El Khomri. Les référendums organisés jusque-là, comme chez le constructeur automobile Smart en 2015, n’étaient en effet que consultatifs. Depuis, deux entreprises y ont eu recours pour valider des changements d’horaires de travail. Avec des résultats opposés : un « oui » des salariés de Novo Nordisk, un fabricant d’insuline, et un « non » chez RTE, le réseau de transport d’électricité. La CFDT, soutien de la loi travail, y voit une arme de démocratie sociale : les syndicats majoritaires perdent le pouvoir de bloquer des réformes plébiscitées par les salariés. La CGT et FO dénoncent, eux, un court-circuitage de la représentativité et le champ libre laissé au chantage à l’emploi. En cas de victoire d’Emmanuel Macron, le débat a des chances de repartir de plus belle.

Que propose Macron ?

Jusqu’à fin 2016, les syndicats qui recueillaient 30 % des voix aux élections professionnelles pouvaient valider un accord, sauf si ceux représentant la majorité des suffrages s’y opposaient. Désormais, tous les accords sur la durée du travail, les congés et les repos doivent être paraphés par des syndicats pesant 50 % des voix. En échange, pour les minoritaires qui veulent valider un accord, un plan B a été prévu : ils ont la possibilité de demander aux salariés de trancher via un référendum. Une nouvelle règle qui sera étendue à tous les sujets en 2019. Le leader d’En marche, lui, veut franchir un pas supplémentaire en permettant aux employeurs d’initier eux aussi un référendum. Aux mêmes conditions : que le projet d’accord ait au préalable reçu l’aval de syndicats représentant au moins 30 % des voix. Rien d’étonnant à ce que l’ancien locataire de Bercy s’intéresse à cet outil, en phase avec sa volonté de déplacer le dialogue social « au plus près du terrain ». Mais en confier les clés aux directions risque de faire hurler les syndicats. Lors de l’examen de la loi El Khomri, le Sénat avait tenté le coup. Une initiative retoquée par l’Assemblée nationale. Au grand dam de la CPME, porte-voix des petits patrons.

Que s’est-il passé chez Novo Nordisk et RTE ?

Chez Novo Nordisk, l’histoire remonte à décembre. Forte de 44 % des voix, la CFDT signe un avenant à un accord sur le temps de travail. L’enjeu : allonger d’une vingtaine de minutes la journée des équipes en travail posté, sans hausse de salaire, pour doper la productivité. La CGT, la CFTC et FO, qui pèsent plus de 50 %, imposent leur veto. Mais début janvier, sitôt le référendum entré en vigueur, la CFDT soumet le texte aux 1 100 salariés. C’est « oui » à 65 % : l’accord peut s’appliquer.

Scénario inverse chez RTE, pour ses 4 200 salariés de la maintenance. Des négociations ont échoué en décembre sur l’encadrement des interventions d’urgence. La CGT (58 % des voix) utilise son droit d’opposition, au motif que « la direction voulait revenir sur le volontariat des agents », défend Francis Casanova, un de ses délégués. En janvier, la CFDT et la CGC en appellent au référendum. « On sait que les salariés demandent à être sollicités sur les sujets qui les concernent, explique Guy Marchetti, délégué CFDT. C’était une façon de faire de la pédagogie. » Sur le terrain, la campagne s’avère parfois tendue. « Dans des équipes très hostiles à la CFDT, ça a été musclé, poursuit le syndicaliste. On n’a pas pu aller partout, mais globalement, les salariés étaient à l’écoute. » Pas suffisant pour convaincre : 71 % des votants rejettent l’accord.

Faut-il craindre un chantage à l’emploi ?

Les adversaires du référendum craignent que les patrons n’exercent un chantage à l’emploi sur les salariés. Le précédent Smart a laissé des traces. Terrorisés à l’idée de voir leur usine de Moselle délocalisée en Slovénie, les employés ont accepté à 56 % le passage temporaire aux 39 heures payées 37. La direction de Novo Nordisk - qui n’a pas répondu à notre demande d’interview - a aussi joué à sa manière sur la peur de l’avenir. Lors d’une réunion, les salariés se sont vu exposer le contexte du vote : une filiale américaine dans une mauvaise passe, la nécessité de donner des gages de productivité à la maison mère danoise… Selon FO, la direction a aussi mis en jeu l’ouverture d’un nouvel atelier de production, synonyme de 250 embauches. Puis un mail est venu rappeler aux salariés que leur opinion était « décisive pour [leur] avenir et celui du site ». Chez RTE, la direction se défend d’avoir fait campagne. « Notre communication est restée généraliste et pédagogique, soutient un porte-parole. On ne s’est pas impliqués pour le « oui », même si on y était favorable. » Tous les syndicats n’ont pas eu ce ressenti. « La direction est restée officiellement neutre, mais elle a fait passer son message par les managers », estime Hubert Dubois-Delord, délégué FO. La CFDT, dans le camp du « oui », a aussi agité le risque d’une externalisation. « Ils ont dramatisé tout seuls, tacle Francis Casanova, de la CGT. Même la direction n’a pas mis cet argument sur la table. »

Pourquoi le référendum est-il encore contesté ?

Autre grief apparu lors des premiers essais sur le terrain : les votants ne sont pas toujours concernés par les changements proposés. Et souvent, dénoncent les syndicats, les cols blancs décident pour les ouvriers. Chez Novo Nordisk, seuls 370 salariés sur un millier risquaient de voir leur journée de travail allongée. Or le « non » a remporté 362 voix. « Les opérateurs et les techniciens ont majoritairement voté contre, alors que les cadres au forfait-jour, qui ne sont pas touchés, ont fait valider l’accord », dénonce Sébastien Macabies, délégué FO. « Ça a mis une sacrée ambiance dans la boîte », commente un délégué syndical, qui souhaite rester anonyme. Un panneau CFDT a été dégradé après le vote. Comme le permet la loi El Khomri, FO a saisi le tribunal d’instance pour contester les modalités du vote, demandant à ce que seuls les ouvriers concernés puissent s’exprimer. Mais le juge l’a débouté, sous prétexte que tous les salariés pourraient se voir un jour appliquer les nouveaux horaires « en cas de mobilité interne », même si l’on imagine mal un cadre passant aux 5×8… La CGT attend l’organisation d’un nouveau référendum pour déposer une question prioritaire de constitutionnalité.

Alexia Eychenne

* Libération.fr 2 mai 2017 : http://www.liberation.fr/elections-... DÉCRYPTAGE – Loi travail 2 : les pistes du chantier Macron

Le candidat d’En marche n’a pas fait mystère de son intention, s’il est élu, de revoir en profondeur le code du travail à coups d’ordonnances. Au menu : dialogue social décentralisé, limitation des indemnités prud’homales et fusion des instances du personnel.

Ce sera le premier acte de son quinquennat : s’il est élu, Emmanuel Macron promet dès l’été une réforme « en profondeur » du droit du travail. Dans la continuité de la loi El Khomri, le candidat d’En marche entend « décentraliser » les négociations sociales pour confier le plus de marge de manœuvre possible aux entreprises et, à défaut, aux branches. Un chantier qui s’avère risqué à plus d’un titre. Pour agir vite, Emmanuel Macron légiférera par ordonnances. Il lui faudra donc obtenir au Parlement une majorité susceptible de voter une loi d’habilitation. S’il veut s’éviter le calvaire enduré au printemps 2016 par Myriam El Khomri, il devra aussi s’appuyer sur un maximum de syndicats. En meeting le 1er mai à Bercy, Emmanuel Macron a promis de recevoir toutes les organisations syndicales et patronales. Mais les conditions de cette « concertation », organisée dans un calendrier très serré, demeurent floues, comme une grande partie de ses intentions.

Seuls trois points, pour l’heure, semblent actés. Les indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif seront bien plafonnées. Une mesure prévue dans la loi travail, avant que le gouvernement ne recule face à la fronde syndicale. La dernière mouture du texte lui a préféré un barème indicatif. L’équipe d’En marche n’a pas décidé si les plafonds s’appuieraient sur celui-ci.

Loi El Khomri élargie

Autre point confirmé : la possibilité pour les entreprises de toutes tailles de fusionner délégués du personnel, comités d’entreprise et CHSCT en une délégation unique du personnel (DUP). En 2015, la loi Rebsamen avait étendu cette possibilité aux entreprises de 50 à 300 salariés. Dernière certitude : les référendums d’entreprise, qui permettent de valider des accords minoritaires, pourront être initiés par les directions (lire ci-contre).

Par ailleurs, la possibilité pour l’entreprise de déroger aux accords de branche devrait être étendue. Alors que la loi El Khomri avait remis en cause le principe de faveur (la hiérarchie des normes) sur le temps de travail, cette option « sera potentiellement élargie à beaucoup d’autres domaines », fait savoir son entourage. Dont les conditions de travail et les salaires. Seuls quelques grands principes (durée légale du travail, égalité hommes-femmes, lutte contre les discriminations, salaire minimum…) seront conservés dans la loi. Le même travail de réécriture sera fait au niveau des branches, pour qu’un « maximum de sujets puissent faire l’objet de dérogations par accord d’entreprise », poursuit un conseiller. Les partenaires sociaux pourraient être « associés » à cette mission, sans que l’on sache dans quelle mesure.

Dernier point où le flottement est de mise, la redéfinition, ou non, du périmètre géographique pris en compte en matière de licenciement économique. La loi travail avait prévu qu’une entreprise puisse licencier dans sa filiale française malgré des résultats florissants à l’international. Un casus belli pour la CFDT et les députés PS frondeurs, qui avaient obligé le gouvernement à revoir sa copie. L’équipe d’Emmanuel Macron fait d’abord savoir qu’il n’y a pas eu d’« arbitrage » et que « la porte n’est pas fermée »… avant de suggérer le contraire. Jusqu’au second tour ?

Alexia Eychenne

* Libération.fr 2 mai 2017 :


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