Cachez ce Parlement, instrument du pouvoir exécutif

vendredi 9 juin 2017.
 

On croyait avoir été au bout de l’humiliation du Parlement sous la Ve République avec Debré d’abord, De Gaulle ensuite et tout ce qui a suivi jusqu’à l’inversion du calendrier entre présidentielle et législative en 2002 et la réforme cosmétique de Sarkozy en 2008. La recette de la rationalisation du parlementarisme pensée par Debré en 1958 comporte les ingrédients classiques de l’antiparlementarisme : délimitation du domaine de la loi, encadrement du pouvoir budgétaire, maîtrise gouvernementale de l’ordre du jour parlementaire, limitation du temps de délibération des parlementaires, réduction des possibilités de faire bifurquer un débat en séance publique, réduction des moyens de contrôle parlementaire.

Macron annonce qu’il va faire usage de toutes ces possibilités constitutionnelles.

La constitution de 1958 lui va comme un gant puisqu’il entend rapidement faire usage d’une procédure législative dérogatoire : les ordonnances. Ce sont des actes pris par le Gouvernement dans le domaine de la loi : une incursion du pouvoir exécutif gouvernemental, donc non élu, dans la sphère du pouvoir législatif qui en principe n’appartient qu’à la représentation nationale. Avant la constitution du Général De Gaulle, ce type d’actes existait : c’était la pratique des décrets-lois qui permettait de substituer à un processus parlementaire délétère la détermination du pouvoir exécutif. En 1958, ce procédé est constitutionnalisé avec délectation par un gouvernement trop heureux d’inscrire dans le marbre le droit du Gouvernement d’imposer sa volonté au Parlement. L’article 38 préserve toutefois l’intervention du Parlement, mais dans un double rôle d’autorisation et de ratification ; au début et à la fin du processus d’adoption à l’exclusion d’une discussion permettant d’en modifier le contenu – le cœur d’une fonction parlementaire. On oublie d’ailleurs souvent qu’à défaut de ratification, une ordonnance ne disparaît pas. Elle ne fait que louper l’investiture législative. Elle est donc simplement revêtue d’une valeur administrative. Mais elle peut produire des effets.

Rappelons par ailleurs que la constitution est truffée de faveurs faites au pouvoir exécutif. On ne fera que citer la délimitation du domaine de la loi qui contraint le Parlement à n’intervenir que dans des matières limitativement énumérées par la constitution ; alors que le pouvoir exécutif, lui, est titulaire du pouvoir d’édicter des règlements dans tous les autres domaines, ce qui rend ce pouvoir réglementaire potentiellement illimité. On notera également que le pouvoir d’amendement est fortement contraint puisque le Gouvernement décide de ceux qui pourront être délibérés en séance publique ou pas ; et ce, au même titre que le pouvoir budgétaire qui est maintenant non seulement limité en amont par le contrôle à priori des institutions européennes, mais aussi en aval par la règle inflexible de l’interdiction d’augmenter les dépenses et de diminuer les recettes. De même, l’ordre du jour qui paraît avoir été rendu au Parlement via la Conférence des Présidents en 2008 demeure pour une large part aux mains d’une majorité de personnes acquises au pouvoir exécutif, ce que la composition de cette instance combinée au mode de scrutin garantit. Enfin, on se souviendra de la difficulté de constituer une commission d’enquête parlementaire lorsqu’on appartient à la minorité.

Autant dire que le Parlement est canalisé au point de n’être plus qu’un instrument du pouvoir exécutif : une machine à voter.

Mais cela ne semble pas suffire au Président Macron. Il ira plus loin en révisant la constitution s’il ne rencontre aucune résistance.

Son projet de réduction de l’effectif parlementaire d’un tiers est une atteinte inédite au pouvoir parlementaire. Car tout ce qui vient compresser la capacité d’expression du Parlement rétrécit son potentiel d’influence et donc sa légitimité. Ceci compromet d’ailleurs aussitôt la piste de la proportionnelle au Parlement car ce mode de scrutin est d’autant plus indiqué que l’assemblée est conséquente. Une assemblée peu nombreuse ne permet pas la représentation aussi étendue et nuancée promise par la proportionnelle.

Suivant une ligne cohérente de ravalement du Parlement au rang de machine à voter, l’idée de réduire à 3 mois la durée de session consacrée à la délibération et au vote de la loi – le quart de ce qui existe – est tout bonnement assassine. En cela, le Président Macron dépasse les rêves les plus fous du Général De Gaulle : mutiler le Parlement au point d’en faire un simple accessoire du pouvoir présidentiel. Au passage il auxiliarise durablement le Gouvernement qui n’a de raison d’être autonome par rapport au Président que s’il émane d’une assemblée puissante. Ainsi, en anéantissant le pouvoir de l’Assemblée nationale, le Président neutralise le Gouvernement qui en est issu. Tout se tient.

Et puisque le Président Macron sent bien le sens du vent, il envisage de faire de l’exception la règle en matière de procédure législative : la procédure législative accélérée supplanterait la procédure ordinaire respectant notamment le droit d’amendement. Et pour enfoncer le clou, les amendements qui auraient été refusés en commission d’examen des projets de lois seraient interdit d’accès à la discussion en séance publique.

C’est pourquoi il faut craindre le projet présidentiel de révision constitutionnelle. On l’attend toutefois de pied ferme puisqu’il semblait aux dernières nouvelles vouloir passer par le référendum. Mais quel référendum ? Celui de l’article 11 ou de l’article 89 ? Le silence sur cette question est intentionnel. Car l’article 89, même s’il permet la révision de la constitution par référendum, rend indispensable un accord des deux chambres sur le contenu de la révision. Or un projet de réduction des effectifs de l’Assemblée nationale semble condamné d’avance si l’Assemblée elle-même doit se prononcer avant le peuple. L’article 11 en revanche, s’il permet de recourir au référendum sans s’embarrasser d’un vote des chambres, ne sert pas pour autant à réviser la constitution. Or tout le monde ne s’appelle pas De Gaulle et ce qu’il a réussi en 1962 en exploitant un fait divers opportun et en profitant d’une légitimité à toute épreuve suite aux accords d’Evian ne s’est jamais reproduit.

Donc si le Président Macron envisage aujourd’hui de jouer le peuple contre les chambres, on n’est pas sûr du résultat. Pour éviter cette aggravation délibérée de la présidentialisation de la Ve République, opposons au Président une majorité parlementaire insoumise qui ne votera pas sa propre disparition.

Charlotte Girard,

Responsable du programme de La France insoumise, L’Avenir en Commun.


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