Macron ou l’ordolibéralisme : l’heure du soupçon

samedi 15 juillet 2017.
 

Antiterrorisme : Déjà l’heure du soupçon

Le terrorisme est une science de l’intime. Cela vaut autant pour les hommes que pour les États, tant il révèle au grand jour ce que les uns et les autres ont dans le ventre... Et la façon dont on s’en prémunit dévoile bien souvent les ressorts cachés d’un régime.

Le jeudi 22 juin dernier, le gouvernement Macron tout juste issu des législatives tenait son premier conseil des ministres. Et quelle fut donc la proposition que ce nouveau pouvoir estima la plus emblématique afin d’inaugurer son quinquennat ? Prolonger pour la sixième fois l’état d’urgence, mais surtout faire entrer dans le droit commun (ici le code de la sécurité intérieure) les principales mesures de ce dernier. C’est en effet tout l’enjeu du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, déposé au Sénat sous procédure accélérée. Celui-ci se voit aujourd’hui critiqué par l’ensemble des associations de défense des droits de l’homme, les syndicats de magistrats et le défenseur des droits. En voici les principales déclinaisons avant discussions (1) :

La création de zones de protection qui permettront aux préfets d’y effectuer des palpations de sécurité, fouilles de bagages et de véhicules. Les contrôles d’identité devraient demeurer à l’initiative des magistrats. Jusqu’à maintenant, les préfets ont fait un usage assez large de cette possibilité de périmètres de sécurité (2000 cas, essentiellement pour des manifestations culturelles et sportives), même s’il existe de fortes disparités territoriales.

La possibilité de visites et saisies qui seront finalement soumises à la décision d’un juge des libertés et de la détention. Il a été fait là également un usage assez intensif de cette mesure dès le début de l’état d’urgence. Ainsi, 2000 perquisitions ont été menées les deux premières semaines (du 14 au 30 novembre 2015). Mais les chiffres ont ensuite chuté dès janvier 2016. Il faut dire que la plupart des objectifs figurant sur le fichier des radicalisés (FSPRT) avaient eu droit à leur visite. Et ce pour un résultat relativement maigre puisque sur les 5000 perquisitions à ce jour, seules 20 ont permis des ouvertures d’information pour terrorisme (au-delà bien sûr des procédures incidentes que furent les découvertes de drogue et d’armes). Et encore, ce fût le plus souvent pour simple incitation.

Les mesures de surveillance individuelle, bien que restrictives de liberté, seront laissées à l’appréciation des préfets. Cela comprend l’assignation à résidence (qui sera étendue au territoire de la commune) et la pose de bracelet électronique (cette fois à l’échelle du département). Ces mesures ont rapidement chuté dès février 2016, puisque là encore la plupart des objectifs avaient été identifiés. Mais la saisine reste extrêmement floue puisqu’elle touchera toute personne dont le comportement constitue une menace. Cela aboutit donc à bousculer l’esprit de la loi en se protégeant d’un risque potentiel au lieu de réprimer un acte.

La possibilité de fermer des lieux de culte perdurera également pour les préfets (en plus des maires) en cas de propos provoquant à la commission d’actes de terrorisme, en faisant l’apologie ou en incitant à la violence. Cette mesure, sans doute la plus choquante, introduit ici dans notre droit positif la notion de punition collective. En effet, un lieu de culte musulman (car cela concerne évidemment ce seul cas, et non, par exemple, des églises dont le prêtre aurait pu appeler à la sédition contre la loi votée sur le mariage pour tous ou la PMA…) pourra se retrouver cadenassé sous prétexte que son imam ou un groupe de fidèles aura tenu de telles discussions. Or toute peine collective est interdite par la Convention (IV) de Genève du 12 août 1949. Alors que les agents du renseignement territorial (SCRT) ou du renseignement parisien (DRPP) pourraient tout aussi bien en identifier les auteurs et les empêcher de nuire de manière plus individualisée.

Le projet de loi va également servir à régulariser quelques dispositions portant sur les écoutes des communications hertziennes (qui avaient été censurées par le conseil constitutionnel), l’obligation à fournir, dans certains cas, ses identifiants et mots de passe de comptes internet, et l’extension de la saisine du PNR à un nombre plus élargi d’infractions.

Projet de loi inutile et dangereux

La discussion s’annonce pourtant consensuelle et ce texte devrait passer, notamment du fait des rapports de force au Parlement et du manque de pensée critique sur ces dossiers. Nous allons encore perdre beaucoup de temps en d’inutiles voire dangereux bavardages comme ce fut le cas par exemple ces dernières années sur le sujet des fiches S quand certains irresponsables mirent sur la place publique ce qui constituait au départ un outil discret de renseignement ouvrant la voie aux propositions les plus absurdes (expulsions, bracelets électroniques, information des maires, etc.) et vidant ainsi ce moyen utile et ciblé de sa substance.

Les défenseurs de telles mesures revendiquent la possibilité de « déstabiliser la mouvance » ou de mettre régulièrement « des coups de pied dans la fourmilière » (on passera rapidement sur ce que révèle un tel vocabulaire), mais il faudrait être bien ingénu et ignorant pour imaginer que les avantages de telles méthodes l’emporteront sur les coûts en matière de renforcement de la clandestinité et des effets pervers de la stigmatisation.

Jamais les services spécialisés n’en ont d’ailleurs demandé autant. Les revendications des plus gourmands d’entre-eux se limitent généralement à des renforts humains et financiers, ce qu’ils ont obtenu depuis l’attaque contre Charlie Hebdo puis le Bataclan en deux plans successifs. De fait, ce projet de loi est inutile et dangereux. Inutile car il ne rendra pas la lutte contre le terrorisme plus efficace, puisque les principaux défis à relever y sont d’ordre politique. Dangereux car il nous fait doucement passer de l’État de droit à l’État de sûreté, transforme le renseignement en surveillance et la défense de l’ordre public en couvre-feu administratif.

On sait bien que tout régime néo-libéral exige un ordre strict pour mener à bien ses affaires. La sécurité devient ainsi le nouveau nom de la politique quand les banques et les fonds de pension se mettent à faire la loi. Le nouveau régime giscardo-pompidolien qui vient de sortir des urnes ne déroge pas à la règle. Mais en allant aussi loin d’entrée de jeu, voilà un business plan qui suscite déjà le soupçon. Soupçon d’improvisation et de fuite en avant. La population est désormais avertie, gageons qu’il en faudra plus pour lui faire peur et parvenir à détourner son regard des mesures sociales qui se profilent à plus bas bruit.

François Pirenne

(1) Un amendement a été adopté à la commission des lois du Sénat le 28 juin réintroduisant l’interdiction de séjour, qui avait été utilisée pendant l’état d’urgence comme une interdiction de manifester.


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