Les derniers jours

jeudi 3 mai 2007.
 

Pour une fois policiers et syndicalistes sont tombés d’accord. Pas sur les chiffres, mais sur les proportions. Il y a eu ce mardi 1er mai deux fois plus de manifestants que lors du premier mai 2006.

Pourtant, nous sortions l’an dernier du conflit du CPE. Et, vacances du Parlement oblige, il n’y a pas comme ces dernières années de projet de loi antisocial en discussion. Mais la situation sociale se radicalise déjà depuis plusieurs mois. Les grèves dans le privé n’ont pas cessé malgré la présidentielle. Et une nouvelle menace pèse dorénavant sur les droits des travailleurs : le risque de voir Sarkozy élu dimanche prochain, avec son programme pro-MEDEF. Malgré le fait qu’elle n’était pas le mot d’ordre officiel des défilés, c’est bien cette inquiétude qui a fait converger les manifestants, comme en témoignent les innombrables calicots, pancartes, autocollants anti-Sarko arborés dans les cortèges. Avec le succès du meeting-concert de Ségolène Royal au stade Charléty, ce premier mai témoigne donc de la profonde implication de notre peuple dans la campagne électorale et de la radicalisation à l’oeuvre dans les deux camps.

Une telle mobilisation à cinq jours du deuxième tour de la présidentielle, période habituellement peu propice aux mouvements sociaux, illustre l’état d’urgence politique du pays. En période de calme, domine l’esprit de délégation appuyé sur la confiance dans ceux qui dirigent qui est la norme des sociétés stabilisées. Dans les périodes de crise, chacun se trouve à l’inverse directement impliqué dans la controverse qui divise le pays quant aux solutions à apporter. Nombreux sont ceux qui se montrent soucieux de prendre une part personnelle à ce processus, pour l’orienter dans le sens auquel ils croient ou tout simplement pour en revendiquer la maîtrise. D’ailleurs l’esprit civique de notre peuple ne s’est pas construit dans la routine des traditions immuables, mais dans les spasmes d’une histoire tumultueuse. Cette campagne électorale, qui s’est déroulée au coeur de l’état d’urgence politique, a été marquée du sceau d’une implication civique remarquable. En témoigne l’affluence aux réunions de tous les candidats, à la seule exception de Jean-Marie Le Pen. La racine de cette mobilisation civique n’est donc pas dans la nature de la campagne elle-même. C’est une urgence sociale et politique qui se manifeste sous forme électorale dans le courant de l’élection présidentielle. Elle ne sera donc pas éteinte par le verdict des urnes et enjambera le vote de dimanche.

C’est une différence importante avec 1981 auquel 2007 a été comparé. 1981 est survenu alors que commençait à décroître la vague levée en mai 1968. Pendant ces treize années épuisantes, une construction politique répondant à l’explosion de 1968 avait été patiemment tissée, dans les trois dimensions indissociablement liées du programme (une rupture avec le capitalisme réalisant la synthèse des combats émancipateurs du siècle dernier), de la stratégie (l’union de la gauche) et du parti pour les porter (le Parti socialiste né en 1971 à Epinay). Cette fois, alors que la combativité des siens ne se dément pas, la gauche n’est qu’au début de ce processus et doute parfois de ces trois fondamentaux. En fait, une recomposition politique rampante est à l’oeuvre. En témoignent pêle-mêle les débats qui agitent l’autre gauche, l’effondrement des Verts, la désignation de Ségolène Royal au Parti socialiste, l’émancipation électorale de secteurs de la deuxième gauche ralliés à François Bayrou. Mais la reconstruction nécessaire n’est ni achevée ni même explicitement entamée. L’absence d’une force politique nouvelle capable de porter le rejet du libéralisme et d’incarner des réponses à la crise s’est fait lourdement sentir dans la campagne, que les tentations bonapartistes visibles de toutes parts ne pouvaient surmonter. Toutes les organisations politiques en place ont été percutées par la campagne du premier tour et par ses résultats. Cela dessine une exigence vitale pour la suite. Alors qu’en 1981, la construction d’une force politique éduquée et rassemblée autour d’un programme avait précédé l’élection, elle sera cette fois à construire dès son lendemain. Les propositions de Ségolène Royal d’engager le processus conduisant à une Sixième République, comme de refonder les relations du travail dans leur ensemble peuvent constituer un moyen de cette reconstruction. Cela conduirait alors au-delà de ses objectifs initiaux. La Sixième République plus la démocratie participative, c’est une Constituante...

Dimanche nous entrerons dans un nouveau cycle politique. Quelle que soit l’issue du vote, la radicalisation sociale et l’état d’urgence politique continueront à le dominer. Mais le résultat du scrutin en modifiera radicalement les conditions politiques. Si Nicolas Sarkozy l’emporte, la droite entrera dans ce cycle en phase ascendante. L’inadaptation du dispositif politique de la gauche, et son prix à payer, éclatera aux yeux du plus grand nombre. Et le parti démocrate de Bayrou cherchera à élargir la faille pour se constituer en parti d’opposition efficace à la droite conservatrice, sur le modèle américain dans lequel il n’y a pas de force politique issu du mouvement ouvrier en situation de jouer un quelconque rôle électoral. Si Ségolène Royal l’emporte, la gauche aura à se reconstuire dans l’exercice même du pouvoir. Cher lecteur, après avoir bien fait ton oeuvre d’éducation populaire dans cette campagne, prends juste quelques instants à l’heure du vote pour regarder attentivement la gauche et en graver les traits dans ta mémoire. Car tu ne la reverras plus jamais ainsi dès la semaine prochaine.


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