A La Réunion, « nous allons droit vers une crise sociale et sanitaire majeure » (Ratenon, FI)

mercredi 4 octobre 2017.
 

Entretien avec Jean-Hughes Ratenon, député France Insoumise de la Réunion qui accueille plusieurs de ses collègues dont Jean-Luc Mélenchon pour un voyage de plusieurs jours sur l’île.

Le gouvernement a annoncé, au mois d’août, qu’il voulait mettre fin aux emplois aidés. La Réunion et les Outre-mer sont particulièrement touchées ?

Le dispositif des contrats aidés permet de diminuer le coût d’embauche en accordant une aide de l’État aux entreprises, associations ou collectivités bénéficiaires. Dans des territoires comme les Outre-mer, à l’économie contrainte par l’éloignement et le coût des matières premières mais aussi par la cherté de la vie, ces contrats sont de véritables outils nécessaires pour permettre à une partie de la population de sortir du chômage.

Avec un taux de chômage à 22,4%, et 42% de la population vivant sous le seuil de pauvreté, La Réunion connaît des situations économiques et sociales très graves. Chaque emploi supplémentaire est une occasion de sortir toute une famille de la précarité et de maintenir la cohésion sociale. Une grande partie de ces contrats bénéficie aux associations et aux collectivités. Ainsi, des associations, qui sont souvent le dernier lien de socialisation pour certains, se retrouvent sans moyens financiers et humains et sont obligées d’abandonner les personnes qu’elles accompagnaient, souvent des personnes âgées.

De nombreux contrats aidés sont aussi utilisés dans la lutte contre les maladies vectorielles comme la dengue et le chikungunya. On se souvient encore de l’épidémie de chikungunya en 2005-2006 qui a touché 300 000 personnes et qui a fait plus de 300 morts. Il est donc d’une nécessité impérieuse de poursuivre la lutte antivectorielle pour éviter une nouvelle crise sanitaire majeure dans les prochains jours.

Vous dites que la fin de ces contrats frappera d’abord les plus vulnérables…

Evidemment. Un autre secteur touché concerne les associations qui luttent contre la pauvreté : le secteur médico-social, les banques alimentaires, Emmaüs etc. Nous sommes à un tournant de notre évolution démographique, avec le passage du baby-boom au papy-boom. Or, en raison de la pauvreté et de différents facteurs, notre population vieillit et vieillira très mal. Bref, avec la fin des emplois aidés, les conditions de vie vont considérablement se dégrader. S’il n’y a pas de solution d’emploi alternative aux contrats aidés, c’est l’espérance de vie qui risque de reculer.

Dernier point : les collectivités recourent aussi aux contrats aidés pour l’accompagnement des élèves dans les bus, la surveillance, le bon fonctionnement des cantines, les activités périscolaires et la sécurité des établissements. À quelques jours de la rentrée scolaire [le 18 août à la Réunion, NDLR], les 24 maires se sont mobilisés et m’ont mandaté pour parler en leur nom dans l’hémicycle lors d’une séance de questions au Gouvernement. Associations, présidents de collectivités, chambres consulaires se sont joints à la lutte pour conserver a minima le quota de 20 000 contrats. Mais jusqu’à maintenant le Gouvernement fait la sourde oreille, prenant le risque de provoquer l’explosion sociale.

Devant la mobilisation des Réunionnais, le gouvernement a dû faire quelques concessions. Etes-vous satisfait de cette réaction et des solutions apportées ?

Nous avons fait la démonstration que les conditions ne permettaient pas que la rentrée scolaire se passe correctement. Le Gouvernement nous a fait l’aumône de quelques contrats supplémentaires, sans jamais arriver au seuil indiqué par l’Association des Maires du Département Réunion (AMDR) pour que les conditions soient optimales.

La rentrée a eu lieu. De nombreuses communes ont dû la repousser de 4 jours pour pouvoir ajuster au mieux les équipes. Aujourd’hui encore, de nombreux parents d’élèves sont mobilisés.

Évidemment, personne ne peut se satisfaire des quelques miettes supplémentaires que le Gouvernement vient de nous accorder. A ce jour, le représentant de l’État ne nous a pas notifié le nombre de contrats aidés dont dispose la Réunion, et nous sommes à 4 mois de la fin de l’année civile ! Il n’y a aucune visibilité sur le court, moyen et long terme. C’est du grand mépris.

Et que va-t-il se passer en 2018 ? Le problème reste entier. Nous allons tout droit vers une crise sociale et sanitaire majeure.

En conclusion, l’État nous retire le bout de pain rassis dont nous disposions alors qu’il n’est pas en mesure de nous offrir un plat chaud ; il retire l’échelle alors que l’escalier n’est pas construit. Plus que jamais, il faut se mobiliser dans un esprit de solidarité.

En quoi cet épisode des emplois aidés est-il révélateur des problèmes de La Réunion et de la manière dont le(s) gouvernement(s) traitent les Outre-mer ?

Sur 160 000 chômeurs à la Réunion, 60% sont des jeunes. Malgré une croissance économique positive, et le dynamisme de nos entreprises, le marché du travail ne peut pas absorber toute les demandes.

Et quand le Gouvernement présente ce dispositif d’emplois aidés comme de la charité, il oublie simplement que ces emplois constituent de vrais postes de services dans différents domaines (écoles, collectivités, sécurité sanitaire, hôpitaux, aide aux personnes âgées, etc.) et qu’en les supprimant, ce sont plus de 200 millions d’euros qui sortent de notre économie. Au chômage, le Gouvernement rajoute du chômage !

Cet épisode est parfaitement révélateur : les Outre-mer sont les parents pauvres de la République. Nous ne mendions pas, nous avons une dignité, « nou la pa plis, nou lé pas rien, respect anou » comme on dit chez nous. Mais cette situation révèle, encore une fois, une profonde méconnaissance des spécificités ultramarines par ceux qui dirigent l’État.

Face à ces problèmes des Outre-mer, quels seraient les grands axes d’une vraie politique de progrès ?

Ce ne sont pas les atouts qui manquent. Le tourisme, l’agriculture diversifiée, l’artisanat etc. Les Outre-mer ont besoin de politiques d’investissement massif, sans pour autant mettre en danger la biodiversité incroyable que nos territoires abritent.

Pour La Réunion, je pense évidemment à la transition écologique, à l’autonomie énergétique et alimentaire. Géothermie, solaire, éolien, hydrolien : notre territoire a toutes les ressources nécessaires pour sortir des énergies carbonées, puisque nous ne sommes pas concernés, heureusement, par l’énergie nucléaire. Passer au 100% renouvelable permettrait de créer de nombreux emplois pérennes ainsi qu’un pôle de formation de haut niveau qui pourrait avoir un rayonnement dans tout l’Océan Indien. Nous avions de beaux projets, il y a quelques années, à La Réunion. Mais tout cela est tombé à l’eau avec l’arrivée de la droite à la tête de la Région.

La France insoumise met aussi beaucoup l’accent sur l’économie maritime. Cela concerne évidemment La Réunion…

L’économie de la mer serait pour nous un formidable domaine de progrès, raisonnée et écologique, si nous nous en donnions les moyens financiers et le courage politique. N’oublions pas que si la France a le deuxième territoire maritime mondial en termes de superficie, c’est bien grâce aux Outre-mer, et seulement grâce aux Outre-mer. Notre situation pourrait être une chance si nous ne nous soumettions pas au pouvoir de l’argent qui corrompt tout et qui tue les hommes et la planète. Les Outre-mer pourraient faire la leçon à l’Hexagone en montrant la voie d’un nouveau mode de vie et de production qui puisse assurer à tous la dignité et préserver notre environnement. C’est tout l’enjeu des prochaines « Assises de l’Outre-mer » [que le gouvernement doit lancer dans les prochaines semaines]. Mais le Gouvernement sera-t-il à la hauteur ? Permettez-moi d’avoir des doutes…

L’Heure du peuple


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