JO2024. Du pain et des jeux… pour les multinationales

jeudi 12 octobre 2017.
 

Entretien avec Danielle Simonnet, Conseillère de Paris

Le 13 septembre à Lima Paris était désignée officiellement pour accueillir les Jeux Olympiques (JO) de 2024. Pouvez-vous nous en rappeler les étapes ?

Anne Hidalgo, lors des élections municipales de 2014, ne défendait pas cette candidature ! Le passif de l’échec de la candidature Paris 2012 sous Delanoë jouait encore. Quand Hollande dit, en novembre 2014, qu’il faut que Paris candidate, Hidalgo exprime à nouveau son refus. Puis, en mars 2015, elle retourne sa veste. La candidature se met donc en place avec un premier budget prévisionnel à moins de 5 milliards, aujourd’hui largement dépassé avec une estimation à 6,8 milliards d’euros. Ensuite, les villes « rivales » font défection les unes après les autres – soit que les peuples refusent par référendum soit que les villes se rendent compte de l’abîme financier – et ne restent plus que Paris et Los Angeles.

Qu’en est-il de l’accord conclu entre ces deux villes ?

Paris aura les Jeux en 2024 et Los Angeles en 2028. Mais il y a derrière tout ça une opacité énorme. Aucun contrôle, ni de la part des États-nations, ni de celle des peuples, n’existe sur le Comité international olympique (CIO) qui désigne les villes-hôtes : son organisation interne, les tractations qui s’y déroulent, etc. tout est tenu secret. D’ailleurs, à chaque JO son lot de scandales, de corruption et de magouilles. Maintenant, les choses vont changer : les peuples se rendent compte de la gabegie organisée par le CIO au profit des multinationales et refusent d’être les dindons de la farce. Los Angeles se retrouve d’ailleurs en bien meilleure position que Paris pour négocier face au CIO car elle n’a plus de rivale : elle va donc certainement refuser des clauses imposées jusqu’ici par le CIO. En revanche, la France va devoir voter des lois d’exception pour se plier au CIO : ainsi ce sera la loi olympique qui s’appliquera dans les lieux olympiques – et plus la loi française.

On nous présente pourtant partout la candidature de Paris comme excellente…

Des enseignements ont été tirés des candidatures précédentes, avec le discours officiel de Paris 2024 sur les 95 % d’infrastructures déjà présentes. Il n’en reste pas moins qu’aucune édition – à une exception près – n’a tenu le budget ni n’a été rentable. En moyenne il y a 147 % de dépassement du budget. Certes, il y a une part de financement privé avec le CIO, mais ce qui est vicieux c’est que le CIO crée un engagement avec la ville et le pays hôtes pour qu’ils prennent en charge les dépassements et le déficit. Donc ça revient à privatiser les bénéfices pour les grands sponsors et les multinationales qui investissent (Suez, Accor, Véolia, etc.) et à socialiser la facture pour le peuple. D’ailleurs, une loi a été votée dès 2015 pour exonérer d’impôts une partie des bénéfices privés réalisés pendant les Jeux…

N’y aura-t-il pas de retombées positives pour l’économie francilienne ?

Paris est déjà une capitale très bien équipée. On va donc faire des équipements supplémentaires qui ne répondent pas aux besoins immédiats des Franciliens mais aux impératifs liés à l’accueil des JO. Les investissements qui vont être réalisés en Seine-Saint-Denis n’ont rien à voir avec les besoins locaux : 50 % des collégiens de ce département ne savent pas nager. Plutôt que de construire une piscine olympique, on aurait pu construire dix bassins-écoles plus petits pour apprendre aux enfants à nager. Sur les transports, idem : l’argent mis pour relier les aéroports aux grands sites se fait au détriment des investissements pour le prolongement d’autres lignes comme dans le Val-de-Marne qui se voient retardés. Par ailleurs, ces infrastructures se feront en partenariat public-privé, donc coûteront plus chers aux collectivités.

Mais pour le tourisme, c’est une bonne nouvelle ?

Non ! Paris est déjà une capitale mondiale du tourisme. Des études ont montré que la consommation baissait dans les ville-hôtes pendant les JO. Le public qui vient pour les JO chasse un autre public. En plus, les Franciliens vont fuir la région pendant les Jeux.

Et pour l’emploi ?

Il n’y aura pas de « création » d’emplois, ou à peine, juste des déplacements d’emplois existants une fois l’évènement passé, comme ce fut le cas avec la création du Stade de France. Sans parler des conditions de travail : multiplication des contrats précaires avant et pendant les JO, dangerosité accrue sur les grands chantiers. Les nouveaux équipements et infrastructures vont augmenter la spirale spéculative du logement et accélérer la gentrification de la Seine-Saint-Denis qui fera reculer spatialement les travailleurs les moins qualifiés et les éloignera de leur lieu de travail. Comme à Londres, où le nombre de mal-logés a explosé avec les JO.

Budget, infrastructures, urbanisme, corruption, c’est un sombre tableau que vous dressez !

Il faudrait ajouter les problèmes liés à la sécurité qui ne vont pas baisser d’ici 2024, avec un recours accru à des sociétés privées qu’on a déjà vu pendant l’Euro 2016 au détriment de la police républicaine. Mais c’est surtout la catastrophe écologique qu’il faut bien avoir en tête. Ces Jeux auront une empreinte carbone énorme : avions, béton, fête de la consommation avec de la pub partout. Et accélération du développement anti-écologique du Grand Paris avec moins d’espaces verts pour les habitants. La densification urbaine aura des répercussions sur les nappes phréatiques.

Malgré tout, les gens restent attachés aux JO.

Il y a de très belles histoires aux JO. C’est aussi l’occasion de voir des sports très peu diffusés. Et les exploits, surtout des non-professionnels, restent. Ça peut être une très belle fête pour valoriser toute cette diversité ! Mais pourquoi, par exemple, n’arrive-t-on pas à organiser les Jeux Paralympiques en même temps que les Jeux pour personnes valides ? Qu’est-ce que ça signifie ? Qui peut croire que les JO sont organisés pour la paix ? Aujourd’hui c’est un événement mondial pour capter du temps de cerveau disponible pour les gros sponsors.

C’est un combat perdu d’avance ?

Les JO auront sans doute lieu. Mais la bataille culturelle est essentielle pour faire comprendre aux gens toute cette logique : il y a des milliards pour deux fois 15 jours de manifestations sportives et on nous tape de 5 euros sur les APL ! Et puis il n’y a pas d’enthousiasme ! Donc ce sont sept années de combat à mener, de luttes citoyennes, écologiques, sociales. Il faut faire naître l’idée qu’on peut penser à d’autres JO dans un rapport de force avec le CIO – d’ailleurs il n’y a toujours pas de candidature pour les JO 2032. On peut rêver de JO populaires et citoyens avec un budget international et une vision du sport pour toutes et tous qui ne sacrifierait pas tout à l’idéologie du sport professionnel des compétitions internationales. Des JO sans hiérarchie sexuée ni rejet des personnes handicapées, des JO qui aideraient le sport-santé, l’éducation au sport… et permettraient de faire les investissements en ce sens dans les collectivités sans tout donner aux intérêts privés.

Propos recueillis par Clément Fradin


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