CETA : au Québec, « nous sommes très inquiets de cet accord »

samedi 28 octobre 2017.
 

Entretien avec Gabriel Nadeau Dubois, ancien leader étudiant du « printemps érable » de 2012, député à l’Assemblée nationale du Québec et porte-parole du parti Québec Solidaire

Quelle est l’état du débat public au Québec et Canada sur le traité CETA (vous dites AECG au Québec) ?

À la différence de pays européens, il y a peu de débat public au Québec sur le traité AECG. Il faut dire qu’au Québec, à l’exception de Québec Solidaire, tous les partis politiques, le Parti Québécois comme le Parti Libéral du Québec au pouvoir, sont favorables au libre-échange. Le Ministre des Finances du Québec a déclaré qu’il n’y a « que du bon dans le libre-échange ». Et au niveau fédéral, c’est la même chose. Il est donc très difficile d’ouvrir le débat sur la question. C’est une intégration qui se fait en catimini.

Le Québec et le Canada sont déjà liés par un traité de libre-échange avec les Etats-Unis et le Mexique, l’ALENA, ce qui explique peut-être la relative acceptation du libre-échange au Canada. Quel bilan tirez-vous de ce traité ?

Les 20 ans de traité ALENA ont affaibli la création d’emplois au Québec. Il y a bien eu quelques secteurs, comme le secteur manufacturier, qui ont tiré leur épingle du jeu, mais au niveau du Canada, on estime à un million le nombre d’emplois perdus. Et puis, l’ALENA a rendu notre pays dépendant des Etats-Unis. C’est le cas de notre secteur forestier. À chaque éruption protectionniste des Etats-Unis, notre secteur forestier entre en crise. Et loin de lubrifier les échanges, on a assisté à une multiplication des litiges commerciaux avec les multinationales et à une explosion des frais juridiques. On estime que les poursuites devant les tribunaux d’arbitrages ont coûté plus de 157 millions de dollars au Canada.

En France, une commission d’expert missionnée par M. Macron a reconnu que le traité CETA aurait un impact « défavorable » sur le climat, notamment en raison des exportations de pétrole issu des sables bitumineux d’Alberta. Quel est la position de Québec Solidaire sur le sujet ?

Nous sommes très inquiets sur le contenu de cet accord et ses conséquences sur l’environnement. Sur la question de l’environnement, l’abandon du projet d’oléoduc Energie Est est une bonne nouvelle. Ce projet d’oléoduc construit par TransCanada devait relier la province d’Alberta, d’où est extrait le pétrole des sables bitumineux, au Nouveau Brunswick, en passant par le Québec et la vallée du Saint Laurent. Il représentait une grave menace pour les sources d’eau potable situées le long de son parcours, compte tenu des risques de fuites et d’écoulement. Il s’agissait d’une véritable « autoroute à pétrole » pouvant transporter jusqu’à 1,1 millions de barils de pétrole par jour sur 4 600 km. La mobilisation de centaines de municipalités québécoises, du mouvement “Coule pas chez nous” a permis de faire reculer progressivement TransCanada. TransCanada a d’abord dû renoncer à construire un port pétrolier à Cacouna, dans le Bas-Saint-Laurent en 2015. Au fur et à mesures des mobilisations, de nouveaux critères d’évaluation environnementale ont été ajoutés, au point que TransCanada a annoncé le 5 octobre l’abandon du projet d’oléoduc. Cet abandon fermera plusieurs marchés d’export. Cela aura des conséquences importantes sur la production de ce pétrole très polluant, car les “pétrolières” sont confrontées à un « goulot d’étranglement » : elles n’ont pas assez de moyens d’exportation. C’est cela que nous avons gagné : diminuer les capacités d’exportation du pétrole des sables bitumineux et donc de sa production.

Comment Québec Solidaire appréhende-t-il l’impact du CETA sur le secteur agricole ? En France, par exemple, on nourrit des craintes s’agissant des normes environnementales ou des risques de pression à la baisse sur le cours et la qualité des produits agricoles.

Au Québec, nous nous attendons à des impacts négatifs sur les secteurs laitiers et fromagers, qui sont des secteurs qui proposent de bons emplois. Ces secteurs ont été sacrifiés et ouverts à la concurrence dans le cadre des négociations de l’AECG. C’est d’ailleurs un des rares moments où on a parlé de l’AECG au Québec.

Des élections provinciales vont avoir lieu en 2018. De quelle façon, Québec Solidaire envisage-t-il d’aborder la question du libre- échange et du CETA dans la campagne électorale ?

Comme je l’ai dit, il est difficile d’ouvrir le débat sur le sujet au Québec, après 40 ans d’unanimité, car on est en présence d’un dogme. Mais avec l’arrivée au pouvoir de Trump qui met en place des mesures protectionnistes, le débat commence à évoluer. Les Etats-Unis ont instauré récemment des droits antidumping de 220% sur certains avions du constructeur Bombardier. On mesure bien avec cet exemple que les relations commerciales avec les USA sont avant tout inégalitaires ; ils imposent leurs règles du jeu. On entend s’exprimer sur le sujet et poser la question des échanges commerciaux. Il y a énormément de travail qui reste à faire. On est en train de préparer la campagne de 2018, nos intentions de vote sont en augmentation et pour nous l’enjeu c’est la sortie de la marginalité et l’objectif de construire une alternative politique au pouvoir libéral.

Propos recueillis par Sébastien Polvèche


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