Comment faire progresser la démocratie sociale  ? Syndicats, comités d’entreprise, contrôle économique....

vendredi 3 novembre 2017.
 

Avec les contributions de Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT, Sophie Béroud, politiste, université de Lyon-II Triangle, Baptiste Giraud, politiste, université d’Aix-Marseille et un texte collectif.

Rappel des faits. L’exigence démocratique est un enjeu moderne, à l’inverse de ce que préconise la loi travail XXL concernant le rôle des IRP et le niveau des garanties collectives.

Le renforcement de la citoyenneté à l’entreprise par Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT

Catherine Perret Faire progresser la démocratie sociale, c’est prendre le contre-pied du projet de loi travail XXL. Le gouvernement vient de rendre publique une énième réforme du travail partant du principe que le travail est un coût alors qu’il crée les richesses. Il vient de confirmer qu’il obéit au patronat, qui veut se débarrasser des organisations syndicales dans les entreprises. Ce projet de loi consacre l’inversion de la hiérarchie des normes et ainsi atteint profondément le droit des salariés à gagner des avancées sociales grâce à la négociation, puisqu’il s’agit désormais de faciliter la remise en cause de tous les conquis sociaux pendant cent vingt ans de luttes du mouvement ouvrier. La primauté de l’accord d’entreprise, même moins favorable que l’accord de branche, va se développer dans la plupart des domaines (primes, indemnités diverses, congé de maternité…). La primauté de l’accord de branche sur la loi s’élargit considérablement (renouvellement des CDD, contrats de chantier). Cette orientation, vieille de quarante ans, va accentuer le dumping social, la mise en concurrence des PME-PMI et de leurs salariés, et donc encourager les bas salaires, le développement de la précarité et aggraver la pauvreté, comme on le constate en Angleterre et en Allemagne.

Au contraire, la CGT propose d’améliorer les droits de tous en renforçant les instances paritaires régionales (CPRI, CPRIA) mises en place pour favoriser le dialogue social dans les TPE-PME, d’étendre les garanties collectives aux travailleurs sans contrat de travail, à l’image de ce que revendiquent les jeunes livreurs de Deliveroo.

Le gouvernement veut permettre une négociation de gré à gré avec un salarié isolé et non protégé dans les petites entreprises. C’est le retour du pot de terre contre le pot de fer en vigueur au XIXe siècle.

La CGT préconise d’agir contre les milliers de licenciements qui frappent les délégués syndicaux dès qu’ils sont nommés et attend la loi d’amnistie promise en 2012. Au contraire, une étape supplémentaire dans la liberté de licencier sans contrainte est franchie en instaurant les ruptures conventionnelles collectives… Lutter contre la discrimination syndicale, premier frein au dialogue social, si on veut vraiment le favoriser, c’est impératif.

La fusion des instances représentatives du personnel (DP, CE, CHSCT) pourrait être rendue obligatoire. Cela entraînerait des pertes de moyens et de droits pour leur bon fonctionnement alors qu’il faudrait les renforcer. C’est aussi l’ensemble des questions et des enjeux autour du travail qui passerait à la trappe. Or, se réapproprier le travail est un enjeu majeur pour faire vivre la démocratie aussi dans l’entreprise.

La CGT propose un Code du travail simplifié, une sécurité sociale professionnelle, un renforcement de la citoyenneté dans l’entreprise, pour une démocratie sociale digne du XXIe siècle.

Des droits pour questionner les façons de produire par Sophie Béroud, politiste, université de Lyon-II Triangle et Baptiste Giraud, politiste, université d’Aix-Marseille

Dans le discours des élites gouvernantes, du patronat et d’une partie des syndicats, la référence à la démocratie sociale se réduit à l’idée de «  dialogue social  ». Elle se résume alors à la priorité donnée aux procédés de l’élection et de la négociation d’entreprise dans l’organisation des relations entre employeurs et salariés. Calquée sur le champ politique, la démocratie sociale aurait ainsi d’abord vocation à devenir une démocratie représentative où le vote jouerait un rôle central et quasi exclusif (que ce soit pour désigner des représentants ou par le recours au référendum). Et peu importe si le taux de participation aux élections des TPE n’a pas dépassé les 7,3 % des inscrits en janvier 2017, ou que les salariés appelés à s’exprimer soient soumis à un chantage à l’emploi. Dans le même temps, tout se passe comme s’il suffisait de multiplier les dispositifs de concertation et de négociation avec les représentants du personnel dans les entreprises pour créer les conditions d’une démocratie sociale optimale.

Or cette vision procédurale de la démocratie en entreprise fait abstraction des nombreux obstacles qui entravent la capacité des représentants syndicaux à défendre efficacement les intérêts des salariés. Dans le contexte d’une économie mondialisée et financiarisée, du recours massif à la sous-traitance, de la précarisation du salariat, les représentants syndicaux n’ont sans doute jamais été autant désarmés au niveau de l’entreprise pour faire contrepoids aux décisions patronales. Ils sont également confrontés au fait que la communauté de travail dépasse le plus souvent les murs formels de l’entreprise. Face à cette récupération de la notion même de démocratie sociale, il est urgent de débattre d’autres contenus, sans rester enfermés dans l’idée que la démocratie sociale se joue uniquement au niveau de l’entreprise. La tentation est parfois présente, dans différents univers militants, de concevoir la mise en place de coopératives de production et de distribution comme le moyen de sortir du carcan de l’entreprise capitaliste et d’organiser les relations de travail sur un mode plus démocratique.

Sophie Beroud Cette option a le mérite d’incarner un autre possible et de donner des pistes concrètes à des salariés en lutte pour la sauvegarde de leur outil de travail. Cependant, même lorsque ces projets coopératifs voient le jour, l’ambition émancipatrice de ces modèles alternatifs d’organisation du travail reste fortement contrariée par les contraintes que leur impose l’économie de marché. Les enjeux liés à la démocratie sociale ne se jouent donc pas uniquement au niveau de l’entreprise.

La portée et l’effectivité des droits alloués aux salariés et à leurs représentants dépendent aussi de ce qui se joue à d’autres niveaux, qu’il s’agisse des branches ou du niveau national et interprofessionnel, seuls à même de fixer des règles permettant de contenir l’emprise des lois du marché. Il ne peut y avoir de démocratie sociale au contenu offensif qu’à la condition de penser ensemble le renforcement des mécanismes d’intervention des salariés et de leurs représentants ajustés à la réalité économique et sociale de la communauté de travail, avec le maintien d’un système légal réellement protecteur de leurs droits sociaux.

Enfin, il n’y aura véritablement de démocratie sociale que lorsque les droits reconnus aux salariés permettront de questionner les façons de produire des biens et des services et la finalité de ceux-ci.

Texte collectif. Dialogue social  : plus de transparence pour construire la confiance

« Les Français détestent les réformes.  » Voici la phrase lancée par le président Emmanuel Macron lors de son allocution devant les expatriés français en Roumanie le 24 août dernier en évoquant la réforme sociale qui se prépare. Ces quelques mots, en plus d’accentuer les tensions, peinent à considérer la profondeur des raisons de la méfiance des salariés envers les entreprises.

«  Ils nous disent sans cesse que les affaires sont mauvaises. Ils nous demandent de nous serrer la ceinture. Mais peut-on les croire  ? On n’a aucun moyen de vérifier, on se fait trimballer…  » Lorsqu’on interroge les membres de comités d’entreprise (CE) comme nous l’avons fait dans le cadre d’une recherche menée tout au long de l’année 2016, cette absence de confiance saute aux yeux.

Les dirigeants maîtrisent en effet l’art et la manière de présenter les résultats de leur entreprise, et ce particulièrement lorsque des réductions d’effectifs sont à l’ordre du jour. Une première étude académique révèle que les grandes entreprises minimisent souvent leurs résultats comptables avant l’annonce de réductions d’effectifs afin de faciliter l’acceptation de la politique sociale menée (1). Une seconde étude montre pour sa part le décalage fréquent entre les raisons invoquées par les dirigeants pour justifier de telles opérations et la situation économique réelle de l’entreprise (2).

Bien que les élus du personnel soupçonnent ces manipulations, ils peinent à les prouver et/ou à les dénoncer. La défiance qui en résulte est massive et réduit d’emblée les possibilités de dialogue. Pour pallier cette difficulté, la loi permet aux CE de faire appel à un expert-comptable pour comprendre la situation financière de l’entreprise et tenter de rééquilibrer le rapport de forces avec les dirigeants. Cependant, seul un comité d’entreprise sur trois environ recourt à ces experts.

Comment expliquer cette faible utilisation  ? D’après notre étude, le fait que l’entreprise doive à juste titre supporter le coût de ces missions constitue un frein notamment dans les PME. Certains dirigeants traînent des pieds et sont tentés de faire pression sur les élus. Ils n’hésitent pas à exercer une forme de chantage en avançant, par exemple, que les sommes consacrées à cette dépense pourraient servir au versement de primes. Dans un tel contexte, certains élus préfèrent se focaliser sur les activités sociales et culturelles plutôt que sur les prérogatives économiques. Dans les grandes entreprises, bien que l’intervention d’experts-comptables au service des CE soit plus fréquente, les directions sont loin d’être toujours enchantées par ce jeu de la transparence.

Pourtant, lorsque des experts-comptables interviennent de manière régulière auprès des CE, nous constatons que la relation entre les élus et la direction évolue progressivement. Les premiers comprennent mieux les enjeux économiques et ont certaines cartes en main pour discuter les décisions de l’entreprise. Les seconds peuvent être intéressés par l’éclairage apporté par un expert indépendant. Une certaine forme de confiance peut alors commencer à s’instaurer, contribuant ainsi à la mise en place d’un véritable dialogue social.

Une telle évolution n’est pas hors de portée mais implique d’informer systématiquement les élus de cette possibilité. Notre recherche montre en effet que le non-recours à l’expert est parfois lié simplement à la méconnaissance du dispositif, soulignant ainsi certaines faiblesses dans la formation des élus. Dans ce contexte, la montée en compétences des élus sur les questions économiques apparaît comme un enjeu majeur pour rééquilibrer le rapport de forces entre dirigeants et salariés. Nous pouvons malheureusement craindre que la fusion des IRP prévue par la réforme annoncée ne vienne affaiblir la portée du dispositif de recours à un expert par les CE, puisque les élus devront multiplier leurs domaines de compétences alors même que les moyens qui seront mis à leur disposition pour ce faire restent encore à définir.

Signataires  : Christophe Godowski, centre de recherche en management de Toulouse, Emmanuelle Nègre, Montpellier, recherche en management, et Marie-Anne Verdier, laboratoire gouvernance et contrôle organisationnel de Toulouse.

(1) Verdier, M.-A., Boutant, J. (2016)  : «  Les dirigeants gèrent-ils les résultats comptables avant d’annoncer une réduction d’effectifs  ? Le cas des entreprises françaises cotées  », Comptabilité-Contrôle-Audit 22.

(2) Nègre, E., Verdier, M.-A., Cho, C., Patten, D. (2017), «  Disclosure strategies and investor reactions to downsizing announcements  : a legitimacy perspective  », Journal of Accounting and Public Policy 36.


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