Thèses du Parti Social-démocrate de Russie sur les nationalités

vendredi 8 décembre 2017.
 

1. Le paragraphe de notre programme (sur la libre disposition des nations) ne peut recevoir aucune autre interprétation que celle de la libre disposition politique, c’est-à-dire du droit de se séparer pour former un Etat indépendant.

2. Pour les social-démocrates de Russie, ce point du programme social-démocrate est absolument indispensable :

(a) tant au nom des principes fondamentaux de la démocratie en général ;

(b) qu’en raison de l’existence sur le territoire de la Russie (et qui plus est à sa périphérie) d’un certain nombre de nations marquées par des conditions d’économie, de mode de vie, etc., fortement distinctes ; de plus ces nations (comme toutes celles de la Russie à l’exception des Grands-Russes [2]) sont incroyablement opprimées par la monarchie tsariste ;

(c) enfin, en raison du fait que, dans toute l’Europe orientale (Autriche et Balkans) et en Asie, c’est-à-dire dans les pays limitrophes de la Russie, la transformation démocratique bourgeoise des Etats, soit n’est pas achevée, soit vient à peine de commencer ; or, cette transformation a conduit partout dans le monde, dans une mesure plus ou moins grande, à la création d’Etats nationaux indépendants, ou d’Etats formés des nationalités les plus proches et les plus apparentées entre elles.

(d) La Russie est aujourd’hui le pays dont le régime politique est le plus arriéré et le plus réactionnaire, comparé à celui de tous les pays qui l’entourent, depuis l’Autriche à l’Ouest, où les bases de la liberté politique et du régime constitutionnel se sont consolidées depuis 1867, et où le suffrage universel est maintenant instauré, jusqu’à la Chine républicaine à l’Est. C’est pourquoi les social-démocrates de Russie doivent insister, au cours de toute leur propagande, sur le droit de chaque nationalité à constituer un Etat séparé ou à choisir librement l’État au sein duquel elle veut vivre.

3. Comme la social-démocratie reconnaît le droit de toutes les nationalités à la libre disposition, il faut que les social-démocrates :

(a) manifestent une hostilité sans réserve envers tout emploi de la violence, sous quelque forme que ce soit, par une nation dominante (ou formant la majorité de la population) contre une nation désirant se séparer en Etat distinct ;

(b) exigent que la question de cette séparation soit réglée sur la base exclusive d’un vote de la population du territoire par un scrutin universel, direct, égal et secret ;

(c) mènent une lutte sans relâche, aussi bien contre les partis cent-noirs et octobristes [3] que contre les partis bourgeois libéraux (« progressistes » [4], cadets, etc.) à chaque fois que ceux-ci défendent ou admettent l’oppression nationale en général, ou nient le droit des nations à la libre disposition en particulier.

4. Le fait que la social-démocratie reconnaît le droit de toutes les nationalités à la libre disposition, ne signifie nullement qu’elle renonce à porter son propre jugement sur l’opportunité pour telle ou telle nation, dans chaque cas particulier, de se séparer en un Etat distinct. Au contraire, les social-démocrates doivent porter un jugement qui leur appartienne en propre, en tenant compte aussi bien des conditions du développement du capitalisme et de l’oppression des prolétaires des diverses nations par la bourgeoisie de toutes nationalités réunie, que des objectifs d’ensemble de la démocratie, et au tout premier chef, des intérêts de la lutte de classe du prolétariat pour le socialisme.

De ce point de vue, le fait suivant mérite tout particulièrement d’être pris en considération. Il existe en Russie deux nations que toute une série de conditions, liées à l’histoire et au genre de vie, ont rendues plus civilisées et plus individualisées que les autres ; elles pourraient mettre en pratique, de la façon la plus aisée et la plus « naturelle » que soit, leur droit à la séparation. Ce sont la Finlande et la Pologne. L’expérience de la révolution de 1905 a montré que, même dans ces deux nations, les classes dominantes, grands propriétaires et bourgeoisie, renient la lutte révolutionnaire pour la liberté et cherchent à se rapprocher des classes dominantes de Russie et de la monarchie tsariste, par peur du prolétariat révolutionnaire de Finlande et de Pologne.

C’est pourquoi la social-démocratie doit mettre en garde avec la plus grande énergie le prolétariat et les classes laborieuses de toutes nationalités, contre les mots d’ordre nationalistes à l’aide desquels « leur » bourgeoisie ne fait que les tromper ; avec ses discours douceâtres ou fougueux sur la « patrie », elle s’efforce de diviser le prolétariat et de détourner son attention de ses agissements à elle, la bourgeoisie, et de l’alliance à la fois politique et économique qui l’unit à la bourgeoisie des autres nations et à la monarchie tsariste.

Le prolétariat ne peut ni mener la lutte pour le socialisme, ni défendre ses intérêts économiques quotidiens, sans l’union la plus étroite et la plus complète entre les ouvriers de toutes les nations au sein de toutes les organisations ouvrières sans exception.

Le prolétariat ne peut pas conquérir la liberté autrement qu’en menant la lutte révolutionnaire pour le renversement de la monarchie tsariste et son remplacement par une république démocratique. La monarchie tsariste exclut la liberté et l’égalité en droits des nationalités ; de plus, elle est le principal rempart de la barbarie, de la brutalité et de la réaction, en Asie comme en Europe. Et la seule force capable de renverser cette monarchie, c’est le prolétariat uni de toutes les nations de Russie qui entraîne, parmi les masses laborieuses de toutes les nations, les éléments démocratiques conséquents et aptes à la lutte révolutionnaire.

C’est pourquoi l’ouvrier qui place l’union politique avec la bourgeoisie de « sa » nation au-dessus de l’unité complète avec les prolétaires de toutes les nations agit contre son propre intérêt, contre l’intérêt du socialisme et contre l’intérêt de la démocratie.

5. La social-démocratie qui lutte pour un régime d’Etat démocratique conséquent réclame une égalité en droits absolue des nationalités et combat tous privilèges, quels qu’ils soient, favorisant une ou plusieurs nationalités.

En particulier, la social-démocratie rejette la langue « officielle » . Celle-ci est spécialement superflue en Russie, car plus des sept dixièmes de sa population appartiennent à la famille des peuples slaves, qui, s’il existait un enseignement libre dans un Etat libre, parviendraient sans difficulté, en raison des exigences de la circulation économique, à se comprendre sans qu’il existe aucun privilège « officiel » en faveur de l’une des langues.

La social-démocratie exige que les vieilles subdivisions administratives de la Russie, instituées par les grands propriétaires féodaux et les fonctionnaires de l’Etat autocratique et féodal, soient remplacées par des subdivisions fondées sur les exigences de la vie économique contemporaine et mises en accord, dans la mesure du possible, avec l’effectif national de la population.

Toutes les régions de l’Etat qui se distinguent par des particularités dans le mode de vie ou par l’effectif national de leur population doivent bénéficier de larges pouvoirs administratifs propres et de l’autonomie, jouir d’institutions basées sur le suffrage universel et égal, à scrutin secret...


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