La vérité et l’eau sale médiatique (Jean-Luc Mélenchon)

vendredi 15 décembre 2017.
 

France-Info-la-honte-nationale avait décidé de me faire lyncher pour « n’avoir rien dit en hommage à Johnny ». Quelques-uns de ses collègues moutons de Panurge précisèrent même que je « refusais de participer à l’hommage à Johnny », crime dont chacun mesure la laideur dans un contexte d’adulation obligatoire.

Cependant, plusieurs journalistes réagirent quand même pour démentir cette invention. Il est vrai que ceux-là se sont donné la peine d’aller voir sur ma chaîne Youtube ce qu’il en était vraiment. Ils ont découvert que je m’étais exprimé. Autrement, il est vrai. Avec mes mots. Comme quelqu’un qui n’était pas un fan (un choix semble-t-il interdit), à ma façon raisonnée. Je m’en suis sorti à peu près indemne. Corbière a eu moins de chance. Pour un tweet mille fois incendié, il a même eu droit à sa dose de menaces de mort au siège du mouvement. Bravo les petits soldats du pilori médiatique ! Encore un effort et l’un d’entre nous finira par prendre un mauvais coup de la part d’un dingue. Ça fait des mois que c’est votre but avec vos buzz pourris tous les deux jours, non ?

Vibrant hommage de l’Assemblée nationale à Johnny : Ah que zut ! (Jeanne Fidaz, PG)

Bons souvenirs de Johnny Hallyday (Jacques Serieys)

S’il fallait un argument de plus, cet épisode ridicule de plus pour comprendre dans quel abîme est en train de sombrer l’info de « service public » de l’information politique, il est donc servi. J’ai donc proposé ici même que soit créé un tribunal déontologique des médias. Le mot « tribunal » est inadapté. Il sous-entend une vocation punitive qui n’est pas dans l’esprit du dispositif dont il est question. Le mot « conseil déontologique » est plus conforme à l’idée sur le sujet. Car il ne s’agit, le cas échéant, que de sanction symbolique, c’est-à-dire morale. Le point de départ : il n’existe aucun recours individuel ou collectif contre un manquement avéré aux règles de déontologie du métier de journaliste. Plusieurs textes ont été publié pour appuyer cette proposition. Thomas Guénolé s’est exprimé par une tribune dans Marianne.net et par une vidéo que j’invite à lire. J’ai trouvé aussi un texte d’Olivier Tonneau, paru dans Médiapart. Les deux ont fait un très grand effort d’argumentation.

Je crois en effet que l’argumentation est notre meilleur outil de conviction de masse. Car il ne s’agit pas de rallier nos signataires pour qu’ils soutiennent la condamnation du spectaculaire mauvais traitement dont j’ai été l’objet sur France 2 ou par France Info. Il s’agit de tirer d’un mal un bien. Il s’agit de créer un recours déontologique qui assainira une atmosphère devenue aujourd’hui insupportable. Il s’agit de défendre un bien commun : le droit de connaître la vérité d’aussi près que possible. J’ai bien noté l’assaut immédiat de quelques médiacrates contre l’idée : d’abord « c’est Mélenchon qui la propose ». Ensuite c’est « pour surveiller les journalistes et limiter leur liberté ». Et voilà. Quelques-uns ont poussé le corporatisme plus loin en invitant sur leur plateau Lenglet et Saint-Cricq pour recueillir leurs émouvantes pleurnicheries. Le monde à l’envers : présenter deux prototypes de l’abus de pouvoir médiatique comme de pauvres victimes et les repeindre en défenseurs de la liberté de la presse : un comble ! Ceci dit c’est une émission de divertissement et l’humour noir, c’est de l’humour. Merci à Yann Barthez d’avoir placé ces deux caricatures en position d’accusés, obligés de se défendre. Un seuil symbolique intéressant a été franchi. D’autant que la réponse de Lenglet sur la TVA des automobiles achetées en Belgique n’a pas arrangé son cas.

Le recours déontologique a pour objet de ne pas laisser pourrir de l’intérieur la liberté de la presse par l’abus de pouvoir que constitue la diffusion d’informations truquées. Il n’est pas possible de constater que 70% des gens déclarent n’avoir plus confiance dans les informations qu’ils reçoivent sans rien faire pour assainir la situation. Ce qui vaut pour la sphère politique vaut ici tout autant. Car si on montre souvent les liens mortifères entre politique et média, on devrait aussi réfléchir aux liens positifs qui devraient exister. Dans mon livre « Qu’ils s’en aillent tous » j’abordais cette question et les réponses qu’on pouvait imaginer en partant du droit d’être informé comme condition de base d’une démocratie politique. L’école et l’information sont les deux colonnes du temple républicain. L’école qui nous prépare à être citoyen en nous instruisant et en nous enseignant les méthodes de l’esprit critique, le système médiatique en nous fournissant l’information nécessaire à ce que nous puissions prendre notre part de la décision publique à bon escient c’est-à-dire en connaissance de cause.

Dans un système de monarchie présidentielle comme le nôtre, la citoyenneté vit rabougrie. Avec un système d’information purement et unilatéralement partisan comme il l’est, elle est tout simplement éteinte. Dans ce cas, en effet, la liberté de conscience ne trouve plus de point d’appui pour construire un point de vue. C’est pourquoi « le parti unique médiatique » doit être combattu sans relâche. Cette bataille n’est pas une affaire d’humeur, ni même d’engagement partisan. Quiconque veut vivre libre doit y prendre sa part. Ici nous emploierons la seule arme qui contribue par son usage même à la construction d’une conscience libre : élargir le champ de la responsabilité de chacun d’entre nous à la protection de la qualité de l’information. Le recours déontologique n’a aucun moyen de sanction sinon morale. Il importe qu’il en soit d’abord ainsi.

Car c’est de la Vertu en société dont nous parlons ici en revendiquant notre droit a être respecté comme intelligence et sensibilité. Car les menteurs, les manipulateurs, ont d’abord un préjugé dangereux à l’esprit : celui de la stupidité du public qui ne serait pas capable de se rendre compte de l’abus de pouvoir qu’ils commettent en essayant de nous faire prendre le faux pour le vrai. Je dis que c’est un préjugé dangereux comme je le dirai d’un médecin qui ne croirait pas à la science, un enseignant qui ne croirait pas les enfants éducables, un juge qui ne croirait pas l’être humain perfectible et ainsi de suite. On ne doit jamais perdre de vue que le goût de la liberté, en République, suppose qu’on en croit les autres, autant que soi, capables d’un usage raisonné. Mais la condition de cet usage raisonné de la liberté nous ramène a l’exigence d’éducation et d’information.

Si certains médiacrates refusent l’idée que l’on puisse critiquer leur travail, d’autres journalistes ont trouvé l’idée bonne et l’ont dit publiquement. Une telle instance existe déjà en Belgique, au Québec, en Suède ou en Suisse. Le premier syndicat de la profession, le syndicat national des journalistes (SNJ) a fait du conseil de la déontologie des journalistes une de ses revendications depuis 2012. L’association Acrimed avance aussi cette proposition. Les deux soulignent que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) ne peut pas remplir cette mission. Cela pour une raison simple : ses membres sont nommés directement par le gouvernement. Il ne peut être question qu’un organe gouvernemental soit responsable de juger les pratiques déontologiques des journalistes. Le SNJ et Acrimed penchent plutôt pour un conseil composé de représentants des journalistes, par le biais de leurs organisations syndicales et de représentants des usagers des médias, comme nous le proposons dans notre pétition. Acrimed insiste sur la nécessité d’avoir une représentation des journalistes précaires et pigistes qui composent la majorité des rédactions. Le Conseil aurait un pouvoir de sanction symbolique. Le Conseil de déontologie du journalisme qui existe depuis 2009 en Belgique peut, en cas de faute avérée contraindre le média à publier des excuses, un rectificatif ou un article complémentaire. Il ne s’agit pas ici de sanctions disciplinaires.

Ce conseil aurait aussi une vertu pédagogique. Il aurait un pouvoir d’enquête non seulement pour établir les fautes déontologiques éventuellement commises mais aussi pour mettre à jour les mécanismes dans la fabrication de l’information qui produisent ces fautes. Précarisation à outrance des conditions de travail des journalistes, pression sur des objectifs chiffrés comme le nombre de « clics », course aux annonceurs ou copinages à la tête des rédactions : l’analyse et la publicité des dysfonctionnements du système médiatique feront avancer la société toute entière. Le SNJ voudrait que le conseil de déontologie puisse effectuer ce travail « sans se limiter au travail du seul journaliste en première ligne ». En effet, il arrive que le journaliste de base, précaire ou pigiste, soit lui-même victime du système. Il doit d’abord produire un maximum d’articles en un minimum de temps et répondre à la commande des directeurs de rédaction pour gagner sa vie. S’il est pigiste, il ne peut pas forcément s’appuyer sur les services documentaires d’une rédaction pour vérifier une information. Il me semble que cela ouvre une autre vision du fonctionnement des médias en se préoccupant de l’importance des conditions de sa production.


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