2018 commence en Iran, par Vincent Présumey

lundi 8 janvier 2018.
 

Le jeudi 28 décembre des manifestations massives ont commencé en Iran sur des revendications concernant les salaires, le chômage, les retraites et la vie chère, à partir de la ville de Machhad. Avec une rapidité remarquable, elles se sont généralisées à tout le pays, et ont donc atteint la capitale, Téhéran, où de sérieux affrontements avec la police ont eu lieu ces derniers jours, les étudiants s’étant joints au mouvement, ce que la police semble avoir cherché à empêcher violemment. Il y a des centaines d’arrestations et l’on parle officiellement de 4 morts, mais le mouvement est toujours ascendant à l’heure où sont écrites ces lignes.

Tout se passe comme si le mouvement de 2009 reprenait soudain, au point où il s’était arrêté, c’est-à-dire au point où la province et les ouvriers et les pauvres commençaient à s’ébranler. Cette fois-ci ils sont à l’initiative. Le caractère salarial, voire syndical, des revendications, est souligné partout. On peut donc parler d’irruption soudaine du prolétariat iranien sur la scène politique.

C’est dans ce cadre qu’il faut analyser la politisation très rapide des mots d’ordre. La dénonciation de la corruption faisant le lien naturel entre revendications salariales et revendications démocratiques. Il est difficile de dire s’il est exact, comme l’entourage présidentiel et certains médias l’affirment, qu’à Machhad ce sont des secteurs "conservateurs" et même des bandes Bassidjis (historiquement les nervis du régime, recrutés dans le lumpen et la pègre), qui ont lancé ou tenté d’infiltrer l’explosion sociale en lançant des slogans contre le président Rohani – ce qui soulignerait la crise et la division du régime. Mais très vite se sont imposés des slogans simple qui sont ceux de 2009 : A bas la dictature, A bas le dictateur - ce qui vise, tout le monde le sait en Iran, l’héritier de Khomeiny, le « guide » Ali Khamenei. Ceci signifie, ni plus ni moins, le renversement du régime contre-révolutionnaire mis en place après 1979, la destruction de la "République islamique".

Élément politique d’une grande importance, le mouvement des femmes contre la contrainte vestimentaire, c’est-à-dire contre le voile islamique, ce drapeau mondial de la contre-révolution et de l’oppression, a préparé la vague présente de manifestations et s’y intègre, faisant de la photo d’une jeune femme brandissant son voile sur une pique, le mercredi 27, le symbole du mouvement actuel, et contraignant le chef de la police de Téhéran, dans la soirée du 29 décembre, à faire savoir que les femmes dévoilées ne seraient plus kidnappées par la police religieuse, probablement débordée par la situation générale. C’est là le début de la chute d’un pilier du régime tant symbolique que très matériel, qui situe d’emblée la situation actuelle à un niveau supérieur à celui de la première crise révolutionnaire du régime islamiste, en 2009.

Beaucoup d’ "éléments de langage" provenant du président Rohani et de ses services sont repris par les articles de commentaires et d’analyse de la situation présente. Outre les provocations possibles, au départ, de secteurs "conservateurs", sont évoqués l’apparition de mots d’ordre antireligieux – ce qui est censé jeter l’opprobre sur le mouvement du point de vue du régime, mais qui en souligne au contraire la profondeur - et même celle, ponctuelle de mots d’ordre monarchistes idéalisant le lointain passé. Ceci ne fait que souligner l’entrée de l’Iran en effervescence politique.

En fait l’un des mots d’ordre les plus populaires semble être le suivant : "Ni Gaza, ni Liban, je sacrifie ma vie pour l’Iran". L’évocation de "Gaza" ne signifie pas un rejet de la solidarité avec les Palestiniens mais le rejet clair de la rengaine obsessionnelle du régime sur "Gaza", et précisément le rejet de l’aide militaire et financière à Bachar el Assad, au Hezbollah, au Hamas, et aux Houtis yéménites, invoquée par les dignitaires politico-religieux comme des motifs saints et patriotiques pour l’austérité budgétaire et salariale. Le mouvement rejette donc, de cette façon, l’ensemble de la politique régionale de l’Iran. Les insurgés syriens qui résistent encore peuvent se dire qu’ils n’ont pas lutté en vain, nourrissant cette nouvelle étape du combat émancipateur en Iran.

Les tweets de Trump, les rodomontades de Netanyahou, les dénonciations saoudiennes, ne sont en rien des soutiens aux manifestants iraniens et sont d’ailleurs, bien entendu, utilisés contre eux. La réalité est que l’explosion iranienne menace autant la "République islamique" que l’ensemble des régimes de la région. L’État iranien, depuis 2013 en particulier, a joué de gardien régional de l’ordre en Irak, Syrie, Liban, dans le cadre des accords sur le nucléaire avec Washington et d’une coopération militaire avec Moscou. Cet activisme n’a conduit à aucun équilibre et, depuis deux ans, le spectre de la guerre avec l’Arabie saoudite se fait insistant. A l’encontre de tout affrontement destructeur entre "chiites" et "sunnites", l’explosion démocratique et révolutionnaire du prolétariat, de la jeunesse, des femmes et des peuples d’Iran cherche à rebattre toutes les cartes, remettant massivement dans le "jeu" cet acteur principal que tous les grands de ce monde, ouvertement ou hypocritement, espéraient avoir vu enterrer dans le sang du peuple syrien : la révolution.

A bas la "république islamique" !

Soutien total aux manifestants iraniens !


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