20 Heures : Le Media esquisse un contre-modèle (Daniel Schneidermann)

mardi 30 janvier 2018.
 

Seuls les imbéciles ne changeant pas d’avis, j’ai bien peur de devoir revenir sur ce que je disais l’autre semaine, à propos de l’adoption par Le Media des Insoumis, de cette forme ringarde et dépassée qu’est un journal de 20 Heures.

Soir après soir, comme dans un bain de révélateur, ce choix prend son sens. Et son sens, c’est l’émergence, dans la forme classique de la grand messe du soir, d’une véritable contre-hiérarchie de l’info. Jeudi 25 janvier, le journal s’ouvre ainsi sur la relaxe, au Palais de justice de Paris, d’un militant de Nuit debout, Loïc Canitrot, poursuivi par le MEDEF pour de prétendues violences lors d’une occupation du siège du patronat, violences dont la réalité n’a jamais été étayée. Le deuxième sujet est consacré à un discret bras de fer entre le ministère des transports et Bercy, à propos des exonérations fiscales sur l’achat des vélos électriques. Plus loin dans le journal, un long plateau est consacré à la condamnation en appel de l’ex-président brésilien Lula, avec une invitée brésilienne, qui revient sur le détail des accusations de corruption.

Au même moment, sur France 2, comme prévu, 17 minutes sont consacrées aux crues, et à l’attente languissante de la grande crue de la Seine et de ses affluents (les fleuves non affluents sont priés de faire la queue comme tout le monde). Au même moment, sur France 2, ce n’est qu’à la 14e de ces 17 minutes, après 14 minutes de barques et de parpaings sous les canapés, que sont abordées les causes de ces crues (changement des pratiques agricoles, pesticides qui appauvrissent la terre, etc). Et évidemment, chez Anne-Sophie Lapix, pas un mot sur la relaxe de Canitrot, ni sur le plan vélo.

A l’inverse, chez Aude Rossigneux et ses collègues, les inondations et l’accident d’un car de collégiens dans le Sud-Ouest, sont ramenés au rang de brèves, dans les entrailles du journal -la guirlande de brèves qui plombait le journal les premiers soirs, a d’ailleurs subi un ratiboisage bienvenu. Ah comme ça fait du bien, de voir se déployer une contre-hiérarchie de l’information, qui s’affranchit radicalement des paresseux empilements habituels !

Alors, bien sûr, on n’y est pas encore. Les moyens manquent cruellement. Pas de reporter au Palais de Justice pour la relaxe du militant de Nuit debout, qu’on se contente d’interviewer au téléphone. Le reportage à l’Assemblée sur les secousses du plan vélo ne montre que des images-prétextes, et ne dégage clairement ni les éléments précis, énoncés par Libé au début du mois (la réduction par Bercy, à compter du 31 janvier, d’une aide de 200 euros pour l’achat d’un vélo électrique), ni les enjeux stratégiques : la transition énergétique.D’autres sujets développés sont confus, et manquent de rythme. Ah, si Le Media disposait du dixième du budget de France 2 !

Mais ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est de montrer, par l’exemple, qu’il n’y a pas de fatalité du chien écrasé, et qu’on peut sortir enfin de l’attraction pour le modèle canonique de la télé privée. Car c’est une chose d’enrager soir après soir de voir la chaîne publique décalquer la hiérarchie de l’info des chaînes privées. Mais il manquait, pour rendre ces critiques crédibles, un contre-modèle, même à l’état d’esquisse. On dirait bien qu’il prend forme.

Daniel Schneidermann


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