Marché carbone européen La grande arnaque

samedi 17 février 2018.
 

Le 1er juin 2017, Emmanuel Macron twitte à la face du monde : « Make our planet great again ». Un pied de nez au Président Trump qui réduit la crise écologique à un complot chinois. Ce tweet, le plus partagé de l’histoire du réseau social en France, propulse Emmanuel Macron grand chevalier du climat. Depuis lors, il ne cesse de multiplier les démonstrations diplomatiques et les discours lyriques pour ériger la France au rang de première de cordée de la lutte contre le réchauffement climatique. Sa stratégie ? Faire du monde de la finance et des grandes multinationales les bienfaiteurs du climat. Parmi ses annonces à l’ouverture de la COP23 à Bonn en novembre 2017 : l’instauration d’un « prix plancher européen du CO2 à 30 euros la tonne ». Une annonce qui passe pour du charabia auprès des novices mais qui en dit long sur la vision écologique du président de la République.

Le marché des droits à polluer

« Le marché du carbone » qu’évoque Macron dans ce discours est un mécanisme qui permet d’échanger des droits d’émission de CO2 de la même manière que des titres financiers. Il a été mis en place en 2005 par le protocole de Kyoto, pour inciter les pays à investir dans des technologies plus propres afin de lutter contre le réchauffement climatique. L’Union Européenne a été la première à lancer son marché carbone pour atteindre ces objectifs. Il est actuellement le plus grand marché de ce type à l’échelle internationale, bien que la Chine ait récemment annoncé vouloir faire de même. Celui-ci vise à inciter les entreprises à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le jeu de l’offre et de la demande fixe de fait le coût de la tonne de carbone émise. L’objectif est louable : les émissions de gaz à effet de serre sont plus que jamais une urgence écologique à prendre en compte. L’UE est le troisième plus gros émetteur mondial de CO2 (3,47 milliards de tonnes en 2015), après la Chine et les Etats-Unis. Mais elle s’est fixée pour objectif de réduire ses émissions de 20 % d’ici 2020, et de 40 % d’ici à 2030, par rapport à leur niveau de 1990. Ce mécanisme s’applique à 11 000 installations industrielles qui totalisent 45 % des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Le principe, basé sur la règle du pollueur-payeur, fixe un plafond annuel d’émissions aux différentes industries. Celles qui le dépassent peuvent acheter des quotas supplémentaires à celles qui ne l’ont pas atteint. Elles échangent ainsi entre elles des tickets de « droits à polluer » qui font l’objet de nombreuses critiques.

L’échec

Ce grand marché virtuel a fait l’objet de nombreux rebondissements. En 2011, il est suspendu suite au vol de milliers de permis d’émission dans 14 pays. En 2013, un tel nombre de droits a été distribué qu’il a fait dégringoler les prix d’achats. L’Union Européenne a alors décidé de geler le nombre de quotas émis afin de faire remonter les prix. Depuis début 2012, la tonne de carbone peine à dépasser les 5 euros, alors qu’il était au départ de 30 euros, et que son prix devrait à minima dépasser les 20 euros, pour que le marché puisse espérer avoir un effet positif. Au-delà, c’est un système pas vraiment inquiétant pour les entreprises européennes, qui peuvent continuer à polluer autant qu’elles veulent tant qu’elles ont l’argent pour payer les droits ! De ce fait, le marché carbone est de plus en plus critiqué, notamment par les ONG.

Pourtant, l’Union Européenne tente de relancer son marché carbone depuis quelques mois. Les nouvelles règles de fonctionnement couvriront la période 2021-2030 avec pour objectif d’augmenter à 25-30 euros le prix de la tonne de C02. Pour y parvenir grâce au jeu de l’offre et de la demande, le nombre de quotas alloués chaque année sera réduit. Problème : actuellement, seul le secteur de la production d’électricité est soumis au système des enchères pour acheter leurs quotas. Les industries les plus polluantes, elles, se voient allouer gratuitement la plus grande partie, voire la totalité de leurs quotas. Au dire des experts, il s’agit d’éviter « la fuite de carbone », c’est-à-dire la délocalisation des activités de production dans des pays moins réglementés. Les pauvres entreprises, trop taxées, risqueraient de fuir ! Ainsi, les cimenteries, responsables de 8 % du total des émissions européennes, sont totalement exemptées d’enchères. Quel cadeau ! Du principe « pollueur-payeur » nous voilà passé au principe de « pollueur-gagneur » faute de protectionnisme écologique.

Business et environnement

Le marché carbone européen ne permettra pas à l’Union d’atteindre ses objectifs en matière de climat pour 2020 et 2050, selon plusieurs cabinets et think-tank européens. Et encore moins de la mettre sur une trajectoire compatible avec l’Accord de Paris. Comment prétendre sauver le climat avec un marché carbone alors même que 87% des émissions mondiales de CO2 ne sont pas tarifées. Pire, près de trois quarts des émissions qui sont couvertes par un prix du carbone ont un prix largement insuffisant inférieur à 10$. Les entreprises s’en accommodent très bien, et c’est précisément cela qui doit nous inquiéter. Pour atteindre l’objectif d’une augmentation de la température limitée à 2°C maximum par le jeu du marché tout en maintenant un développement économique, le prix du carbone à l’échelle internationale devrait au minimum être compris entre 50 et 100 dollars la tonne en 2030, selon le rapport de la commission Stiglitz-Stern publié en mai 2017.

Deux mondes s’opposent. Les écologistes réclament un changement radical des modes de production et de consommation pour plier l’ordre du monde aux limites imposées par la crise écologique. Par exemple, pour limiter réellement le réchauffement climatique, 80% des énergies fossiles doivent être laissées dans le sol. De quoi faire trembler les 90 principales entreprises productrices de pétrole, gaz, charbon et ciment qui sont à l’origine de 57 % de la hausse de la concentration atmosphérique en CO2 et de près de 50 % de la hausse de la température moyenne mondiale depuis 1880.

Pour qu’une politique climatique soit efficace, mettre un prix sur le carbone ne suffit pas, surtout par un mécanisme de marché au lieu d’une taxation. D’autant plus quand les subventions aux combustibles fossiles n’ont jamais été aussi conséquentes. Entre janvier 2014 et septembre 2017, 630 milliards de dollars de financements ont été accordés par les banques internationales à 120 entreprises qui prévoient développer massivement le charbon. Parmi ces banques, les banques françaises (Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole, et BPCE) leur ont accordé 10 milliards de financements depuis 2014. Et on note une augmentation de ces financements de 135% entre 2015 et 2016.

Un profond sursaut ne pourra venir que des états, en mesure de faire respecter l’intérêt général environnemental par le biais d’un droit intransigeant basé sur la règle verte. A l’inverse des écologistes, ceux qui tiennent les rênes du monde et de l’économie font tout pour protéger leurs affaires. A l’image d’un marché carbone qui se réduit à peindre en vert un système nocif, le marché, parce que la couleur est à la mode.

Manon Dervin


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