« Le Média », un outil citoyen sans complexe… mais plein de projets

lundi 19 février 2018.
 

Trois semaines après le lancement du « Media », sa co-fondatrice Sophia Chikirou dresse un premier bilan et évoque les projets à venir de ce nouveau média audiovisuel indépendant sur internet.

Vous êtes l’une des fondatrices du « Média ». D’où vous est venue cette idée ?

L’idée a germé un peu au même moment dans la tête de plusieurs personnes. Elle s’est exprimée pour la première fois clairement au lendemain du premier tour de la présidentielle ; le réalisateur Henri Poulain est venu me voir et il m’a dit : « Ce qui nous est arrivé est une honte, ce sont les médias qui nous ont tapés. Il faut un média de gauche, indépendant des puissants, parce que sinon tout le monde fera la campagne de Macron et nos idées n’auront aucune chance de percer ». C’est ensuite en juin, à l’occasion d’une rencontre avec notamment Henri Poulain et Gérard Miller que l’on s’est dit : « Faisons-le ! ». J’avais alors en tête comme modèle les « Young Turks », aux États-Unis, qui est un média audiovisuel sur internet qui existe depuis 10 ans et compte 3 millions d’abonnés sur Youtube et plusieurs dizaines de milliers d’abonnés sur leur site. C’est ce média-là qu’il fallait faire, un média à la fois engagé et sérieux sur le journalisme, qui suive des luttes sociales et écolos.

C’est ce que vous faites aujourd’hui avec « Le Média » ?

On essaye, en tout cas. Depuis le premier jour, notre priorité est d’envoyer des reporters chercher des images, sur les luttes sociales et écolos. Ce qui se passe sur le terrain. Récemment, en Grèce, il y a eu des manifestations contre Tsipras ; des dizaines de milliers de personnes dans la rue, des retraités, des petites gens, des syndicalistes... des gens comme nous ! On a cherché des images sur l’AFP pour illustrer. Qu’est-ce qu’on a trouvé ? Uniquement des images de casseurs en fin de manif. Par chance, on avait un correspondant du « Média » à Athènes qui avait couvert la manif, et quand on voit ses images à lui, c’est tout autre chose qu’on découvre. Du coup, on est les seuls à avoir montré des images de cette manifestation en France avec des gens « normaux ».

Vous voulez donner une large place aux « Socios », les abonnés du « Média », et aux correspondants citoyens. Quels sont les retours que vous avez sur cette expérience particulière dans le monde médiatique français ?

Cela a déjà été tenté. Mais avec nous cela marche. Pourquoi ? Parce que nous avons mis en place tous les outils de communication possibles avec les correspondants citoyens et tout le monde ici, au siège, peut les consulter. Ce n’est pas juste un community manager qui agit : cela fait partie de notre culture de travail à tous. Quand on a besoin d’images, on fait appel à eux. Parfois ce n’est pas possible, mais on essaie. Les correspondants se sentent concernés, on parle de leur travail. Ils ouvrent des portes qui resteraient fermées à nos journalistes et, souvent, leur regard ou leur analyse vont nous orienter.

Combien de pays sont ainsi couverts ?

À l’heure actuelle, nous avons 600 candidatures sur tous les continents. Ça représente une cinquantaine de pays. Maintenant, il faut les organiser et faire une sélection parce qu’il s’agit de faire de l’information, nous devons pouvoir être en contact avec eux, leur parler, les connaître, les tester, etc. Par exemple, récemment, il y a un correspondant qui nous a plantés sur un sujet. Cela arrive. Faire vivre un modèle participatif et inclusif, c’est du travail... parce qu’on est conditionnés par des années de hiérarchisation, de gens qui donnent des ordres, et par une société où tout est financiarisé et monétisé. Casser cela représente du travail. Les gens du monde des médias sont étonnés de voir ces correspondants qui ne participent pas pour de l’argent ! Nos correspondants sont en quelque sorte des militants de l’information.

Cela nous amène à la manière dont le monde médiatique perçoit votre existence. Il y a eu une réaction très violente sur le mode : « vous êtes le média de Mélenchon ». Est-ce qu’une telle violence est une surprise ?

Non. Non seulement je n’ai pas été surprise mais en plus je l’avais intégré dans la campagne de levée de fonds qu’on a faite. On s’est dit : « Ils vont nous faire le coup du média de Mélenchon, ne perdons pas de temps à nous défendre et faisons ». Et on a fait. Nous avons douze journalistes et aucun n’est un militant transformé en journaliste. Ce sont des journalistes engagés, ce qui est très différent.

Et qui viennent de médias très différents, y compris « de droite »...

Exactement : on est allé chercher ces journalistes avec toutes leurs expériences personnelles et professionnelles. Mais par ailleurs, quand on me dit « vous êtes le média de Mélenchon », pour moi, ce n’est pas une insulte ! Parce que dans l’espace culturel progressiste et humaniste, c’est la France insoumise qui est aujourd’hui dominante et qui forme la majorité. Si on me disait « vous êtes le média de Le Pen », j’aurais honte ! Mais là je n’ai pas honte, Mélenchon n’est pas un paria.

Pour les médias dominants, parfois, on a l’impression que si...

Ils font ce qu’ils veulent. Ils ne m’intéressent pas. Notre première réponse a été de ne pas leur répondre. Et ensuite de sélectionner les émissions auxquelles participer en fonction de ce qu’on sait qu’on va pouvoir y dire. Mais leur avis ne m’intéresse pas... pour une raison simple : ce que nous faisons est l’opposé de ce qu’ils font. Si un jour ils nous félicitent, c’est que nous aurons mal fait notre travail !

Cela fait maintenant trois semaines que vous avez commencé à diffuser. Quel est le premier bilan ?

Commençons par le positif. Le plus positif, c’est que cela existe ! Il y a quatre mois, on a donné un rendez-vous un peu follement le 15 janvier. Et on l’a tenu. On a honoré la promesse faite aux gens qui nous ont assez fait confiance pour nous financer avant même qu’on commence à exister. Et tous les jours à 20h, il y a bien un journal. C’est une grande réussite. Ce n’est pas si facile que ça à faire. Sur le fond, la qualité est là. Sur la forme, Henri Poulain a fait un beau travail qui nous donne une identité visuelle. Sur le nombre de « Socios », on peut être très satisfaits aussi : on en est à 17 000 « Socios ». C’est énorme en quatre mois ! Autre motif de satisfaction : les gens viennent nous voir. On a par exemple reçu Delphine Batho du PS, ou Jean-Frédéric Poisson pour la droite. Donc il y a du pluralisme. Les gens viennent et reconnaissent notre sérieux. Il y a beaucoup d’acquis en quinze jours.

Il y a aussi beaucoup de points qui ne sont pas satisfaisants. Ainsi, nous avons affronté en quinze jours ce qui peut arriver de pire pour un média en ligne : des problèmes techniques. Il faut les régler, même si les gens ne s’en rendent pas forcément compte car le site fonctionne globalement. Tous les outils d’interactivité prévus ne sont pas fonctionnels pour l’instant. Le journal que l’on fait n’est pas encore exactement celui qu’on voulait faire ! Notre réflexion est très large parce qu’il est arrivé une fois dans notre journal que l’on passe d’une actualité tragique – la mort d’un enfant en stage sur un chantier – à une autre actualité – les suppressions de postes chez Carrefour – sans transition. Si cela se fait sur TF1, nous nous ne voulons pas. On a encore des progrès à faire. Et parmi ceux-ci, que les journalistes comprennent qu’ils n’ont pas à se mettre à distance de l’information.

Combien de personnes font partie de l’aventure ?

L’équipe est divisée en trois pôles. Un pôle de journalistes (douze permanents et trois chroniqueurs pigistes), un pôle de production d’images et un pôle de communication. Ces trois pôles fonctionnent ensemble car sans chacun d’entre eux, il n’y aurait pas de journal. En tout il y a entre 35 et 40 personnes. C’est une petite entreprise. Nous faisons de l’artisanat et on en est très fiers. On ne veut pas passer à un modèle industriel qui tue tout et déshumanise tout.

Quels sont vos objectifs pour cette année ? Avez-vous des projets de nouvelles émissions ou de présence ailleurs que sur internet ?

Aller sur internet était le bon choix. Nous sommes le premier journal de 20h exclusivement sur internet. La moyenne d’âge des journaux télévisés, c’est 55 ans. J’aimerais qu’on soit le premier journal des jeunes. Le choix d’internet n’est pas celui du manque de moyens : c’est le choix de l’avenir. Notre développement demande aussi plus de « Socios ». Nous sommes 17 000 « Socios », nous aimerions en 2018 arriver à 30 000. Notre développement passe aussi par de nouvelles émissions : « Le monde libre », émission de débat avec Aude Lancelin, qui animera aussi « L’entretien libre ». On prépare une émission qui s’appelle « Dans la gueule du loup », avec Jacques Cotta, où il interroge des gens qui ne pensent pas comme nous. Il y aura « Astérisque », une émission de décryptage des mots comme « optimisation fiscale » ou « migrants ». Également une émission de sport qui se focalisera sur sa place dans la vie des gens. Une émission sur la francophonie qui s’appellera « De partout ». Une émission de spectacle vivant, « Sapiens ». Une grosse émission, « Arcadia », de conférences pédagogiques. Et enfin « Les essais », une émission de confrontation d’essais politiques, avec Gaël Brustier.

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour cette année ?

De prendre confiance en nous. D’être plus sûrs de nous. C’est incroyable comme les gens ne se font pas confiance et ont peur du regard des autres. Je suis quelqu’un qui pense que le regard des autres n’est qu’une prison et qu’il faut vraiment s’en débarrasser. Il faut oser faire les choses. Ne pas avoir peur de se tromper, d’être ridicule. Il faut toujours se dire : « Vas-y, moque-toi, mais fais-en autant ». Nous, on fait.

Propos recueillis pour L’Heure du peuple par Antoine Léaument


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