Le « mandat à vie » de Xi Jinping : malaise en Chine, envie d’exil

jeudi 15 mars 2018.
 

Le Parlement a modifié la Constitution pour permettre au chef de l’Etat de garder son poste au-delà de deux mandats.

Grand-messe de printemps de la vie politique chinoise, l’Assemblée nationale populaire (ANP) a réuni, lundi 5 mars, ses 3 000 délégués à l’ouverture d’une session 2018 lourde d’enjeux : le Parlement chinois devra entériner d’ici sa clôture, dans dix jours, une série d’amendements à la Constitution du pays, formulés début janvier par le Parti communiste chinois (PCC) et annoncés publiquement le 25 février. Parmi eux figure la suppression de la limite de deux mandats pour le président de la République populaire.

Cette proposition signifie que l’actuel secrétaire général du parti, Xi Jinping, que l’ANP confirmera sans surprise la semaine prochaine comme président, pour un deuxième quinquennat à la tête du pays, pourra solliciter de nouveaux mandats indéfiniment. Elle a provoqué un malaise palpable à tous les échelons de la société.

Son retentissement en Chine et à l’étranger a conduit le porte-parole de l’ANP à une mise au point dimanche 4 mars, lors de la conférence de presse officielle précédant l’ouverture des travaux parlementaires. Il s’agit, a précisé en substance Zhang Yesui, d’aligner les règles en vigueur pour la présidence du pays, avec celles qui régissent la direction du parti et de l’armée : aucune limite temporelle n’est en effet prévue aux postes de secrétaire général du parti et de président de la Commission militaire centrale, tous deux occupés par Xi Jinping. Ce « réalignement » est propice à « maintenir l’autorité du Comité central du parti, dont Xi Jinping est le noyau dirigeant », a justifié M. Zhang.

« Choc énorme »

Durant toute la semaine, la presse officielle a dû défendre l’impérieuse nécessité d’un leadership fort « afin de réaliser le rêve de renaissance de la nation chinoise » – tout en brocardant, à l’image du Global Times, un « système de valeurs occidental qui s’écroule » et notamment la « démocratie en phase d’ulcération rapide ». Le verrouillage du système politique chinois par le Parti communiste laisse peu de marge à l’expression d’une opposition au sein du Parlement lors du vote des amendements, le 11 mars.

En Chine, les discussions sont restées privées, mais extrêmement animées, rompant avec l’indifférence qui avait accueilli les étapes précédentes de la consolidation de son pouvoir par Xi Jinping. « Cela a été un choc énorme. Tous mes amis en parlent. L’un deux dit que le parti a ses propres mécanismes pour réguler en interne le pouvoir. Mais moi, je considère qu’on a déjà un parti unique, alors un président qui ne part plus… On dit toujours que les employés doivent obéir aux règles, mais que les patrons, eux, peuvent les changer à leur guise. C’est ce qui se passe », expliquait, sous couvert d’anonymat, une jeune femme de Chengdu qui travaille dans l’éducation et est membre du Parti communiste.

A Hongkong, le quotidien Ming Pao, pourtant d’ordinaire très favorable aux autorités chinoises, a publié dès le 27 février un éditorial pour exprimer les « doutes » de sa rédaction quant au « mandat à vie » qui se dessine pour l’homme fort de Pékin. « Le PCC doit répondre à la question de comment il peut garantir la stabilité de la transition du pouvoir désormais, après l’adoption de changements constitutionnels abolissant la limite du nombre de mandats présidentiels », y lit-on.

L’effort de censure nécessaire pour contrer la vague de critiques qui se sont exprimées par des moyens détournés sur Internet témoigne de son ampleur. L’observatoire des médias chinois de l’université de Berkeley a répertorié sur son site, China Digital Times, près d’une centaine de termes nouvellement bloqués sur le Twitter chinois, Weibo, comme « Xi Zedong » (en référence à Mao), « aller contre le courant de l’Histoire », « monter sur le trône » ou même « émigrer ». Le moteur de recherche chinois Baidu a en effet enregistré un pic de consultations autour des services d’émigration à l’étranger, une information pour le moins embarrassante, mais qui avait dans un premier temps échappé à la censure.

« Vraiment grand »

La reprise ce week-end par CNN de propos qu’aurait prononcés samedi, en Floride, Donald Trump, au sujet de Xi Jinping – « il est désormais président à vie, vous voyez, il a été capable de le faire, je pense que c’est vraiment grand » – a laissé place à des écrans noirs le temps de la séquence sur les téléviseurs ayant accès à la chaîne américaine.

Parmi les rares personnalités à avoir fait part publiquement de leur indignation, Li Datong, un ancien cadre de la presse officielle limogé en 2005 pour ses vues trop libérales, dit avoir reçu des milliers de messages de soutien. « Mais beaucoup disparaissent, comme si quelqu’un vidait ma boîte email », nous indique-t-il au téléphone, lundi 5 mars.

M. Li avait publié, le 26 février sur la messagerie chinoise WeChat, une lettre ouverte aux 55 représentants de Pékin à l’Assemblée pour les inciter à voter contre le nouvel amendement, leur rappelant que « la Constitution de 1982 a imposé une limite à deux mandats aux dirigeants chinois, du fait de l’immense souffrance qu’a apportée au parti et au peuple chinois la Révolution culturelle ». Cette décision avait été « historique » car elle imposait une « barrière légale aux individus tentés de devenir des dictateurs », écrit-il.

M. Li confie n’avoir pas souhaité que cette lettre se transforme en « pétition » signée par d’autres, malgré de nombreuses propositions en ce sens. « Je n’ai pas voulu que d’autres gens prennent des risques », dit-il. L’ancien rédacteur en chef de Bingdian, supplément du Quotidien de la jeunesse avant sa reprise en main, n’a pas été approché par la police, mais par son ancien employeur : « Ils ont fait une réunion au journal pour discuter de ma lettre ouverte et ont envoyé un chef adjoint me dire que je devrais arrêter de parler, car cela a trop d’influence ». « Que peuvent-ils donc faire à un vieux retraité comme moi ? On verra bien combien de temps dure cette farce ! », siffle-t-il. Pour l’ex-cadre du parti, « personne ne peut ainsi se mettre en travers du chemin qu’emprunte la Chine vers un degré minimum de civilisation ».

Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)


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