1) Le contexte historique peu flatteur pour la droite française
2) Guy Moquet
3) Lettre de Guy Moquet à la veille de sa mise à mort par les nazis le 22 octobre 1941
4) Effacement de l’histoire et culte mémoriel par le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire
5) Position CGT
6) Position du SNES
7) Le 22 octobre nous ne laisserons pas Sarkozy récupérer Guy Moquet (par SUD Education)
8) REACTION DE COMMUNISTES A LA DECISION DE NICOLAS SARKOZY
9) Communiqué du Secrétariat national du Parti Socialiste CONCERNANT LA LECTURE DE LA LETTRE DE GUY MOQUET
10) Communiqué LCR
11) Poème : Les fusillés de Châteaubriant de Réné-Guy Cadou
La Seconde guerre mondiale a commencé début septembre 1939. Le 10 mai 1940, se déploie l’offensive allemande dans les Ardennes ; deux mois plus tard, l’armée française s’est complètement effondrée. Le 10 juillet 1940, les parlementaires de droite ( et un nombre important de "gauche") "élisent" à la tête du pays le maréchal Pétain sur une orientation fasciste traditionnaliste de collaboration avec le nazisme. Les élus communistes ne participent plus aux réunions de l’Assemblée nationale depuis l’interdiction de leur parti.
L’armée d’Adolf Hitler occupe une grande partie de la France dont le Nord, l’Est, la Région parisienne et la façade atlantique (Nantes, Bordeaux).
Le 22 juin 1941, l’armée hitlérienne attaque l’URSS qui porte alors en totalité le rapport de force militaire face au fascisme. Le Parti Communiste interdit entre dans la clandestinité ; il est le seul à prendre des initiatives militaires de Résistance : déraillement d’un train de soldats allemands à Nantes... Dans ces conditions, le choix fait par la droite française au pouvoir avec Pétain de tout faire pour détruire le Parti Communiste relève seulement d’une aide directe à Hitler, Franco, Mussolini et compagnie. Dans le cas de Guy Moquet, membre des Jeunesses Communistes, cela se traduit par le fait qu’il a été dénoncé pour distribution de tracts par deux policiers français. Il a été arrêté par des policiers français. Il a été interné suite à un décret de l’Etat français pris à l’encontre des communistes. Il a été gardé par des gendarmes français à Chateaubriant et il sera choisi pour être fusillé par des Français.
La droite française liée à tous les milieux profiteurs du pays ( colonisation...) sort de la période du Front Populaire où elle a vu, horrifiée, des ouvriers bénéficier de congés payés. Se retrouvant au pouvoir grâce à la victoire d’Hitler, elle est décidée à faire payer aussi les syndicalistes de la CGTU qui ont obtenu pour les salariés de nouveaux droits. Cette droite française revancharde emprisonne puis choisit pour être fusillés des syndicalistes comme Timbaud, Poulmarch, Grandel... Prosper Moquet, père de Guy, est cheminot, responsable syndical de la CGTU ; son fils va à coup sûr payer aussi pour lui.
Ces deux derniers mois, nous avons entendu des historiens et personnes de droite, insister sur le pacte germano-soviétique de 1939 pour expliquer cette furie sanguinaire. Cela ne tient pas pour plusieurs raisons. En voici trois.
Premièrement le PC est alors engagé dans la Résistance alors que les élus de droite sont engagés dans la collaboration.
Deuxièmement, parmi les 27 fusillés de Chateaubriant, 25 sont militants du Parti Communiste ; deux autres ont été des opposants au pacte germano-soviétique (dont Jean Paul Guéguen, trotskyste Quatrième Internationale).
Troisièmement, en 1941, des cadres de droite poussent à écraser complètement la gauche, fondamentalement pour les mêmes raisons que celles de la droite et du patronat lorsqu’ils ont installé le fascisme en Italie, Allemagne, Espagne... : écraser le syndicalisme et la gauche anticapitaliste.
Qui a établi la liste des fusillés ?
C’est Pierre Pucheu Ministre de l’intérieur du gouvernement de Pétain.
Qui était Pierre Pucheu ?
Le grand patron des forges françaises qui, dans les années 1930, finançait les ligues fascistes, les croix de feu, ainsi que la cagoule, et qui en 1936 au moment de la signature des accords Matignon disait :
"Si les salariés veulent gagner plus,
ils n’ont qu’à travailler 50 heures par semaine."
Si l’on veut parler de l’histoire, il faut tout dire, c’est pourquoi, je citerai ci-dessous un extrait d’un article publié dans le journal de l’amicale des fusillés de Châteaubriand.
"La chose la plus terrible est que la liste des fusillés fut établie par les Français et que c’est un officier qui fit l’appel. On croit rêver."
Nous ne devons pas oublier que Pucheu
et ses amis de la haute finance, disaient et écrivaient :
"Mieux vaut Hitler que le Front populaire"
Car Pucheu, comme le soulignera Fernand Grenier
"sait combien d’années de luttes quotidiennes sont nécessaires pour former des dirigeants de fédérations syndicales ouvrières, comme Michels*, Timbaul*, Poulmarch*, Granet*, Vercrusse* ( tous des secrétaires généraux de fédérations de la CGT).
Le misérable calcul, inscrire ceux-là en première place des hommes à fusiller, c’est amputer la classe ouvrière. Les fusillés des SS vont rendre service à la grande bourgeoisie française en rayant du monde des vivants les meilleurs de ceux qui la combattent..."
Prosper Moquet, député communiste du XVIIème arrondissement, est arrêté le 10 octobre 1940 et condamné à cinq ans de travaux forcés.
Son fils aîné Guy, âgé de 16 ans, poursuit ses études au lycée Carnot tout en menant une activité militante avec les Jeunesses Communistes ; il est arrêté le 13 octobre 1940 au Métro Gare de l’Est par des policiers français ; conduit au commissariat il est violemment passé à tabac pour qu’il révèle les noms des amis de son père. Il est important de noter cette date du 13 octobre 1940 ; à ce moment-là l’armée allemande d’occupation se désintéresse complètement de l’arrestation de communistes ; elle ne commencera à s’y intéresser qu’à partir de juin 1941 et de l’attaque sur l’URSS. C’est donc seulement la détermination anticommuniste de la droite française qui porte la responsabilité de son arrestation.
Emprisonné à Fresnes puis Clairvaux, Guy est ensuite transféré au camp de Chateaubriant en Loire Atlantique où étaient détenus d’autres Résistants.
Nous savons que Guy Moquet, malgré une discipline sévère, contribua à apporter un peu de joie parmi les internés, en particulier dans la "baraque des jeunes". Il s’éprend d’une jeune communiste également prisonnière, Odette Leclan.
Le 20 octobre 1941, Karl Hotzle, commandant des troupes d’occupation de la Loire-inférieure (Nantes), est exécuté. Le ministre de l’Intérieur du gouvernement Pétain, nommé Pierre Pucheu, particulièrement anticommuniste, décide en représailles, la mort de 50 militants de la région nantaise dont 27 à Chateaubriant. Sur ces 27, 17 ont été choisis par les soins de Pucheu et consorts.
Deux jours plus tard, neuf poteaux sont dressés à la Sablière, vaste carrière à la sortie de Châteaubriant.
Dans les camions qui les conduisent au peloton d’exécution, Guy écrit à Odette son amie du camp, sur un petit bout de papier, regrettant de n’avoir pas eu le baiser qu’elle lui avait promis : " Je vais mourir avec mes 26 camarades. Nous sommes courageux. Ce que je regrette est de n’avoir pas eu ce que tu m’as promis. Mille grosses caresses de ton camarade qui t’aime. Guy."
Les gendarmes français font du zèle anticommuniste au service des nazis. Aussi, la seule réaction face à leurs bourreaux est celle de Jean-Pierre Timbaud qui crache sur le lieutenant de gendarmerie Touya.
En trois groupes, les 27 otages s’appuient aux poteaux, refusent qu’on leur bande les yeux et sont fusillés. Guy Môquet, le plus jeune, est abattu à 16h00.
Avant son exécution, il a écrit une lettre à sa famille où il s’adresse en particulier à "son tout petit frère adoré" pour lui donner ses vêtements. Ce jeune frère de Guy Môquet, Serge, âgé de 12 ans en 1941, sera traumatisé par la mort de son aîné et ne lui survivra que de quelques jours.
"Ma petite maman chérie,
mon tout petit frère adoré,
mon petit papa aimé,
Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose. Je n’ai pas eu le temps d’embrasser Jean. J’ai embrassé mes deux frères Roger et Rino. Quant au véritable je ne peux le faire hélas ! J’espère que toutes mes affaires te seront renvoyées elles pourront servir à Serge, qui je l’escompte sera fier de les porter un jour. A toi petit papa, si je t’ai fait ainsi qu’à ma petite maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m’as tracée.
Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j’aime beaucoup. Qu’il étudie bien pour être plus tard un homme.
17 ans 1/2, ma vie a été courte, je n’ai aucun regret, si ce n’est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michels. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c’est d’être courageuse et de surmonter ta peine.
Je ne peux en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi maman, Serge, papa, en vous embrassant de tout mon cœur d’enfant. Courage !
Votre Guy qui vous aime
Guy
Dernières pensées : Vous tous qui restez, soyez dignes de nous, les 27 qui allons mourir !"
4)Effacement de l’histoire et culte mémoriel par le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire
Faut-il lire la lettre de Guy Môquet dans les lycées ?
Le 22 octobre prochain, la lecture de la dernière lettre de Guy Môquet sera l’occasion de ce qui pourrait passer pour une cérémonie de plus, dans le Panthéon résistant. Il n’en est rien : c’est un véritable programme commémoratif que le Bulletin officiel de l’Éducation nationale du 30 août organise dans les lycées. Promotion soudaine d’une figure patriotique, présentée comme exemplaire, place centrale accordée à l’école pour la lecture d’une « lettre », dimension strictement nationale de la célébration : tout cela n’est pas sans susciter des interrogations sur les causes profondes de cette fabrique à « flux tendu » d’un héros pour la jeunesse.
La rapidité de la découverte puis de la promotion de Guy Môquet par le candidat Sarkozy devenu chef de l’État a de quoi surprendre. Jusqu’au printemps 2007, la principale figure célébrée par le leader de l’UMP était Georges Mandel, homme de droite assassiné par la Milice parce que juif, au lendemain de l’exécution du collaborateur Philippe Henriot par la Résistance. Pourtant, dès le 15 mai, le premier geste du nouveau pouvoir consiste à réinventer la mémoire résistante : la dernière lettre de Guy Môquet, promue au rang d’archive exemplaire, est surajoutée à la commémoration des fusillés de la cascade du bois de Boulogne. Image de l’émotion officielle, objet de la « première décision » présidentielle, elle devient une véritable affaire d’État : désormais, elle devra être lue solennellement dans chaque lycée à chaque rentrée scolaire. L’hommage posthume fait à Guy Môquet incarne l’« ouverture mémorielle » qui annonce l’ouverture politique.
Cet usage politique n’est pas anodin : il entraîne des effets pernicieux sur la connaissance du passé ainsi instrumentalisé : Guy Môquet semble se résumer à sa mort, à l’invocation de la famille et de la patrie qui ponctuent sa dernière lettre. La Résistance est réduite à la seule perspective du sacrifice. Ainsi la spécificité du combat de Guy Môquet est-elle éludée : le caractère communiste de son engagement, la singularité de son courage au moment où le Parti communiste, interdit par la République dès 1939, ne résistait pas encore officiellement, sont escamotés. De même, son arrestation par la police française, ldes autorités de Vichy qui désignent spécifiquement parmi les otages une liste de militants communistes à fusiller sont passées sous silence. Toutes les singularités et les complexités de la Résistance disparaissent derrière l’écran blanc ddernière lettre sortie de son contexte.
On pourrait supposer que les enseignants chargés de lire la lettre aient précisément pour tâche de restituer ce contexte et ces enjeux. Mais la façon dont la cérémonie est prévue par le texte et déjà organisée en plusieurs lieux montre qu’il n’en est rien : tout est fait pour que l’école fabrique un mythe patriote en lieu et place d’une interrogation critique, aussi chargée d’émotion puisse-t-elle être. C’est en effet une véritable cérémonie de monument aux morts qui est prévue dans un certain nombre d’établissements, inventée pour l’occasion. Le public scolaire dont on attend le « recueillement » y préfigure celui du 11 Novembre, les Résistants occupent la place des anciens combattants et la lettre celle du monument funéraire. Entre usage rugbystique de la lettre et cérémonie scolaire, tout se passe comme s’il s’agissait de mettre en place des bataillons de la mémoire dont les enseignants seraient les nouveaux « hussards noirs », au service d’une mémoire aussi étroitement nationale que largement amnésique.
La place donnée à l’école dans cette cérémonie et les formes suggérées pour son organisation indiquent une double visée : restauration de l’ordre social et restauration de l’unité nationale. L’ordre cérémoniel est la traduction sous forme rituelle de la lettre aux éducateurs envoyée par le même donneur d’ordres ; restauration de la hiérarchie, des « valeurs » et du vouvoiement : Guy Môquet le militant est utilisé à contre-emploi. Le message présidentiel n’en a cure, il soumet l’histoire à son usage par ses directives très claires : « Aimez la France car c’est votre pays et que vous n’en avez pas d’autre. » On ne peut mieux indiquer l’usage politique ainsi visé : l’union sacrale dont l’école doit être la garante permet d’effacer toute « tache » mémorielle : de la responsabilité de l’État français dans la déportation et l’extermination des juifs à la non-reconnaissance des massacres coloniaux, de la répression du 17 octobre 1961 à l’oubli des anciens combattants « ex-colonisés », etc. On peut observer une singulière concomitance entre la monumentalisation de la figure de Guy Môquet dans une cérémonie scolaire et les remaniements des programmes d’histoire des filières techniques qui font disparaître comme thèmes d’enseignement aussi bien Vichy que les guerres d’Indochine et d’Algérie ; entre la réinvention d’une mémoire résistante purement nationale et unanime et les créations successives d’une Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et d’un Institut d’études sur l’immigration et l’intégration, sur fond de projets de musées régionaux tendant à exalter l’oeuvre coloniale de la France. On peut enfin trouver que la célébration de l’amour exclusif de la patrie devant un public de lycéens comprenant des élèves sans papiers que le gouvernement entreprend d’expulser confère à cette cérémonie un caractère objectivement cynique.
Le chef de l’État a annoncé publiquement vouloir la « fin de la repentance », ce qui signifie le refus de reconnaître désormais de façon officielle la responsabilité de la France sur la scène publique et la volonté explicite de mettre fin à tout débat à ce sujet. Célébrer la figure sacrificielle d’un Guy Môquet purement patriote, c’est recréer un culte unanimiste de la nation en lieu et place de toute interrogation critique sur la mémoire nationale, en escamotant les enjeux les plus actuels de la recherche et de l’enseignement de l’histoire. Chaque acteur de l’espace scolaire jugera de l’attitude qui lui paraît la plus juste, mais il ne nous apparaît pas possible, en tant qu’enseignants, comme en tant que chercheurs, de cautionner d’une façon ou d’une autre une telle contrefaçon mémorielle.
5) Position d’Eric Ferreres, CGT (article dans L’Huma)
La décision du président de la République de faire lire dans les lycées, à chaque rentrée scolaire, la lettre de Guy Môquet a suscité de nombreuses réactions et interrogations.
En effet, le combat politique dans lequel s’inscrivait Guy Môquet est gommé dans le discours du président de la République au profit de l’exaltation de la seule « fierté de la France » qui aurait guidé, selon lui, le jeune résistant. Exit la lutte antifasciste, l’internationalisme, l’idéal d’émancipation humaine, d’égalité, de démocratie, qui animait le jeune résistant et ses camarades.L’application de l’injonction présidentielle soulève pour sa part une double question.En premier lieu, celle de l’intervention directe du chef de l’État dans l’enseignement de l’histoire. En second lieu, celle non moins inquiétante d’une lecture hors contexte et ritualisée de la lettre de Guy Môquet qui, déliée, sortie de l’histoire, pourrait même conduire les élèves à des contresens.
Si lecture il doit y avoir, la lettre de Guy Môquet doit être resituée dans un cadre historique permettant de connaître et de comprendre le contexte et les raisons de l’engagement de ce jeune résistant communiste contre Vichy et l’occupant nazi.
Cette affaire conduit à s’interroger sur les contenus de l’histoire enseignée. À cet égard, la CGT souligne, une nouvelle fois, les conséquences négatives du peu de place qu’occupe l’histoire sociale et plus généralement le mouvement social dans l’enseignement de l’histoire.
6)Position du SNES
Une note de service du ministre, parue au BO du 30 août 2007 précise les nouvelles modalités de lecture de la lettre de Guy Môquet. Celle-ci doit avoir lieu le 22 octobre, jour de la commémoration par le chef de l’État de la mort de Guy Môquet. Tous les lycéens de France seront en « communion » avec le Président à cette occasion, qui sera, on peut le prévoir, un grand moment médiatique. Sans revenir sur le détournement décomplexé qui est fait de l’engagement résistant du jeune communiste, l’instrumentalisation de l’histoire a largement été soulignée(1). Au-delà de cette seule question, comment accepter que l’école devienne le lieu de création factice d’une Union Sacrée, acritique par le biais d’une cérémonie commandée ? On peut concevoir qu’il soit possible de contextualiser, de tirer partie de l’injonction pour faire venir un intervenant, etc. Ce qui signifie quand même qu’on accepte d’arrêter séance tenante tout ce qu’on est en train de faire pour consacrer son cours au sujet choisi par le Président. Au passage, bien des professeurs d’histoire se demandent comment ils vont contextualiser sérieusement cette lettre en dehors du chapitre consacré à la France pendant la guerre et à la Résistance. Mais à combien d’autres commémorations faudra-t-il ensuite se plier ? Certains ont déjà pris leur décision : ils ne liront pas la lettre ce jour-là. La circulaire ne nous oblige en rien à participer, aucun professeur n’est sommé de lire la lettre. Avec eux c’est mieux, mais en cas de « résistance », on peut faire sans. D’une manière ou d’une autre, il faudra prendre position : se taire, ou dire aux élèves ce qu’on en pense, ou les faire débattre sur le sens de cette journée. On pourrait alors être tenté de prendre les élèves à témoin des contradictions et des dérives de l’exécutif, ce qui interroge notre souci de neutralité ou d’objectivité par rapport à une situation politique. Car c’est bien de politique qu’il s’agit. Peut-on prendre le risque que la journée transforme le lycée en arène politique ? Face à cette situation inédite, une autre position tenable : le refus collectif de l’équipe éducative. Elle a l’intérêt d’éviter le positionnement politique en classe et donc se justifie par notre déontologie professionnelle. Un rapport de l’inspection générale de 1998 a d’ailleurs dénoncé le « zapping commémoratif » comme contre productif. Il n’est pas défendable de fonder l’enseignement sur le recours à l’émotion, ni d’obéir sans condition à une prescription présidentielle, venant perturber une progression pédagogique construite selon une logique précise s’inscrivant dans le respect des programmes. Le SNES ne peut cautionner cette entreprise commémorative décidée par le seul chef de l’exécutif. Il n’accepte pas que les enseignants y soient associés malgré eux, ne serait-ce qu’en suspendant leurs cours pour accompagner les élèves à une cérémonie qui aurait lieu dans l’établissement. Il appelle l’ensemble de la communauté éducative des établissements concernés à construire collectivement ce refus, à l’expliciter auprès des parents d’élèves, afin de lever tout malentendu. Il soutiendra toutes les démarches collectives allant dans ce sens. Alice Cardoso, Valérie Sultan (1) Voir l’article paru dans L’US du 15 juin 2007 et le site du CVUH.
ATTENTION, RISQUE DE ZÈLE Non seulement la circulaire ministérielle ne nous paraît pas défendable dans son application, malgré les précautions prises, mais certains recteurs et chefs d’établissement se sont même permis des interprétations douteuses. Alors que la circulaire précise bien qu’elle s’applique aux lycées, des recteurs ou des principaux de collège ont pris l’initiative de l’étendre aux classes de Troisième. Les collègues concernés n’auront donc aucun état d’âme à refuser ce que le Bodu 30 août ne prévoit pas. Ailleurs, un proviseur, face à la réticence des enseignants sur cette journée, a pris l’initiative d’organiser une cérémonie caricaturale, avec sonnerie aux morts, hymne national et lever des couleurs (voir le courrier des lecteurs). Dans tous les cas et face aux initiatives locales qui apparaîtraient illégitimes et dévoyant la nature même de nos missions, contactez la section académique du SNES. De même, n’hésitez pas à nous adresser un courrier pour nous faire part de la situation dans votre établissement (alice.cardoso@snes.edu).
USAGES RUGBYSTIQUES DE GUY MÔQUET Dans le matraquage médiatique autour de la Coupe du monde de rugby, a été longuement commentée une information singulière : avant de disputer et de perdre leur premier match, les rugbymen français ont subi la lecture de la dernière lettre de Guy Môquet, lue par un des joueurs remplaçants. L’usage de cette lettre est bien apparu comme un enjeu dans la communication du pouvoir qui, en diffusant largement son existence et sa teneur, en a fait un objet susceptible des usages les plus divers, les moins maîtrisés, les plus décontextualisés (ici évidemment nul prof d’histoire pour mettre les choses en perspective), les plus indécents aussi. Ce n’est pas la première ou la dernière fois que le sport fait écho à l’histoire nationale, on n’est jamais allé aussi loin dans l’assimilation « match » = « résistance » ; « équipe » = « patrie » ; et dans le détournement de la période. Cet épisode ne joue guère en faveur de l’initiative présidentielle...
7) Le 22 octobre nous ne laisserons pas Sarkozy récupérer Guy Moquet (par SUD Education)
Nous ne lirons pas la lettre de Guy Môquet dans les établissements scolaires le 22 octobre L’injonction par le président Sarkozy, sans concertation avec les premiers concernés, historiens et enseignants, de lire dans les établissements scolaires la dernière lettre de Guy Môquet avant sa mort est, à l’évidence, une opération de brouillage politique destinée à désorienter la population, à entretenir la confusion intellectuelle ambiante.
Cette commémoration est un leurre, dans la mesure où pendant que les enseignants discutent de la lecture de cette lettre, ils ne parlent pas de la destruction de la fonction publique, et en particulier de l’Education nationale, menée au pas de charge par le président Sarkozy, question bien plus préoccupante dans l’immédiat.
Toutefois, la décision du président de faire lire cette lettre n’est pas anodine. Elle s’inscrit dans un ensemble d’autres manoeuvres visant à instrumentaliser l’histoire au profit d’une ambition politique.
Citer un fait, un texte, un nom, sans les inscrire dans leur contexte historique est la négation même de toute pratique historique conséquente. La personnalisation de l’histoire - quelle que soit la qualité des personnes utilisées - est un obstacle à la compréhension des enjeux d’une époque. Si l’histoire est parfois émouvante, l’émotion (qu’on peut légitimement ressentir à la lecture de la lettre du jeune Guy Môquet) ne peut suffire à entraîner une quelconque démarche historique, une quelconque réflexion constructive (en classe, comme dans les médias). Cette commémoration ne s’inscrit donc dans aucune progression pédagogique digne de ce nom et de l’éducation que nous essayons de faire vivre chaque jour. Il s’agit d’une pure opération politicienne au service d’une vision particulière du monde et du « plan de carrière » de l’homme politique qui en a eu l’initiative.
En bon ami des milieux d’affaire, M. Sarkozy sait récupérer tout, en particulier l’histoire, pour l’utiliser dans son « marketing » politique. La convocation d’une lignée de « grands hommes », dont Nicolas Sarkozy serait évidemment le point d’orgue, participe à cette stratégie.
Guy Môquet est ainsi présenté comme exemple pour la jeunesse. Evidemment coupé de son contexte, le jeune homme fusillé par les nazis incarne une jeunesse prête au sacrifice suprême pour la patrie. Au moment où M. Sarkozy s’aligne sur la politique extérieure de M. Bush et où un de ses ministres parle de guerre contre l’Iran cette présentation particulière de Guy Môquet est inquiétante.
Que le jeune homme soit un militant communiste, fils de député communiste, devient purement anecdotique. Il n’y a plus de divergences politiques, il n’y a plus que les « bons » Français, prêts à donner leur vie pour la France, et les autres ! La politique « d’ouverture » du président, gommant la possibilité d’autres choix politiques, vise-t-elle à autre chose qu’à opposer ceux qui s’unissent pour la France (sous-entendu avec le président) et les autres ?
La lettre de Guy Môquet est une lettre intime adressée à sa famille, à qui il dit son affection avec émotion avant de mourir. Ce n’est en aucun cas une lettre à portée historique. L’injonction du président de lire cette lettre dans un contexte solennisé (le même jour dans tous les collèges et lycées de France, la présence éventuelle d’élus, l’invitation à la presse afin qu’elle rende compte de l’événement...) montre bien que c’est la mise en scène émotionnelle des valeurs familiales idéalisées qui est un des objectifs de cette opération.
S’adressant à un public de collégiens et de lycéens, la phrase de Guy Môquet parlant de son petit frère : « ... Qu’il étudie bien pour être plus tard un homme ... » apparaîtra évidemment comme une leçon de morale à la jeunesse. N’est-ce pas en droite ligne de la politique du président de faire travailler plus l’ensemble de la population !
La décision de faire lire cette lettre aux jeunes françaises et français serait-elle motivée par la mise en valeur implicite de la trilogie : travail, famille, patrie ?!
L’organisation de la lecture solennelle de la lettre de Guy Môquet le 22 octobre (cérémonie qui doit se reproduire chaque année) est la sacralisation rituelle des idées contenues dans la « Lettre aux éducateurs » de N. Sarkozy : l’école a pour rôle de restaurer l’ordre social et l’unité nationale.
Cette commémoration est un piège dont les buts réels ne sont pas de célébrer la résistance à la barbarie nazie et par là d’inciter à la résistance à tout ce qui aujourd’hui détruit les humains jusque dans leur désir de vivre, comme les discours officiels trompeurs veulent nous le faire croire (cela en complète contradiction avec les politiques en cours). Elle s’insère dans le vaste projet de diffusion d’une idéologie officielle d’Etat qui définit « les bons », ceux qui sont prêts à travailler jusqu’au sacrifice d’eux-mêmes sous la direction d’un grand homme pour défendre les couleurs de l’entreprise France, mise en difficulté par « les mauvais », « les héritiers de mai 68 », les diviseurs, les déserteurs, ceux qui refusent la cohésion nationale dans l’équipe de France rassemblée par le président.
En ce temps où le libéralisme impose de plus en plus dans la population les sentiments d’impuissance et de soumission à l’état du monde, il n’est pas possible de laisser passer un tel détournement de l’esprit de la résistance et de la construction d’une société qui ne laisse personne de côté, une telle manoeuvre pour dissimuler les rapports de pouvoir et les luttes sociales, que le gouvernement attise sans cesse avec sa politique au service du MEDEF et des plus riches, aux dépends de la grande majorité de la population..
De plus la façon unilatérale et personnelle du président de la République d’insérer dans les programmes scolaires et la pédagogie des enseignants une commémoration, dont l’ambiguïté est totale, est inacceptable.
Soucieux de la liberté pédagogique des enseignants et de la cohérence de la méthode historique qui seule peut permettre une compréhension de la complexité des enjeux de l’histoire, et par là-même ouvrir à une réflexions citoyenne sur le monde d’aujourd’hui, nous ne participerons pas à cette manipulation politicienne.
Soucieux de bâtir une école émancipatrice pour toutes et tous, nous ne pouvons pas accepter la malhonnêteté intellectuelle qui consiste à utiliser la mort d’un jeune résistant pour tromper l’opinion publique sur la politique qu’on est en train de mener.
Nous appelons donc les enseignants à ne pas participer à cette commémoration.
Communiqué de la fédération des syndicats SUD éducation vendredi 12 octobre 2007
1) La section du PCF Paris 15ème, comme des milliers de communistes de France, exprime son indignation devant l’opération de récupération de la mémoire de Guy Môquet à laquelle s’est livrée hier M. Sarkozy, jour de son investiture.
Elle rappelle que Guy Môquet a été arrêté en octobre 1940 par la police française comme militant communiste. Il était le fils de Prosper Môquet, député communiste déchu de son mandat par les députés qui allaient voter les pleins pouvoirs à Pétain et dont un bon nombre est parvenu à rester aux affaires après 1945. Il a été fusillé par les soldats allemands à l’âge de 17 ans, avec 26 de ses camarades à Châteaubriant le 22 octobre 1941. Ils avaient été désignés comme otages à exécuter par le ministre de l’intérieur de Vichy Pucheu parce qu’ils étaient communistes. Ils sont morts en criant « Vive la France ! ».
Militants communistes, nous dénions formellement le droit à M. Sarkozy de s’approprier cette mémoire. Ses orientations politiques, sa conception de l’histoire sont totalement à l’opposé des idéaux patriotiques de justice sociale, d’égalité, de paix et d’amitié entre les peuples pour lesquels nos camarades sont tombés.
Nous enjoignons nos camarades, les citoyens à exprimer publiquement leur réprobation.
« Vive le Parti communiste qui fera une France libre, forte et heureuse ! » avaient écrit ses compagnons Pourchasse, Barthélémy et Timbaud avant d’être fusillés avec Guy Môquet dont la dernière pensée fut : « Vous qui restez, soyez dignes de nous, les 27 qui allons mourir ».
9) Communiqué du Secrétariat national du Parti Socialiste CONCERNANT LA LECTURE DE LA LETTRE DE GUY MOQUET
Le Président de la République a demandé la lecture, le 22 octobre dans les classes, de la dernière lettre de Guy Môquet adressée à ses parents quelques heures avant son exécution le 22 octobre 1941. Cette lecture n’a de sens que si elle est replacée dans le contexte historique de l’occupation et de la résistance.
Sa compréhension ne peut donc se limiter à l’émotion et à la compassion face à un destin tragique. Elle doit être resituée dans la perspective historique de la lutte contre l’occupant nazi, et plus précisément dans le contexte local : Guy Môquet et ses camarades livrés par Vichy furent exécutés comme otages en représailles de l’assassinat d’un général nazi à Nantes deux jours auparavant. Elle doit aussi prendre en compte l’engagement politique de Guy Môquet.
Le Parti socialiste met en garde contre l’instrumentalisation de l’histoire à des fins politiciennes.
Le Parti socialiste fait confiance aux enseignants pour qu’ils fassent les choix pédagogiques qui restituent son sens historique et humain à cette lettre. Il déconseille fortement à ses élus de se substituer aux enseignants pour la lecture de cette lettre dans les établissements scolaires.
Communiqué du Secrétariat national
10) Communiqué LCR
Môquet, de nouveau otage
Depuis son entrée en fonction, Nicolas Sarkozy s’est littéralement approprié la figure de Guy Môquet, jeune militant communiste fusillé par les nazis, à Châteaubriant, le 22 octobre 1941 (parmi les otages alors exécutés, figuraient également le militant trotskyste Marc Bourhis et un opposant communiste au stalinisme, l’ancien maire de Concarneau, Pierre Gueguen).
Le 22 octobre prochain, les enseignants ont reçu consigne de donner lecture, à leurs élèves, de la dernière lettre du jeune homme à ses parents. L’objectif de l’opération n’est guère mystérieuse. Il s’agit d’instrumentaliser cyniquement l’histoire, de diffuser dans l’opinion une image d’union sacrée, par le biais d’une cérémonie imposée par l’Élysée, sans même que la lecture soit accompagnée d’un retour sur le contexte de l’époque. Elle intervient précisément au moment où la droite et le patronat ne cherchent plus à dissimuler leur volonté de détruire tous les acquis sociaux issus de la Libération (l’ancien numéro deux du Medef, Denis Kessler, vient ainsi, dans les colonnes de l’hebdomadaire Challenges, d’avouer qu’il « s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance »).
Cerise sur le gâteau, elle se situe à un moment où la lepénisation d’une aile de la majorité vient d’aboutir à l’amendement Mariani sur le tests ADN. On comprend que la réaction des enseignants soit aujourd’hui si vive. Un peu partout, dans les établissements, s’organisent des démarches de refus collectif de cette sordide manœuvre de propagande.
Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont trente appuyés contre le ciel
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont plein d’étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d’amour
Ils n’ont pas de recommandations à se faire
Parce qu’ils ne se quitteront jamais plus
L’un d’eux pense à un petit village
Où il allait à l’école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent
Ils sont bien au-delà de ces hommes
Qui les regardent mourir
Il y’a entre eux la différence du martyre
Parce que le vent est passé là où ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu’ils ne sont plus des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit
Les fusillés de Châteaubriant de Réné-Guy Cadou (Pleine Poitrine 1946)
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