Agriculture Une politique agricole commune pour quoi faire ?

mercredi 4 avril 2018.
 

La politique agricole commune (PAC), politique historique de l’Union européenne instaurée en 1962, représente sa plus grosse ligne budgétaire avec 408 milliards d’euros pour 2014-2020. Fortement décriée pour son incapacité à répondre aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux d’aujourd’hui, elle devrait constituer un levier pour assurer la transition écologique de notre modèle agricole et alimentaire. Les négociations européennes qui s’ouvrent pour réformer la PAC à l’horizon 2020 s’annoncent difficiles. Avec comme enjeux principaux la définition d’un budget agricole ambitieux dans un contexte post-Brexit et la réorientation des soutiens vers des systèmes agricoles écologiques et créateurs d’emplois.

L’accord politique européen, qui a été trouvé en 2013, représente le plus petit dénominateur commun. L’Europe est traversée de plusieurs courants difficilement réconciliables en termes de budget, d’outils de régulation, d’ambitions environnementales et de redistribution des soutiens. La question d’une politique agricole « commune » est posée : chaque Etat membre s’est attaché à défendre ses propres intérêts et l’accord a introduit davantage de subsidiarité pour laisser aux Etats des marges de manœuvre.

La PAC est défaillante pour gérer les crises de marché, comme cela a été le cas avec la crise laitière de 2015. Cette dernière, qui a frappé de plein fouet les éleveurs laitiers européens, s’est déclenchée à la suite du démantèlement des outils de régulation des marchés (suppression des quotas laitiers) et du renforcement des orientations libérales de la PAC. Depuis le déclenchement de la crise, les maigres tentatives pour la juguler n’ont pas porté leurs fruits.

La PAC n’est pas la hauteur de la crise écologique. L’introduction des « paiements verts », principale « innovation » censée orienter les pratiques agricoles vers davantage de protection de l’environnement - en diversifiant les cultures, préservant les prairies et maintenant des surfaces d’intérêt écologique - est totalement inefficace. Un rapport de la Cour des comptes européenne montre un changement positif sur… 5 % des terres agricoles. Et, la grande majorité des agriculteurs n’ont pas eu à modifier leurs pratiques pour être éligibles aux paiements « verts ». En outre, les aides pour la transition écologique sont insuffisantes et parfois même rationnées comme les aides à la bio.

La PAC est inopérante pour infléchir la disparition des emplois dans le secteur agricole et stopper la concentration de la production. Les perspectives démographiques tablent sur une diminution d’environ 3% du nombre d’agriculteurs par an d’ici 2025, et plus encore pour les filières en crise. L’agriculture repose sur une mobilisation croissante de capitaux, ce qui engendre des difficultés de transmission des outils de production d’une génération d’agriculteurs à une autre. Les aides de la PAC restent inégalement réparties et favorisent les plus grosses structures.

En France, les agriculteurs dénoncent une complexification des règles, les énormes retards subis depuis 2015 dans le versement des aides et les crises de marché récurrentes. S’ajoute à cela les difficultés budgétaires récentes. Faute d’une bonne anticipation des besoins de financement des dispositifs du second pilier de la PAC (qui concernent l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), la bio ou les aides à

l’investissement), le gouvernement Macron compromet la poursuite d’actions territoriales. Dès son arrivée au pouvoir, il a supprimé le financement des « aides au maintien » en bio. Enfin, la redéfinition de la carte des zones défavorisées qui donne droit à l’ICHN, soutien fondamental pour les élevages dans les zones aux conditions pédoclimatiques plus difficiles, s’est traduit par l’exclusion de plus de 1000 communes.

Une refonte de la PAC est nécessaire pour garantir l’autosuffisance alimentaire, la relocalisation et l’agriculture écologique et paysanne.

En France, le niveau de vie des agriculteurs reste inférieur au niveau moyen et le taux de pauvreté supérieur à la moyenne. La logique d’intensification de la production et d’agrandissement des structures pour augmenter les volumes produits par actif a atteint ses limites compte-tenu de ses conséquences sociales mais aussi environnementales.

A l’aune des récents scandales sanitaires et de la médiatisation des conséquences de l’utilisation de pesticides en agriculture, les citoyens souhaitent une agriculture et donc une alimentation plus respectueuse de l’environnement. Les gouvernements successifs, par idéologie ou sous la pression des lobbies agricoles les plus conservateurs, ont refusé de faire les choix nécessaires pour réorienter le modèle agricole. Ils ont sous-doté les politiques favorables aux modèles alternatifs à l’agriculture conventionnelle.

Il faut, au contraire, à travers l’action publique, privilégier des modèles d’exploitations écologiques et plus facilement transmissibles, capables de remplir différentes fonctions : produire une alimentation saine, de qualité et accessible pour tous, garantir une juste

rémunération du travail des agriculteurs et préserver les ressources naturelles et les biens publics. La France perçoit environ 9 milliards d’euros au titre de la PAC pour la période 2014-2020, ce qui en fait le premier bénéficiaire. Il est urgent que ce budget soit effectivement consacré à l’accompagnement la transition écologique de l’agriculture.

Scepticisme quant aux pistes à l’étude pour la prochaine PAC au niveau européen.

La commission a rendu publique le 29 novembre dernier sa communication, qui ouvre le ballet des négociations pour la PAC post-2020. La proposition législative devrait être mise sur la table en mai 2018. A ce stade, la communication reste assez floue et fourre-tout : une PAC plus verte, des aides mieux redistribuées mais une vision toujours libérale (poursuivre la restructuration, gérer les risques de manière privée), etc. On a surtout retenu le souhait de modifier les modalités d’application, avec le risque d’une PAC à la carte : « l’Union devrait fixer les paramètres essentiels (objectifs de la PAC, principaux types d’intervention, exigences de base), tandis que les États membres devraient assumer une plus grande part de responsabilité et rendre compte de la manière dont ils entendent atteindre les objectifs ».

Les réflexions sur la PAC post 2020 s’ouvrent en parallèle des discussions sur le prochain cadre financier pluriannuel de l’UE. La préservation du budget de la PAC est compromise compte-tenu de la sortie du Royaume-Uni de l’UE et des velléités de consacrer davantage de ressources pour d’autres priorités de l’UE. Ces incertitudes budgétaires et les élections européennes de 2019, laissent penser que

les négociations sur la PAC prendront du retard et qu’elle n’entrera pas en application avant 2022.

Il importe que les citoyens se mobilisent pour peser dans la négociation afin de lancer un vrai débat public sur l’alimentation que nous voulons.

Anne Sampognaro


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