Construire le mouvement du peuple

dimanche 8 avril 2018.
 

Chaque campagne de la France insoumise est l’occasion de perfectionner des techniques militantes nouvelles. Comme vous le savez, notre but n’est pas de construire une « avant-garde révolutionnaire » dans la société mais de contribuer à faire émerger un peuple auteur de son histoire. Cette consigne abstraite commande une méthode constante.

À toute occasion, le but reste de rendre possible une implication citoyenne maximale du grand nombre. Évidemment, nous ne sommes pas engagés dans l’animation pour elle-même. Tout part au contraire d’un contenu. L’objet du travail est sa propagation et son enracinement. Ici, ce qui fait l’origine et l’élément fédérateur du mouvement, le programme « L’Avenir en Commun ». Ainsi en a-t-il été de la campagne pour la sortie du nucléaire. Certes, elle est passée en partie sous les radars de la presse parisienne. Mais il en a été autrement en province. Elle a abouti à la plus importante consultation jamais réalisée sur ce thème en France. 1 700 bureaux de votes ont été ouverts à cette occasion. Pour cela, un logiciel de travail a été mis au point pour organiser le vote en ligne. À partir de là, le mouvement s’est à la fois doté d’un outil mais surtout de la formation de centaines de personnes capables de le manier.

Cet aspect de l’activité ne peut être sous-estimé dans notre démarche. Chaque développement du mouvement la France insoumise s’accompagne d’avancées techniques qui en facilitent la répétition. Elles passent parfois inaperçues mais sont essentielles. Contrairement à un mouvement comme En Marche, nous avons à cœur de maitriser nous-mêmes les outils que nous utilisons. Et donc de le développer par nos propres moyens. C’est une liberté fondamentale de se doter d’outils dont nous maîtrisons de bout en bout les fonctionnalités.

À nos yeux, la réussite de la votation sur la sortie du nucléaire dépendait en grande partie de notre capacité à développer un système de vote qui soit à la fois fiable, garantisse la sincérité du vote et permette au plus grand nombre d’y prendre part. Le moyen existe donc, et il peut servir à maints autres usages. La solution technique développée est totalement inédite dans notre pays. Au demeurant, personne, à l’issu de notre votation, n’a contesté sa sincérité. Nous avons en effet travaillé à la rendre irréprochable. Pour cela, nos deux développeurs (Guillaume et Arthur) ont travaillé d’arrache-pied. Voyons le parcours.

Les groupes d’action du mouvement ont collecté les listes électorales officielles. Elles étaient notre première base pour pouvoir vérifier que personne ne vote deux fois. Cela paraît être une opération simple mais en réalité, ça ne l’est pas du tout. Il n’existe pas en France de liste nationale des électeurs inscrits. Les listes sont départementales, voire communales dans certains départements. Et chaque département construit son fichier d’une manière différente et sous un format différent. Ce fut donc un travail de fourmi pendant 2 mois de préparation. Il a impliqué une demi-douzaine de volontaires pour récupérer et compiler toutes ces listes. Nous avons au final créé une base nationale comportant plus de 40 millions d’électeurs inscrits sur les 45 millions que compte le pays. C’est une première.

Dès lors, notre système garantissait qu’une personne inscrite sur les listes électorales ne pouvait voter une deuxième fois. Mais nous avons également mis en place d’autres procédures de vérification. Pour accéder au vote en ligne, il fallait donner son numéro de téléphone mobile. Un code d’accès envoyé par SMS permettait ensuite de participer au vote. Le même numéro ne pouvant être utilisé qu’une fois, cela bétonnait la sincérité du vote. Ce deuxième système de vérification nous a permis d’ouvrir le vote aux mineurs de plus de 16 ans et aux étrangers résidents sur le territoire, en conformité avec notre programme. Enfin, chaque votant se voyait attribuer à la fin de son vote un numéro unique. Nous n’associons pas ce numéro à son identité. Mais à la fin de la votation, nous avons publié la liste des numéros uniques avec les choix de vote associé. Chacun pouvait donc vérifier, s’il avait noté son numéro, que le vote indiqué correspondait bien à son choix.

L’autre enjeu dans la mise en place du système de vote était de permettre une votation large. Cela supposait des outils suffisamment simples d’utilisation pour que le grand nombre puisse se les approprier. Dans ce domaine, une des premières prouesses consistait à proposer différentes modalités pour accéder au scrutin. À partir de la même plateforme, il était ainsi possible de voter depuis son ordinateur, son mobile ou dans un bureau physique. Pour les bureaux de vote physique, chaque président de bureau et ses assesseurs avaient accès à un espace privé sur l’application mobile. Cet espace leur permettait d’indiquer les personnes ayant voté sur le même fichier que celui utilisé pour le vote en ligne. L’application permettait aussi la saisie et la centralisation des résultats. Grâce à ces outils, alors que la votation s’est terminée le dimanche à 17h, nous avons pu annoncer les résultats à 18h.

Avec l’exemple de la votation sur la sortie du nucléaire, on voit bien l’importance de la technique et des outils dans notre combat politique. Nos capacités dans le domaine informatique ne sont pas seulement un motif de fierté. C’est une tâche politique de première importance. Mille autres choses de cette nature mériteraient d’être expliquées concernant le fonctionnement de la plateforme. Ceux qui s’y intéressent peuvent consulter le blog de Guillaume et Arthur, nos héros en la matière, responsables du pôle « outils numériques » au sein de l’équipe opérationnelle de « La France Insoumise » : au43.fr.

Avec cela, tout autour de la consultation se sont organisés des « nuages » d’actions diversifiée en relation avec l’objectif. Ce fut le cas par exemple des « ateliers des lois ». Cette opération est animée nationalement sur tout le territoire par Gabriel Amard. Ce n’est pas la première fois que « la France insoumise » organise des « ateliers des lois ». Nous l’avons déjà fait pendant la campagne présidentielle et depuis sous plusieurs formes expérimentales. Au fil du temps, les méthodes de travail se sont rodées. À présent, le dispositif est mûr. Une méthodologie existe, un parcours est balisé. La méthode est reproductible.

Ainsi, 8 ateliers se sont tenus en appui de la campagne pour la sortie du nucléaire. Ils ont réuni chacun entre 35 et 85 personnes. Ce sont donc au total plus de 400 personnes qui ont participés à ces réunions d’un genre inédit. Leur objectif, comme on le devine, est l’écriture collective de la loi. Ces ateliers sont, avec la méthode Alinsky, une autre façon pour nous de faire émerger de l’auto-organisation populaire, de répandre un apprentissage de citoyenneté d’un genre extrêmement abouti.

Ces ateliers, à l’opposé d’autres réunions publiques, sont construits de façon à ce que tous les participants s’y expriment. Chaque atelier est donc accompagné par un animateur de l’éducation populaire qui aide à la prise de parole. En fait, il s’agit d’aider chacun à désinhiber sa participation à la formulation de la loi. Toutes les paroles sont légitimes. Bien sûr on a aussi sur place des experts des sujets discutés pour répondre aux interrogations éventuelles des participants. Jean-Marie Brom, directeur de recherche en physique au CNRS était par exemple présent lors de plusieurs ateliers sur le nucléaire. Sur place, en réel, les participants sont répartis en petits groupes de travail. La séance comporte plusieurs étapes, ponctuées d’allers-retours entre le travail en petits groupes et le débat avec toute la salle. Les participants sont invités, à partir de leurs questionnements, de leurs opinions et de leurs certitudes, à identifier ce sur quoi ils sont tous d’accord pour le transformer en proposition législative. Des juristes sont également là pour traduire en langage juridique les conclusions. Ainsi, on vient à un atelier des lois, non pour écouter une parole verticale mais pour produire collectivement un travail concret.

Le résultat des ateliers des lois tenus pendant la campagne pour la sortie du nucléaire aura donc été la production d’une proposition de loi de 47 articles sur les questions énergétiques et d’une proposition de loi constitutionnelle pour consacrer l’énergie comme un bien commun. Les gens qui viennent dans les ateliers font concrètement l’expérience du fait que dire la loi, donc l’intérêt général, leur appartient. Pour chacun des participants, c’est un renversement du rapport à ses droits, à la loi, à la politique. Toutes ces choses sont généralement vues comme venant du haut. En ce sens, c’est un processus cohérent avec la stratégie de la Constituante. Je décris dans « L’Ère du peuple » la convocation de l’Assemblée constituante comme le moment où le peuple se décrit lui-même, s’institue, en énonçant ses droits et les règles qui régissent sa vie collective. Les ateliers des lois reproduisent ce schéma, à petite échelle et sur des sujets précis. Ils font partie des dispositifs qui contribuent à « construire » le peuple de la révolution citoyenne, ce qui est l’objectif du travail de la France insoumise.

Les ateliers des lois ne sont donc pas de simples expériences isolées. Leur portée n’est pas limitée dans le temps. Ils participent pleinement au combat politique dans leur déroulement comme dans leur résultat. D’abord, leurs productions sont disponibles sur la plateforme du mouvement sous une forme qui permet à chacun de proposer des amendements. Par ailleurs, ils nourrissent le travail du groupe parlementaire. Les propositions de lois issues des ateliers concernant le nucléaire vont ainsi être utilisées dans les textes que nous déposerons à l’Assemblée. On peut imaginer qu’ils prennent place dans notre prochaine niche parlementaire. Les ateliers des lois sont donc aussi une manière de suivre la ligne de conduite que le groupe parlementaire s’est fixée en lien avec le Mouvement. Il s’agit d’assurer un pont pour le passage de l’expression populaire a l’action législative.

À nos yeux ces « ateliers des lois » préfigurent donc la forme des évènements que nous voudrions voir surgir le moment venu dans le processus constituant. Ils incarnent aussi une forme de ces « assemblées citoyennes » qui sont à nos yeux les bases populaires du processus de révolution citoyenne tels que nous les avons héritées de l’histoire profonde du pays. Celle qui ont mené l’action en 1789, puis en 1871 où les assemblées locales portèrent concrètement le processus de rupture avec l’ancien régime puis le second empire.


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