Vers une nouvelle vague municipaliste

mercredi 25 avril 2018.
 

Entretien avec Jonathan Durand Folco professeur à l’École d’innovation sociale de l’Université d’Ottawa

Votre essai A nous la ville est consacré à l’émergence d’une nouvelle vague municipaliste. Pouvez-vous nous en dire plus ?

On a vu successivement émerger plusieurs vagues municipalistes : une première, d’inspiration socialiste et communiste, au début du 20eme siècle avec des expériences emblématiques telles que Vienne la rouge, Bologne, ou la banlieue rouge en région parisienne. Une deuxième vague s’est épanouie dans les années 60 et 70. Si la première vague était basée sur la prise en charge des besoins matériels des classes populaires (services sociaux, écoles, santé, …), la seconde vague voit émerger des préoccupations nouvelles, telles que la démocratie participative. Un des exemples les plus marquants de cette seconde vague municipaliste est la ville de Grenoble, avec les groupes d’action municipale d’Hubert Dubedout.

Depuis le “mouvement des places” en Espagne, on assiste à la tentative de réinvestir la politique par le niveau municipal. C’est en Espagne précisément, avec les “mairies du changement”, que cette vague municipaliste s’affirme de la manière la plus éclatante. L’expérience du Rojava constitue également un exemple récent et original d’expérimentation à grande échelle de nouvelles formes de participation politique. Elle est le résultat du virage libertaire du PKK et de son leader, Abdullah Ocalan ; lui-même inspiré par les écrits de Murray Bookchin, théoricien du municipalisme libertaire.

Ces “villes rebelles” commencent à se structurer en réseau, notamment au travers du “sommet international municipaliste” organisé en juin dernier à Barcelone, auquel ont participé des villes d’Espagne (Barcelone, La Corogne,..), d’Italie (Naples) du Kurdistan, des USA (Berkeley, Philadelphie), d’Amérique du Sud (Argentine, Brésil) et de France (Grenoble).

Quelles sont les caractéristiques de cette nouvelle vague ?

Cette nouvelle vague municipaliste se construit en tant que projet alternatif à la ville néolibérale, à ses dynamiques de privatisation de l’espace public et de ségrégation urbaine. Elle se construit également en réaction aux politiques d’austérité menées au niveau national et à leurs conséquences sur le quotidien des habitants. En Espagne, les “villes du changement” (Madrid, Barcelone, La Corogne, Cadix,...) ont lancé des politiques de lutte contre la gentrification et le tourisme de masse pour promouvoir l’accès au logement, mené des actions de solidarité active avec les réfugiés (ville refuge). Elles soutiennent le développement de l’économie sociale et solidaire et des “communs urbains”.

Qu’entendez-vous par les communs ?

Les "communs" correspondent à un bien ou une ressource, partagée par une communauté de participants, et régie par un ensemble de règles définies collectivement. Il s’agit d’un concept large et multiforme : il peut s’agir de jardins partagés, de supermarchés coopératifs, ….

Je peux donner un exemple québécois de “communs urbains”, celui de la Communauté de Milton parc. Il s’agit d’un syndicat de copropriété unique en son genre, créé à la suite de mobilisations dans les années 70, contre un projet de développement se traduisant par la destruction de tout un quartier. Les habitants ont mené la lutte durant plus de 7 ans. Cette lutte s’est avérée victorieuse avec l’adoption d’une loi par l’Assemblée Nationale du Québec confiant la propriété et la gestion du sol et des immeubles à une coopérative d’habitation. La communauté de Milton parc gère aujourd’hui un grand parc de logements coopératifs (56 immeubles résidentiels) et a permis de retirer du marché toute une portion de la ville de Montréal.

De mon point de vue, le partenariat entre les municipalités et les gestionnaires de “communs urbains” peut permettre, dans une certaine mesure, de contourner les politiques d’austérité et les logiques de privatisation de l’espace public.

Il y a eu des élections municipales au Québec récemment. Est-ce que cette nouvelle vague municipaliste a atteint le Québec, où vous vivez ?

Au Québec, on ne peut pas encore employer le terme de municipalisme. On a certes assisté à un renouveau de la politique municipale aux dernières élections, mais pas dans les mêmes proportions, ni la même intensité qu’en Espagne.

Ces élections ont néanmoins permis d’élire une mairesse progressiste à Montréal, Valérie Plante. Il s’agit de la première femme élue à la tête de la mairie de Montréal. Son mouvement, Projet Montréal, a pris le pouvoir contre toute attente, et a mis fin au mandat du maire sortant Denis Coderre, un maire qui incarnait le statu quo et le “big business”.


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