Plenel et Bourdin bousculent le président des riches

mardi 24 avril 2018.
 

- 1) Macron, pas à la fête pour son anniversaire (L’Huma)

- 2) Syrie, SNCF, fiscalité, ZAD, universités... Emmanuel Macron face à son bilan (Mediapart)

- 3) Macron plus en forme qu’en fond (Libération)

1) Macron, pas à la fête pour son anniversaire

Source : https://www.humanite.fr/macron-pas-...

Durant près de trois heures, le chef de l’État a été sur le grill, pour une interview censée marquer sa première année à l’Elysée.

Une quarantaine de secondes télévisées de marches descendues, pour enfin arriver au théâtre de Chaillot, « en majesté ». Comme un air d’arrivée au Louvre, le soir de l’élection, pour Brigitte et Emmanuel Macron, qui ont dimanche soir signé leur apparition. Une mise en scène de trop, quand l’heure est sérieuse, avec le premier engagement militaire par le chef de l’État depuis son arrivée.

« De nombreux Français doutent de vous, perdent patience », dit Jean-Jacues Bourdin en préambule. « l’Histoire jugera », botte en touche Emmanuel Macron.

Syrie : "comme très peu d’armées au monde peuvent le faire"

" Hors cadre de l’ONU n’est-ce pas un problème ? " demande Edwy Plenel, ce fut « de manière strictement légitime dans un cadre multilatéral », répond Macron, revenant sur le veto russe comme faisant de Moscou, de facto, « un complice » du régime de Bachar El Assad en ayant « impuissanté » la communauté internationale. Et glissant pudiquement sur l’aspect légal, ce qui n’est pas la même chose. L’aspect « multilatéral », avec pour seuls partenaires les USA et son allié historique la Grande-Bretagne, est plutôt mince comme argument. Ce n’est pas « un acte de guerre », assure Macron, mais « un acte de représailles », en raison d’une « infraction réitérée et prouvée » -alors le nombre d’Etats dans cette situation sont légions.

« On le sait », assure Macron quant à la présence effective d’armes chimiques sur les sites visés, tandis que le quai d’Orsay se montrait moins affirmatif samedi, quant à la capacité de la France d’en apporter la preuve avec ses propres moyens. « Comment on obtient la paix en faisant la guerre. Pas de réponse », twitte durant l’émission Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF.

Poussant le questionnement comme rarement dans le passé dans un entretien présidentiel en France, les deux journalistes énervent passablement le chef de l’État, « je conteste l’orientation de votre question », posant la question de la coagulation des mouvements sociaux. « Il n’y en a pas tant que ça », balaie le chef de l’État. « La colère de qui ? à Notre-Dame des Landes, elle n’a rien à voir avec les cheminots », s’emporte Emmanuel Macron.

En passant au thème de l’évasion, fiscale, le chef de l’État sait qu’il risque le qualificatif de « président des riches ».

Malte et le Luxembourg ne sont pas des paradis fiscaux, se demande Jean-Jacques Bourdin ? Le président défend les « avancées » passées, d’échanges d’informations pour l’essentiel, et sans effet notable jusqu’ici. C’est de l’« optimisation fiscale », rétorque le président. Oubliant que dans ses gènes, et depuis l’Acte unique européen, la mise en concurrence des systèmes fiscaux est la règle. « Je n’ai pas d’amis là où je suis », objecte-t-il, quand le nom de Bernard Arnault est prononcé. Macron, quand il reçut le premier ministre du Luxembourg en début de mandat, avait soigneusement évacué le sujet. « Nous serons intraitables en matière fiscale », avance pourtant le président, voulant « distinguer la fraude de l’optimisation » : ce qui revient à ne rien faire. Idem pour le « verrou de Bercy », qui protège les gros fraudeurs fiscaux, renvoyé à un vague texte futur. « Harmoniser la fiscalité en Europe,il faut d’abord changer la règle de l’unanimité sur les sujets fiscaux au sein de l’Union Européenne ! », objecte sur Twitter le sénateur Eric Bocquet, spécialiste de la question.

Le CICE, soutient encore Macron, ce « n’est pas un cadeau (…) Quand on empêche les gens de réussir ils vont réussir ailleurs ». « Flat tax » avantageuse pour le capital, et quasi disparition de l’ISF n’en seraient pas non plus… « J’assume les gestes fiscaux », explique Emmanuel Macron, quand l’argent est réintroduit dans l’économie », -sans contrôle- rappelle un intervieweur. Et chiffrées par ATTAC à sept milliards d’euros en tout.

"L’argent, on le trouve pour nos priorités », assure Macron, quand un peu plus tard au cours de l’émission on lui met sous le nez les réductions de budget pour les hôpitaux (moins 1,6 milliards d’euros en 2018). « Une moindre augmentation » qu’attendue, répond Macron. Non, « le budget 2018 n’était pas « moindre que ce que certains attendaient », mais inférieur à l’augmentation mécanique des dépenses », réagit le député PCF Pierre Dharréville sur les réseaux sociaux. Macron lance l’option ’une seconde « journée de solidarité », c’est à dire un nouveau jour férié devenant travaillé, pour financer la prestation dépendance. « Ma priorité, ce sont les vulnérables de la Nation », dira un peu plus tard le chef de l’État, dans une de ces formules générales qu’il affectionne. Au cours de l’émission, Macron lâchera que "certains ministres ont renoncé à beaucoup d’argent pour entrer au gouvernement », dans une remarque déplacée, quant au sens de l’État exigé.

« Il n’y aura pas de création d’un nouvel impôt local ni d’un impôt national » assure le président, quand des questions se posent sur la compensation par l’État de la disparition de la taxe d’habitation, qui inquiète les communes. Le président redit que « tous les régimes spéciaux auront vocation à converger », soit la fin annoncéedes régimes spéciaux. Sur la SNCF, Emmanuel Macron parle des négociations sur la dette, reprise par l’Etat à compter de 2020. « Par contre il faut lui dire que c’est les banquiers qui se goinfrent avec, pas les cheminots. Histoire qu’il aille au bon endroit pour négocier ... » se moque le député (FI) Loïc Prudhomme sur Twitter.

A propos des universités, le président convient à mi-mot que l’expression employée, « agitateurs professionnels », peut être violente. Mais n’entend pas bouger d’un iota son projet.

Sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le président se révèle hermétique aux inventions locales, aux projets collectifs locaux, refusés par le gouvernement. « Pourquoi ne l’ont-ils pas fait depuis dix ans », se demande le président, comme si les zadistes pouvaient se constituer en Scop ou exploitation agricole sur des terrains… de Vinci jusqu’à l’abandon du projet.

La légitimité démocratique, il la revendique en dépit du caractère particulier de son élection. Tout juste reconnaît-il « la colère » des Français, seule « explication conjoncturelle » à son élection. « Le problème n’est pas que Macron manquerait de légitimité démocratique... Il a été élu. La question est la faiblesse de sa base sociale d’où la tentation de nier la convergence des mécontentements et le recours autoritaire aux forces de l’ordre », commente l’écologiste David Cormand.

Le doit d’asile et l’occasion d’une nouvelle passe d’armes, délit de solidarité, rétention de mineurs et d’enfants : les députés sont libres, affirme Macron, tandis que des amendements issus de la majorité ont été refusés par le groupe En marche.

Et reprend au passage le terme de « submersion migratoire » employé par son ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, reprenant lui même une terminologie d’extrême droite. «  ! La majorité des migrations africaines se font à l’intérieur même de l’Afrique. Arrêtons avec ce mythe dangereux de la submersion migratoire ! » a réagi la députée PCF Elsa Faucillon. Le président concède que « le délit de solidarité je souhaite qu’il soit adapté, pas supprimé », dit-il, tout en effectuant un parallèle…. Avec les passeurs.

En fin d’émission, le directeur de Mediapart souligne qu’Emmanuel Macron a été élu « sur ce socle de 18% des inscrits » ce qui agace visiblement, Jupiter "dézingué". Tandis que jamais il n’a été appelé « monsieur le président » au cours de l’entretien, le jeune président qui veut faire bouger les lignes s’est réfugié derrière la fonction dès qu’il est chahuté par ses deux intervieweurs.

Même si rendez-vous est pris pour un nouvel "entretien d’évaluation" dans un an, pas sûr qu’Emmanuel Macron se rejouisse à l’idée de recommencer l’exercice.

Lionel Venturini rubrique politique

2) Syrie, SNCF, fiscalité, ZAD, universités... Emmanuel Macron face à son bilan (Mediapart)

Source : https://www.mediapart.fr/journal/fr...

Le président de la République a été interrogé par Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin durant plus de 2 h 30. Emmanuel Macron a justifié l’intervention en Syrie, concédé des pistes pour calmer les grévistes de la SNCF, évoqué le financement de la prise en charge des personnes âgées et, surtout, essayé de montrer la cohérence de son projet politique. Avec difficulté.

Après son interview sur TF1 par Jean-Pierre Pernaut le jeudi 12 avril, au cours de laquelle il a notamment remercié les retraités pénalisés par la hausse de la CSG tout en montrant une détermination sans faille sur la suite des réformes à mener, Emmanuel Macron entamait la seconde phase d’une sorte d’opération de reconquête de l’opinion face à deux journalistes.

Frappes aériennes en Syrie, lutte contre le terrorisme, politique économique et sociale, immigration, laïcité, écologie, exercice du pouvoir… Le président s’est attelé une nouvelle fois à son fameux exercice de pédagogie, ce concept fourre-tout et si simple pour exprimer que les citoyens ne comprennent pas le bien-fondé d’une politique.

Dans le fond, peu d’annonces et un exercice présidentiel, même s’il a été bousculé par des questions plus coriaces et politiques qu’habituellement, finalement assez attendu. Emmanuel Macron, parfois accroché, a fait de son mieux pour tenir le fil ténu qu’il considère être une cohérence de sa politique. Sur la SNCF bien sûr, même s’il a ouvert le dialogue à une reprise de la dette par l’État, sur l’éducation en défendant bec et ongles son ministre de l’éducation, sur la santé avec un discours vague promettant la restauration d’un système aujourd’hui à la dérive.

Sur la forme néanmoins, Emmanuel Macron s’est montré plus violent, et moins charmeur que d’habitude. Le président s’est donc livré, à plusieurs reprises, à une stratégie de l’attaque personnelle. À chaque fois qu’il s’est retrouvé en difficulté, voire acculé, il a attaqué ad hominem ses intervieweurs.

Quand Edwy Plenel l’interroge sur sa pratique verticale du pouvoir, « en force » et non « en marche », il répond : « Je conteste l’orientation de votre question », « votre question est posée de manière biaisée ». Sur l’évasion fiscale en Europe, Emmanuel Macron accuse Jean-Jacques Bourdin qui préfère parler d’évasion fiscale plutôt que d’optimisation : « Votre raisonnement est faux. » « Vous n’êtes pas le professeur et nous ne sommes pas les élèves », croit utile de lui rétorquer Edwy Plenel. Une phrase à laquelle le chef de l’État répondra, en fin d’interview, par cette sentence qui en rappelle une autre : « Vous êtes intervieweurs, je suis président de la République, nous ne sommes pas sur un pied d’égalité. »

Toujours sur la question de l’évasion fiscale, quand Jean-Jacques Bourdin évoque son « ami », le milliardaire Bernard Arnault, Macron le menace d’évoquer « votre ami Xavier Niel [l’un des 88 contributeurs, ultra minoritaire, de la société des amis de Mediapart – ndlr] ou votre ami Monsieur Drahi [propriétaire de BFM TV et RMC, où officie Jean-Jacques Bourdin – ndlr] ». Le président ira même jusqu’à évoquer la fausse « affaire » de la TVA Mediapart. Une manœuvre immédiatement qualifiée de « mesquin[e] » par le fondateur du journal.

Régulièrement lors de l’interview, avec le ton stable et enrobé qui est le sien, Emmanuel Macron a tenté de discréditer ses interlocuteurs. Des journalistes qui « colportent » des informations, qui donnent des « arguments fallacieux », ou qui « insinuent ». Quand Edwy Plenel l’interroge sur les évacuations à Notre-Dame-des-Landes, Emmanuel Macron lui lance : « Vous n’êtes pas sérieux, Monsieur Plenel ! »

Sur les anciens dirigeants de la SNCF dont la gestion était censée être catastrophique et qui sont restés à la tête de l’entreprise (Guillaume Pepy), voire qui sont devenus ministres (Élisabeth Borne), Edwy Plenel interroge : « S’il y a un mauvais bilan, pourquoi vous ne changez pas les personnes dirigeantes ? » Emmanuel Macron répond : « Vous avez une manière de vous attaquer aux gens ! Vous jetez les gens en pâture ! » Edwy Plenel rappelle alors les salaires des anciens dirigeants, aux alentours de 50 000 euros mensuels citant celui de l’actuelle ministre de la défense, Florence Parly, auparavant employée à la SNCF. On ne peut pas « donner les salaires en pâture ! », s’indigne le président. Et Edwy Plenel de conclure : « Mon salaire est public, le vôtre aussi ! »

Au-delà de ces joutes verbales, qui donnent à voir un président parfois revanchard, en tout cas ne voulant pas céder un pouce de terrain aux questionneurs, les plus de deux heures et demie de débat ont permis de balayer les grands thèmes de sa politique, même si l’écologie, la formation professionnelle ou la culture ont été les grands oubliés de l’exercice télévisuel.

Actualité des frappes sur la Syrie oblige, c’est par ce sujet que l’entretien avec Emmanuel Macron a commencé. Répondant aux questions de Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, le président a cherché à légitimer l’intervention française sur le terrain syrien en soulignant « le cadre d’une coalition internationale », bien qu’elle se soit faite hors mandat de l’ONU. Ce sont en effet les États-Unis, la France et le Royaume-Uni qui sont intervenus dans la nuit de vendredi à samedi, en réponse à l’usage par le régime Assad d’armes chimiques dans la Ghouta orientale. « Trois membres du conseil de sécurité de l’ONU », a souligné le chef d’État français.

Certes, Emmanuel Macron l’assure : « Ce n’est pas un acte de guerre. » Il n’emploie pas le langage martial que l’on avait pu entendre dans la bouche d’un François Hollande lorsque ce dernier avait décidé d’intensifier les frappes françaises, au lendemain des attentats de novembre 2015. Et il se défend d’une doctrine néoconservatrice. « Notre priorité est de construire la paix dans la durée », assure-t-il. Mais concrètement, il a du mal à convaincre sur l’après de cette nuit de frappes en Syrie. Aucun scénario crédible pour l’avenir et la reconstruction du pays ne ressort de son propos qui finit par s’embrouiller sur la complexité du dossier syrien.

Ainsi Emmanuel Macron fustige la Russie (acteur de la guerre au côté du régime Assad depuis octobre 2015) pour avoir « construit méthodiquement l’incapacité de la communauté internationale », mais propose quelques minutes plus tard un processus de paix qui se ferait avec cette même Russie, la Turquie et l’Arabie saoudite. Il assure que la France est en mesure de mener ces négociations afin de dépasser Astana – le processus engagé depuis 2016 sous l’égide de la Russie, avec principalement ses alliés. « La France a un rôle à jouer dans cette communauté internationale, assure le chef de l’État. Il faut parler avec tout le monde. Je continuerai à mener ce travail. » Ce processus de paix inclut-il le départ d’Assad ? Emmanuel Macron ne répond pas à la question.

L’interview aura au moins le mérite de confirmer les priorités du président : « La démarche de la France, c’est prioritairement la lutte contre Daech », explique-t-il, faisant fi de la chronologie du conflit syrien et du rôle incommensurablement plus meurtrier de la dictature d’Assad depuis l’écrasement de la révolution syrienne, en 2011.

En revanche, on ne connaît toujours pas sa position vis-à-vis des Kurdes de Syrie. Car s’il s’agit de lutter d’abord contre Daech, pourquoi la France ne soutient-elle pas les milices armées kurdes qui sont engagées dans ce combat, et n’a-t-elle pas levé le petit doigt lorsque la province kurde d’Afrin s’est fait écraser cet hiver par l’armée turque ? Le sujet est resté dans un angle mort.

Terrorisme

Sur le front de la lutte antiterroriste, abordée dans la séquence consacrée à la Syrie, Emmanuel Macron s’est borné à redire le droit en réponse à des questions de Jean-Jacques Bourdin reprenant les propositions des Républicains.

L’expulsion des étrangers figurant dans le fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ? Le président de la République évoque « un fichier de soupçons » qui « sert à surveiller les gens » et rappelle que des procédures d’expulsion sont enclenchées « dès lors qu’un élément matériel est établi ».

Il convient de préciser que, sur les onze attentats aboutis depuis fin 2014, impliquant au total vingt et un terroristes, douze d’entre eux étaient des citoyens français. Quant aux autres, seul Ahmed Hanachi – le clandestin qui a tué à coups de couteau deux jeunes filles sur le parvis de la gare Saint-Charles à Marseille en octobre 2017 – et les deux kamikazes du Stade de France, porteurs de vrais faux passeports syriens, étaient en situation irrégulière lorsqu’ils sont passés à l’acte…

La rétention provisoire des fichés S dangereux ? Emmanuel Macron a énoncé cette évidence : « des actions judiciaires » sont menées contre « les plus dangereux ». Le président avait un boulevard. Les propositions reformulées en questions avaient été exhumées par Laurent Wauquiez et ses lieutenants au lendemain des attentats de Trèbes, le mois dernier. Et déjà à l’époque, elles avaient été battues en brèche.

Comme Mediapart l’avait alors rappelé, les hommes et les femmes qui travaillent dans les services ne voulaient pas entendre parler de détention pour les 10 000 fichés S en raison de leurs liens présumés avec la mouvance islamiste. Et Frédéric Péchenard, ex-directeur général de la police nationale et vice-président LR de la région Île-de-France, a expliqué sur Europe 1 qu’une telle mesure n’avait « pas beaucoup de sens », lui préférant d’autres mesures « peut-être moins spectaculaires mais plus efficaces ».

Évasion fiscale et fiscalité

Dans le domaine de la fraude fiscale, Emmanuel Macron a tenté de défendre son projet de loi et s’est dit « intraitable » sur la lutte contre les fraudeurs. Sur la question de l’optimisation fiscale, il s’est montré beaucoup moins déterminé. Reconnaissant qu’il existe des pays de l’Union européenne, notamment les Pays-Bas, qui jouent un jeu fiscal non coopératif, il renvoie à l’idée d’une convergence fiscale européenne fort peu probable tant que durera la règle de l’unanimité dans ce domaine au Conseil européen.

Mais pour Emmanuel Macron, il faut savoir peser et choisir ses mots. On ne saurait parler de fraude ou d’évasion fiscale, le bon terme c’est optimisation fiscale. Un processus tout à fait légal qui permet aux entreprises de jongler entre les différents systèmes fiscaux, entre les différents dispositifs réglementaires. De même, le Luxembourg, l’Irlande, les Pays-Bas ou Malte ne peuvent être qualifiés, selon le président de la République, de paradis fiscaux. Ce sont juste des pays qui ont des systèmes fiscaux différents du reste des autres.

L’implicite de ce choix du président de la République, c’est que la « convergence fiscale » dans l’UE ne peut se faire que dans un sens : celui de l’alignement sur le moins disant. Ce que le gouvernement fait précisément en réduisant les taxes sur les entreprises et l’impôt sur les sociétés. Quant au « verrou de Bercy », Emmanuel Macron s’est dit favorable à un encadrement par la loi des conditions de transmission des dossiers à la justice, ce que Gérald Darmanin, le ministre de l’action et des comptes publics, avait déjà évoqué. Mais cela ne dit rien – et Emmanuel Macron n’en a rien dit – de ces conditions précises, ni de la création du « plaider-coupable » qui éloigne les grands fraudeurs fiscaux de la justice.

Sur la fiscalité précisément, le président de la République a défendu ses choix d’exonération du capital et de ses revenus. Comme à son habitude, il a « assumé » la transformation de l’impôt de solidarité sur les fortunes (ISF) en impôt sur la fortune immobilière et la mise en place d’une flat tax de 30 % sur les revenus du capital. Précisant qu’il « ne croyait pas dans la théorie du ruissellement », il a cependant indiqué qu’il voulait supprimer les dispositifs qui « empêchent les gens de réussir. Cela permet de garder les talents, d’en attirer d’autres », a-t-il indiqué. Concrètement, c’est donc bien une version non assumée de la théorie du ruissellement qui est défendue : selon le président de la République, la baisse des impôts sur les plus fortunés permet de développer le capital productif et donc l’activité. « J’assume les gestes fiscaux lorsqu’il y a réinvestissement dans l’économie », a-t-il dit.

Mais rien n’assure que ce lien soit automatique, ni même qu’il ait lieu. Et le gouvernement n’a pris aucune mesure spécifique sur ce point. Le président de la République est demeuré très vague à ce sujet, parlant de « règles » sans préciser lesquelles et lâchant que « parfois, les gens spéculent dans l’économie ». Un constat sans lendemain. Du reste, l’hôte de l’Élysée a aussi défendu le CICE, mais n’a pas réellement discuté son bilan pourtant jugé contestable.

Concernant la hausse de la CSG et son impact sur les retraités, Emmanuel Macron s’est retranché derrière la « solidarité intergénérationnelle » et le fait que cet « effort » qu’il avait annoncé (« Je n’ai pris personne en traître ») permet de faire en sorte que « le travail paiera mieux » par la suppression des cotisations salariales maladie et chômage. Le chef de l’exécutif a passé sous silence le fait que les fonctionnaires, contrairement à sa promesse, ne bénéficieront pas de cette mesure de soutien au pouvoir d’achat.

Il a également évacué le fait que le pouvoir d’achat était sous la pression de la hausse de la fiscalité indirecte. Concernant les retraités, il a précisé qu’une partie d’entre eux verrait la hausse de la CSG compensée par la suppression progressive de la taxe d’habitation en trois ans, ignorant là aussi l’effet progressif de la mesure face à l’effet immédiat de la hausse de la CSG. Sur ce point, d’ailleurs, le président de la République a dit envisager une refonte de la fiscalité locale, notamment la taxe foncière, promettant cependant qu’il n’y aurait « aucune hausse de la charge fiscale ».

SNCF

Plus cela va, plus l’exécutif est obligé d’entrer dans les vrais sujets sur la réforme de la SNCF. Le projet de loi, qui ne devait être qu’une formalité, la réforme du statut des cheminots et l’ouverture à la concurrence étant censées apporter réponses à tout, est en train de virer au casse-tête.

Ainsi, désormais, il n’est plus possible pour l’exécutif d’évacuer la question de la dette, ces 46,6 milliards d’euros qui pèsent sur l’entreprise publique. Poussé sur le sujet, le président de la République a été obligé de reconnaître que l’État devrait reprendre une partie de la dette « à partir de 2020 ». Jusqu’alors, le gouvernement a toujours enterré le sujet, faisant miroiter une possible reprise, en contrepartie des réformes mises en œuvre par la SNCF et du renoncement à leur statut par les cheminots.

Dans les faits, ce qui paraît être un geste d’ouverture en réponse au mouvement social est imposé par des questions juridiques. Croulant sous la surcharge financière qui se traduit par 1,5 milliard de frais financiers par an, l’entreprise publique affiche à son bilan des capitaux négatifs de 11,9 milliards d’euros. Or, aucune société anonyme ne peut débuter avec des capitaux négatifs. L’État a obligation de reconstituer les capitaux de l’entreprise avant sa transformation juridique. Une recapitalisation s’impose donc, de l’ordre d’au moins 13 à 15 milliards, sans parler d’une reprise d’une partie de la dette.

La somme de 35 milliards d’euros est évoquée. De quoi faire exploser tous les ratios et dépasser à nouveau les critères de Maastricht. Autant dire que le gouvernement se retrouve devant une impasse financière qu’il n’a cessé de nier depuis le début. Mais comme on l’a compris, les dirigeants de la SNCF ne sont responsables en rien de cette situation.

De même, alors que le gouvernement avait soigneusement tu le sujet jusqu’à présent, Emmanuel Macron a bien dû reconnaître que les régimes spéciaux des cheminots seraient eux aussi sacrifiés lors de la réforme des régimes de retraites, prévue fin 2018-début 2019. Tous les syndicats avaient anticipé cette fin annoncée, reprochant au gouvernement de jouer à cache-cache avec eux. « Abolir le statut, mettre fin au régime des retraites, c’est l’assurance de créer une nouvelle dette de plusieurs dizaines de milliards d’euros, puisque le financement ne sera plus assuré », prédit Thomas Cavel, porte-parole de la CFDT cheminots. L’annonce faite par Emmanuel Macron, si elle apporte une certaine clarté, risque de raviver les inquiétudes des salariés.

Signe que l’exécutif navigue à vue sur ce projet de loi, Emmanuel Macron a proposé un nouveau changement au texte dans son entretien. Alors que l’Assemblée nationale doit normalement adopter le texte du projet de loi mardi, après en avoir discuté les différents articles en moins de quatre jours, le président de la République, afin de récuser tout projet de privatisation de la SNCF, a annoncé que la transformation juridique d’entreprise publique industrielle et commerciale (EPIC) en société anonyme (SA) à capitaux publics serait accompagnée d’une précision : les actions seraient « incessibles ».

Or, c’est précisément l’amendement qu’avait déposé la Nouvelle gauche (ex-PS) afin de protéger la SNCF, en l’alignant sur le statut de La Poste. Cet amendement avait été repoussé par la majorité LREM lors de la discussion la semaine dernière. Ce qui était inadmissible la semaine dernière devient donc acceptable désormais.

Santé et Ehpad

Concernant la santé, le président de la République a défendu l’abandon progressif de la tarification à l’acte et a promis une « réduction de la bureaucratie », une attention donnée à la prévention et une volonté, là encore vague, de « réinvestir ». Des annonces plus précises devraient intervenir en mai. Emmanuel Macron a également annoncé des mesures pour les services d’urgence les plus en difficulté pour l’an prochain.

La principale annonce concerne les deux pistes de réflexion sur la dépendance : soit une deuxième « journée de solidarité », soit la création d’un « cinquième risque », un vieux serpent de mer de la protection sociale dont il faudra observer le développement alors que la crise des Ehpad est déjà très sensible.

Enfin, sur les retraites, le président de la République a confirmé la réforme à venir avec un mode de calcul plus transparent du lien entre cotisation et pension, mais aussi la suppression de tous les régimes spéciaux, y compris celui de la SNCF. Ce nouveau régime, dit par points, devrait cependant passer par de futurs ajustements au détriment des pensions. C’est précisément pour cela qu’Emmanuel Macron y voit une nouvelle « solidarité intergénérationnelle ».

Éducation

Sur le dossier brûlant de la réforme de l’accès à l’université, qui suscite une forte colère, Emmanuel Macron a botté en touche, comme il l’a fait lors de sa précédente interview le 12 avril sur TF1. Refusant de juger légitime la contestation, il s’est cantonné à la question des évacuations des sites occupés. Il a renvoyé la responsabilité des évacuations policières aux présidents d’université. Assurant ces derniers de son soutien, il a continué à affirmer que les étudiants mobilisés ne le sont souvent pas et que ces blocus sont le fait d’individus extérieurs mus par l’envie de semer le chaos, sans motivation réelle.

Il a expliqué que « dans toutes les universités où il y a des amphis paralysés et des violences inadmissibles, les étudiants sont souvent minoritaires. Ce sont des groupes et “des professionnels du désordre”, pour citer Audiard. Des groupes la plupart du temps violents qui mènent un projet politique dont la finalité est le désordre. »

Le chef de l’État, interrogé sur le site de Tolbiac, bloqué totalement depuis le 26 mars, et qui dépend de l’université Paris-1, a expliqué que sa « particularité topographique » complique une intervention policière que le président Georges Haddad appelle de ses vœux. La préfecture de police n’a pas accédé à sa demande.

« C’est une tour. C’est presque plus dangereux [d’intervenir] que de ne pas intervenir. » Pour autant, Emmanuel Macron affirme une certaine fermeté et ne voit pas d’inconvénient à ce que les forces de l’ordre délogent les étudiants opposés à sa réforme d’accès à l’université. « Quand un président dit que son université est bloquée et que le blocage n’est pas majoritairement fait par des étudiants, j’assume totalement qu’il demande le recours aux forces de l’ordre », a-t-il ajouté.

Le chef de l’État a été interrogé sur la prise de position de Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale, à propos des mères voilées accompagnatrices lors de sorties scolaires. Ce dernier avait affirmé son opposition à ce qu’elles puissent encadrer des sorties. Emmanuel Macron a exprimé un point de vue contraire. « Il existe une jurisprudence du Conseil d’État. Nous devons être intelligents : si elles sont en collaboratrices du service public, elles ne peuvent pas porter le voile. Si elles sont en accompagnement en tant que citoyennes, la société leur permet de porter le voile. »

Sans désavouer totalement Jean-Michel Blanquer, Emmanuel Macron a pris ses distances avec lui sur ce point, rappelant qu’il s’agit de la « conviction personnelle » du locataire de la rue de Grenelle.

Notre-Dame-des-Landes

Sur le sujet de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, Emmanuel Macron s’est montré d’une fermeté aussi martiale que déconnectée de ce qui s’était passé le jour même sur le site. Plusieurs milliers de personnes se sont retrouvées pour construire une halle de marché et de réunion. Le chef de l’État a d’abord tenu à dissocier le mouvement d’occupation de la ZAD du reste de l’actuel mouvement social : cela « n’a rien à voir avec les cheminots », cette mobilisation-là – celle de Notre-Dame-des-Landes – « n’est pas légitime » car on y trouve « des gens qui n’aiment plus l’ordre républicain ».

Dans un second temps, plus d’une heure plus tard, il a annoncé une prochaine évacuation de la ZAD, à l’issue du nouveau délai accordé par la préfecture de Loire-Atlantique. Vendredi, la représentante de l’État, Nicole Klein, a donné jusqu’au 23 avril aux habitant·e·s de la ZAD pour déposer un formulaire individuel de régularisation de leurs projets agricoles. C’est justement ce qu’ils refusent en masse, souhaitant au contraire maintenir un cadre collectif afin de protéger leurs réseaux de solidarité et une vision commune de pratiques diversifiées sur les 1 650 hectares de la ZAD.

Pour Emmanuel Macron : le projet d’aéroport ayant été abandonné, « il n’y a plus de raison d’être là », ni de participer à ce qu’il ne voit que comme une « occupation illégale de l’espace public ». Sans parole de reconnaissance pour les centaines de personnes qui ont sauvé le bocage du goudronnage en y vivant envers et contre tout·te·s depuis dix ans, il n’a cessé de marteler l’impératif de l’ordre public. « À l’issue de ce délai [du 23 avril – ndlr] tout ce qui doit être évacué, le sera. » Au passage, il a fait preuve de mauvaise foi concernant les Cent Noms, cette ferme collective expulsée et détruite par les gendarmes le 9 avril : « Cela fait dix ans qu’ils sont là », « ils n’ont jamais voulu développer de projet ». Pourtant, s’y trouvaient une bergerie, des serres, un projet de troupeau école et d’éco-pâturage… Ses huit habitant·e·s n’avaient certes pas déclaré de projets individuels mais par fidélité au fonctionnement collectif de la ZAD et à ses idéaux de mutualisation.

Plutôt que de se montrer à l’écoute de la créativité effervescente de la ZAD et de ses inventions en faveur de la transition écologique (agriculture biologique, défense de la ruralité, de l’agroforesterie, apprentissage de la vie avec la nature…), il a caricaturé celles et ceux qui y vivent : « C’est un projet de désordre pour certains. » Et s’est moqué : « Je viens avec un projet qualitatif et je m’installe dans votre salon. » Les « zadistes » n’occupent le salon de personne mais des parcelles agricoles appartenant à l’État et qui étaient destinées à être détruites pour y construire un aéroport.

Le chef de l’État leur a aussi reproché de ne pas vouloir respecter les règles sanitaires, ce qui est faux puisque des vétérinaires passent soigner les troupeaux de la ZAD, que la plupart de ses animaux d’élevage sont déclarés, et que certain·e·s paysan·ne·s sont même adhérent·e·s à la mutuelle agricole, la MSA. À l’entendre, le seul modèle acceptable pour les habitant·e·s de la ZAD est celui défendu par le conseil départemental et la chambre d’agriculture – ce qui n’est pas la position de la préfète du 44, selon qui, il y a de la place pour tout le monde. « Je crois en l’ordre républicain, l’ordre sera fait », a-t-il conclu. L’innovation agricole attendra.

Migrants

Questionné sur le projet de loi « asile et immigration », qui fait l’objet d’une contestation inédite de députés de la majorité, le chef de l’État a affiché son soutien total à Gérard Collomb, qui doit défendre sa réforme à l’Assemblée nationale à partir de lundi 16 avril. Alors que celle-ci vise à faciliter les expulsions de « sans-papiers » et à raccourcir le délai de traitement des demandes d’asile, Edwy Plenel a rappelé que la plupart des associations de soutien aux étrangers réclamaient son retrait, et que le Défenseur des droits, Jacques Toubon, ancien ministre de la justice de droite, le critiquait aussi.

Si les procédures seront « plus rapides », c’est « pour eux », les réfugiés, a répliqué Emmanuel Macron. C’est pour éloigner plus vite du territoire les « migrants économiques » aussi, qui déposent une requête puis vivent « dans la précarité » pendant des mois, dans l’attente, sans avoir de chance réelle d’obtenir une réponse positive. « On concentre ceux qui arrivent dans les même endroits et on crée des inégalités au carré », a insisté Emmanuel Macron. Titillé par Jean-Jacques Bourdin sur le terme « submersion » utilisé par Gérard Collomb pour désigner l’afflux d’exilés dans certaines régions de France, le chef de l’État a balayé. « N’est-ce pas un mot malheureux ? », a insisté le journaliste. « Non. » Droit dans ses nouvelles bottes, Emmanuel Macron a même plaidé pour que les députés n’aillent pas interdire l’enfermement d’enfants dans les centres de rétention.

Tout juste a-t-il soutenu la volonté du groupe LREM d’assouplir un peu le « délit de solidarité » (aide irrégulière au séjour et au transport de « sans-papiers »), sans doute par amendement du gouvernement. « Je souhaite qu’il soit adapté, pas supprimé », a tranché le président. « Parfois, avec des bons sentiments, on commet des crimes […] Il y a des gens qui aident consciemment ou inconsciemment des passeurs. » Bref, les députés LREM critiques n’ont plus rien à attendre de lui : ces « désaccords », il « les assume ».

3) Macron plus en forme qu’en fond

Face à Bourdin et Plenel, le président de la République s’est montré pugnace à défaut d’être convaincant.

Source : http://www.liberation.fr/france/201...

On avait suivi Emmanuel Macron jeudi, entre les murs pimpants d’une école normande  : face à un Jean-Pierre Pernaut patelin, le chef de l’Etat se faisait pédagogue de ses réformes. On l’a retrouvé dimanche au Théâtre national de Chaillot, à Paris, face aux pugnaces Jean-Jacques Bourdin (BFM TV et RMC) et Edwy Plenel (Mediapart). La salle de classe s’était transformée en fleuron art déco, fenêtres ouvertes sur la tour Eiffel. Une certaine majesté urbaine et culturelle succédait à la modestie rurale. Et c’est un autre genre d’échange qui attendait le chef de l’Etat  : opiniâtre, vigoureux, parfois querelleur. Et tellement bienvenu, face à un pouvoir souvent abrité derrière le rideau de la communication. C’est pourtant en chef des armées, rôle souvent consensuel, qu’Emmanuel Macron s’est présenté sur le ring. La veille, en Syrie, la France envoyait douze missiles, soit 10 % du total des frappes, sur des installations liées au programme chimique du régime. Décision que le chef de l’Etat a aussitôt dû justifier  : ce pouvoir arbitraire du chef des armées, n’est-ce pas « l’archaïsme d’un pouvoir solitaire », demande Plenel. « Le pouvoir du Parlement est défini par notre Constitution, rétorque un Macron piqué. On ne va pas changer de Constitution parce qu’elle ne vous plaît pas. »

« J’ai besoin de remettre le pays au travail »

La France n’est-elle pas sortie du droit international en frappant sans l’aval de l’ONU  ? Non, puisqu’elle aurait agi « pour que les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ne soient plus lettre morte ». Quant à la Russie, elle est « complice » des crimes commis, assène le Président, pour avoir « construit méthodiquement l’incapacité de la diplomatie internationale ». Echanges plus vifs encore sur la politique nationale. « Plutôt qu’En marche, votre mouvement ne devrait-il pas s’appeler"En force" ? » attaque Plenel. « Est-ce une question ou un plaidoyer  ? » rétorque Macron, assurant entendre « toutes les colères », mais ne leur accordant pas à toute la même légitimité  : « Le mécontentement des cheminots a peu à voir avec le mal-être des hôpitaux qui dure depuis des années », hiérarchise-t-il, sans considération pour celui des zadistes de Notre-Dame-des-Landes, « des gens qui n’aiment plus l’ordre républicain ».

Nouvelle passe d’arme sur le cas Carrefour  : le groupe distribue 45 % de ses bénéfices sous forme de dividendes, en même temps qu’il mène un plan social de 2 400 personnes. « Votre rôle est tout simple, faire en sorte que tout cela soit un peu plus égalitaire », lance Bourdin à un Macron piqué au vif  : « Je vous remercie de me donner ce que je dois faire. Je ne peux pas être en désaccord avec ce que vous dites », rétorque-t-il. « Alors quelle solution  ? » insiste Bourdin. Le chef de l’Etat recule, mais ne cède pas, se disant attaché « d’abord à un dialogue social au niveau de l’entreprise et des branches ». Bourdin le coupe  : « Mais l’argent vous savez où le trouver l’argent, dans le porte-monnaie des retraités  ? » Macron  : « J’ai besoin de remettre le pays au travail. » Mais « le pays travaille déjà », l’interrompt cette fois Plenel. « Il y a des gens qui travaillent dur et qui ne gagnent pas assez de leur travail », enchaîne le chef de l’Etat.

Corps à corps

La suite de l’entretien s’avère moins orageuse et pourtant d’une intensité rare pour une interview présidentielle. Emmanuel Macron n’écarte pas l’idée d’un deuxième jour férié travaillé pour financer la dépendance des personnes âgées  : « Je ne suis pas contre, c’est une piste intéressante. » Sur la réforme de la SNCF, il précise – a minima – ses intentions concernant la dette de l’entreprise, annonçant que celle-ci sera « progressivement » reprise par l’Etat à partir de 2020. Macron est interpellé sur les violences policières dans les facultés et à Notre-Dame-des-Landes. « La répression, c’est votre façon de fêter Mai 68  ? » demande le patron de Médiapart. « Question cash, réponse cash  ? », ajoute-il. « Toujours entre nous », répond Macron, sourire gourmand. Au fil de la soirée, le téléspectateur découvre un Macron qu’il avait oublié. Descendu dans l’arène, comme conscient des limites de son habituelle communication sur papier glacé, Macron a renoué avec l’ex-candidat qui avait affronté Marine Le Pen dans le débat de l’entre-deux-tours. Et surprise  : il est presque plus efficace, dans ce combat au corps à corps que dans l’emphase solitaire de beaucoup de ses discours. Le voilà bousculé en direct, contredit, perdant parfois son calme. Mais aussi répondant du tac au tac, défendant ses réformes avec une ardeur nouvelle, argumentant férocement avec Plenel. C’est le grand mérite des deux journalistes d’avoir créé ce moment singulier – quitte, parfois, à perdre le spectateur non averti.

Difficile de dire si Macron est sorti vainqueur de cette émission. Mais celle-ci avait un grand mérite  : même dans ces moments de confusion, elle était en phase avec ce moment politique inédit, celui où le pouvoir semble jouer à quitte ou double sur plusieurs fronts.

Grégoire Biseau , Dominique Albertini


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