Emmanuel Macron, du déni au mépris

jeudi 17 mai 2018.
 

Muet sur les mouvements sociaux en cours, le chef de l’État défend une vision du pays mythifiée, déniant, au cours d’un entretien télévisé, toute légitimité à ceux qui luttent.

Drôle de télescopage dans la communication gouvernementale. Tandis que les responsables LREM, effectuant le bilan d’un an d’Emmanuel Macron à l’Élysée, admettent désormais que la baisse des APL était une «  mauvaise décision  », pour le secrétaire d’État à la Cohésion des territoires, Julien Denormandie, «  une connerie inévitable  » même, selon le patron des députés macronistes, Richard Ferrand, le président dit en somme tout le contraire. Dans un nouveau documentaire qui lui est consacré, diffusé lundi soir, Emmanuel Macron, face caméra à l’Élysée, assène son mépris pour «  ceux qui pensent que le summum de la lutte c’est les 50 euros d’APL  », qu’il met en regard des «  valeurs  » pour lesquelles le colonel Beltrame est mort lors des attentats de Trèbes. D’un côté, «  le colonel Beltrame est mort parce que la France, ce sont des idées, des valeurs, quelque chose d’une guerre qui le dépasse  ». De l’autre, «  les gens qui pensent que la France, c’est une espèce de syndic de copropriété où il faudrait défendre un modèle social qui ne sale plus (sic), une République dont on ne connaît plus l’odeur  ».

La sortie du président, qui ne relève pas du dérapage et dont il est illusoire d’attendre un quelconque regret, participe de la construction d’Emmanuel Macron comme président décomplexé. La réponse laconique à Mediapart du secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, quand est pointé un conflit d’intérêts entre une fortune familiale et ses fonctions passées (lire ci-dessous) dit beaucoup aussi du sentiment d’impunité qui prévaut. Rendre des comptes, mais pourquoi diable  ? Là où le langage dépourvu de mesure rencontre l’inconscient, Emmanuel Macron incarne, à l’heure d’entamer sa seconde année à l’Élysée, un président hors-sol, qui n’a de mots pour les mouvements sociaux en cours. Le président qui veut faire peuple en allant à sa rencontre, devant les infirmières ou les cheminots, est le même qui se plaint que «  l’on invoque la tragédie dès qu’il faut réformer ceci ou cela (…) Ces gens-là ne savent pas ce que c’est que l’histoire de notre pays  ».

“Le roi te touche, Dieu te guérit.”

Si, justement, ils savent que c’est pied à pied que se sont opérées les conquêtes sociales, jamais «  acquises  », – et qu’elles ont eu aussi leur lot de morts. Les «  morts de la rue  » sont le corollaire du mal-logement, mais ne semblent pas, dans le panthéon personnel du chef de l’État, dignes de la même considération que le sacrifice du gendarme Beltrame. C’est là toute la limite du propos présidentiel, de rapprocher ce qui n’a pas lieu d’être. Au-delà du mépris ouvert pour les luttes sociales, le propos présidentiel est une illumination, au sens d’illuminé. Ses soutiens sont gagnés par la maladie, tel son porte-parole Bruno Roger-Petit, qui, selon le Monde, estime que chez Macron, «  le toucher est fondamental, c’est un deuxième langage. C’est un toucher performatif  : “Le roi te touche, Dieu te guérit.” Il y a là une forme de transcendance  ». Cette vision mythifiée de la France, qui ne présage rien de bon, est largement partagée dans les rangs macronistes. Ainsi Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, estime aussi que «  la France a un besoin d’incarnation, qui se retrouve dans ce que propose le chef de l’État. Et les Français ont besoin d’avoir un couple à leur tête, l’explication est quasiment freudienne, nous sommes un peuple romantique  ». À se demander qui a le plus besoin de Freud ici.

Lionel Venturini, L’Humanité


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