Une liaison de l’est de l’Angleterre, dont le bénéfice est insuffisant, repasse sous le contrôle de l’Etat.
Le pays pionnier de la privatisation des trains a annoncé mercredi 16 mai la renationalisation d’une de ses lignes ferroviaires. Dans une décision hautement symbolique, Chris Grayling, le ministre britannique des transports, a décidé de retirer à partir du 24 juin la licence détenue par les entreprises Virgin et StageCoach pour la ligne de l’est de l’Angleterre, qui relie Londres à Edimbourg. Ensuite, les trains seront opérés provisoirement par un consortium privé (Arup, SNC-Lavalin et Ernst & Young), mais directement contrôlé par l’Etat. C’est la troisième fois en douze ans que la même ligne est nationalisée.
La décision a immédiatement relancé le débat sur la nationalisation des trains. Si elle arrive au pouvoir, l’opposition travailliste a promis de passer sous le giron de l’Etat tous les opérateurs ferroviaires. Pour John McDonnell, le numéro deux du parti, seul le rapprochement de la gestion des trains et des voies ferrées, dirigée par une entreprise publique, peut permettre d’améliorer le système. La promesse est extrêmement populaire : 75 % des Britanniques y sont favorables. Face à des trains de banlieue bondés, des prix des billets très chers et l’absence de ligne à grande vitesse, l’envie d’un profond changement est très forte.
Pourtant, derrière ce ras-le-bol populaire, la question de la nationalisation est plus compliquée qu’il n’y paraît. Le système ferroviaire britannique est déjà très largement nationalisé. De plus, l’intervention de l’Etat ce mercredi ne coûte pas d’argent aux contribuables : il ne s’agit pas d’un sauvetage, comparable par exemple à celui des banques pendant la crise financière.
La privatisation du système ferroviaire britannique date de 1994. Le réseau ferré ainsi que les opérateurs de trains sont passés au secteur privé, et British Rail, le monopole public, a été démantelé. Le résultat initial a été catastrophique. Exsangue, le réseau n’a pas été suffisamment entretenu, jusqu’à provoquer deux graves accidents en 1999 et 2000, qui ont fait trente-cinq morts. Le gouvernement a alors repassé le réseau sous le contrôle de l’Etat, dans l’entreprise publique Network Rail.
Les opérateurs de trains en revanche sont restés privés. Ils fonctionnent suivant un système de « franchise » : chaque entreprise obtient un monopole régional pour quelques années. Pour certains tronçons peu fréquentés, l’Etat subventionne les entreprises pour faire rouler les trains. Sur d’autres, plus utilisés, elles reversent au contraire une partie de leurs bénéfices.
C’est ainsi qu’en 2015 une coentreprise entre Virgin (10 %) et StageCoach (90 %) a obtenu la franchise de l’East Coast Mainline. En échange, elle promettait à l’Etat de lui reverser 3,3 milliards de livres (3,8 milliards d’euros) d’ici à 2023, date de la fin de la licence. Pour dégager une telle somme, elle comptait sur une forte augmentation du nombre de passagers.
Mais ses prévisions se sont avérées beaucoup trop optimistes. Résultat, depuis 2015, l’opérateur a reversé plus de 1 milliard d’euros à l’Etat, mais a essuyé des pertes d’environ 300 millions d’euros.
« Ce n’est pas parce que la ligne ne fonctionne pas », précise M. Grayling, le ministre des transports. La coentreprise dégage effectivement des bénéfices opérationnels, de 130 millions d’euros en 2017. Mais c’est insuffisant pour couvrir les versements promis à l’Etat.
Dans ces conditions, Virgin et StageCoach étaient sur le point d’être à court d’argent. Le gouvernement britannique avait le choix entre accepter de changer les termes de la franchise ou reprendre le contrôle direct. « En choisissant la deuxième option, qui humilie StageCoach et Virgin, le gouvernement a décidé d’envoyer un signal au marché, d’indiquer qu’il n’offrirait pas de récompense en cas d’échec de l’opérateur », estime Michael Holden, ancien directeur de deux franchises ferroviaires.
La nationalisation n’est cependant que temporaire. En 2020, le gouvernement entend attribuer de nouveau une franchise pour l’East Coast Mainline. C’est cependant la troisième fois que l’opérateur de cette ligne échoue. Lors de la première renationalisation, l’entreprise contrôlée par l’Etat a géré la franchise pendant cinq ans. Pour Andy McDonald, un député travailliste, c’est la preuve que le système est à bout. « Essayer de bricoler ne pourra pas résoudre l’échec d’un système privatisé, où le public prend les risques et les entreprises prennent les bénéfices. »
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