Les sept péchés capitaux de Sarko (Témoignage Chrétien)

samedi 5 mars 2011.
 

A écouter Nicolas Sarkozy, le sursaut économique viendra de la fin du « matraquage fiscal ». Ce discours s’appuie sur des idées reçues, en grande partie fausses. Les propositions fiscales de Sarkozy ne profiteront pas aux salariés même s’ils travaillent plus, mais aux plus riches qui, eux, sont certains de s’enrichir davantage en spéculant. Décryptage de l’une des plus grandes escroqueries de la campagne.

L’impôt va mal. Des réformes successives l’ont rendu incompréhensible pour le commun des mortels sans en améliorer l’équité. Il entraverait le développement économique et la création d’emplois. Il ferait fuir de nombreux créateurs d’entreprises vers des cieux, et surtout des taux, plus cléments. Il empêcherait des parents, après une vie de dur labeur, de léguer à leurs enfants maison familiale et pécule financier patiemment mis de côté. Face au discours ambiant alimenté par les pieux mensonges sarkozystes, nous avons jugé urgent, avec la précieuse aide de Vincent Drezet, secrétaire général du Syndicat national unifié des impôts (Snui)[1], de rétablir quelques vérités fiscales pour que ceux qui s’apprêtent à voter pour le candidat de l’UMP, notamment dans les classes populaires et moyennes, aient pleinement conscience des conséquences de leur acte. « L’impôt est l’ami de la cohésion sociale et n’est pas l’ennemi de l’activité économique. Moins d’impôts, ce n’est pas forcément plus d’emplois. Tout dépend de l’affectation des dépenses », tient à préciser le syndicaliste. L’enjeu fiscal cache un véritable choix de société. « Une année de scolarisation en collège coûte 7 400 euros par an selon les estimations de l’OCDE. Qui pourrait payer si cela était privé ? illustre Vincent Drezet. Tout le monde bénéficie de l’impôt, en particulier les entreprises, donc il est normal que chacun y contribue ».

La teneur du débat présidentiel n’a pas été à la hauteur de l’enjeu. Les lieux communs ont foisonné, rarement les questions de fond. Vaut-il mieux supprimer l’impôt sur la fortune (ISF) ou réduire la TVA sur plusieurs produits de première nécessité, tels les médicaments ou l’eau ? Quid des impôts locaux ? Comment intégrer une fiscalité écologique qui ne nuit pas aux ménages les plus modestes ? « L’impôt ne peut pas tout, mais ne doit pas rester à l’écart de tels enjeux. La fiscalité vient en appui des politiques. Il y a des écueils à éviter, comme dire « il suffit de » ou « il faut taxer cela ». Si, par exemple, on taxe davantage les plus-values, comme le proposent plusieurs candidats de gauche. Quand survient un crack boursier, adieu les plus-values et donc les taxes. Comment fait-on pour équilibrer le budget ? Il n’y a pas d’assiette miracle, mais une question de choix sur la manière de répartir l’impôt ». Un véritable débat serait salutaire. À moins de considérer comme légitimes les inégalités actuelles, et l’instauration durable, deux siècles après l’abolition des privilèges, d’une aristocratie de patrimoine divin, qui ne se définirait non par son titre de noblesse mais par les sept, huit, neuf voire dix chiffres caractérisant son patrimoine. C’est cela que propose Sarkozy.

Mensonge n°1 : « L’impôt est un frein à l’emploi »

Qui n’a pas entendu cette lancinante rengaine ? En France, les bénéfices des entreprises sont théoriquement imposés à 33,3 %. Comme tous les autres pays d’Europe de l’Ouest, ce taux a considérablement baissé en vingt ans. Il était de 45 % en 1986. Sur la même période, le chômage n’a pas vraiment diminué. Au contraire ! Des entreprises moins imposées ne créent donc pas forcément plus d’emplois. Aucun dispositif n’existe pour qu’une entreprise qui réinvestit ses bénéfices soit moins taxée. Que les profits servent à financer la recherche, à créer des emplois ou à rétribuer des actionnaires, la taxation est la même. Appliquer un taux d’imposition moindre sur les bénéfices réinvestis est tout à fait envisageable. « Encore faut-il définir ce qu’est un réinvestissement productif, pour éviter que cela serve au rachat d’actions », prévient Vincent Drezet.

Le taux de l’impôt sur les sociétés demeure très théorique. Les PME réalisant de petits bénéfices profitent d’un taux d’imposition de 15 %[2]. Moins compréhensibles sont les taux appliqués de fait aux entreprises du Cac 40. Leurs bénéfices cumulés ont frôlé la barre des 100 milliards d’euros en 2006. Ces fleurons de l’économie française auraient dû rapporter à eux seuls 33 milliards d’euros à la collectivité au sein de laquelle elles ont prospéré. Or, cet impôt a ramené en tout 41 milliards d’euros dans les caisses au titre des 2,6 millions d’entreprises installées sur le territoire. Celles-ci, particulièrement les plus importantes, ne paient pas 33,3% d’impôt. Sur la période 2004-2005 (le taux était alors de 35%), BNP-Paribas s’est par exemple acquittée d’un taux de 25% comparé à ses bénéfices, 23,1% pour le cosmétique L’Oréal, 19,3% pour le groupe pharmaceutique Sanofi-Aventis, 12,3% pour le voiturier Renault ou encore 9,2% pour les communicants de Publicis[3]...

Comment est-il possible que des entreprises extrêmement florissantes ne s’acquittent que partiellement de l’impôt sur les bénéfices ? « Ce sont les miracles de la comptabilité », sourit Vincent Drezet. « Les grandes entreprises transfèrent une partie de leur compte et donc de leurs bénéfices à l’étranger ». Exemple ? Un groupe français détient une filiale en Suisse. Celle-ci fournit des prestations surfacturées à la maison mère. Ces surfacturations sont déductibles des bénéfices, et donc de l’impôt, en France mais entrent dans le calcul des bénéfices globaux de l’entreprise. Les actionnaires applaudissent. « Ces pratiques sont difficiles à combattre pour nous, vérificateurs, qui intervenons trois ou quatre ans après. Et nous devons avoir des comparatifs pour prouver qu’une prestation a été surfacturée. Cela a aussi des incidences sociales, car la mise en place de ce système implique des restructurations pour réorganiser les sociétés ». Comment éviter de telles dérives ? « Par une harmonisation des bases - l’assiette sur laquelle est perçu l’impôt - au niveau européen et un engagement de ne plus baisser les taux pour ne pas entretenir la concurrence fiscale. Pour l’instant, chaque État joue solo ».

Mensonge n°2 : « Travailler plus pour gagner plus »

Sarkozy martèle ce slogan à l’envi. Il oublie qu’en France mieux vaut être très à l’aise financièrement et... ne rien faire. Ou plutôt se contenter de percevoir les dividendes de son patrimoine financier, via un plan épargne-action ou un fonds commun de placement. « Quelqu’un qui tire l’essentiel de son revenu de son patrimoine financier sera imposé au maximum à 27% », précise Vincent Drezet. Et ce, grâce aux défiscalisations ou aux réductions d’impôts appliquées à certains types d’épargne. « Cela permet de bénéficier du barème proportionnel et non progressif. Le salarié, lui, est imposé au barème progressif. Avec les niches fiscales, à revenu égal et après impôt, la fiscalité est favorable à l’actionnaire ». Cette inégalité profite aux 3% des Français les plus riches qui possèdent 36% du patrimoine financier (alors que les 75% les moins riches en possèdent 19%). Coût de ces mesures dérogatoires : 13 milliards d’euros, bien plus que le déficit de la sécurité sociale. Elles profitent d’abord aux gros détenteurs du capital plutôt qu’aux modestes souscripteurs d’un livret A. Salariés et actionnaires sont aussi inégaux devant la fraude. Un salarié qui fraude est vite repéré alors que le contrôle d’une personne suspectée de placer son argent au Luxembourg nécessite des moyens beaucoup plus importants. L’une des solutions, selon Vincent Drezet, serait de « développer une assiette large où tous les revenus soient imposés au barème progressif ». Sur le modèle de la CSG par exemple, seule contribution sociale à être payée par tous les types de revenus.

Mensonge n°3 : « Les crédits d’impôt profitent à tous les contribuables »

Les crédits d’impôt, en particulier sur l’emploi d’une personne à domicile, ont eu des effets positifs. « Les classes moyennes qui emploient quelqu’un à domicile quatre heures par semaine ont pu le déclarer, ce qui permet à l’employé de bénéficier d’une protection sociale et d’un droit à la retraite. Il faut donc maintenir une réduction », reconnaît Vincent Drezet. Mais le plafond donnant droit à une réduction, fixée en 2005 à 15 000 euros, bénéficie, encore une fois, aux plus aisés. Exemple : un couple avec deux enfants, déclarant des revenus annuels de 70 000 euros, soit un revenu mensuel frôlant les 6 000 euros net (moins de 10% des ménages les plus riches disposent d’un tel niveau de revenus, selon l’Insee) emploie une personne à domicile à plein temps au Smic. Grâce au crédit d’impôt de 7500 euros (50% du plafond), ce couple est exonéré de l’impôt sur le revenu. « Comble de la mesure : dans le même temps, le salarié à domicile aura été, lui, imposable... », souligne le Snui. « La réduction moyenne d’impôt liée à l’emploi à domicile est de 2 300 euros. Si nous avions un plafond donnant droit à une réduction de 5000 euros au lieu des 15 000 actuels, on maintient l’effet d’aubaine et on récupère un milliard d’euros », explique son secrétaire général.

Cet exemple pose la question des multiples niches fiscales : 400 en 2005 ! Exonérations d’impôt sur l’épargne, aides aux propriétaires immobiliers (dispositif « Robien »), dons aux oeuvres (déduction de 66%), investissements dans les Dom-Tom... Ces niches représentent un manque à gagner pour l’Etat de 50 milliards d’euros, dont 30 milliards au titre d’exonération de l’impôt sur le revenu. Leurs principaux bénéficiaires ont les moyens de se payer les conseils avisés de cabinets spécialisés dans la finance. « Dans certains cas, il vaut mieux supprimer une niche fiscale et redonner des moyens à la politique publique. On peut récupérer entre 7 et 15 milliards en fonction des niches que l’on déciderait de supprimer ou de réduire », propose Vincent Drezet. À elles seules les réductions d’impôt liées aux investissements outre-mer représentent 300 millions d’euros. Sans aucun contrôle sur leurs effets en matière de développement.

Mensonge n°4 : « Consacrer plus de la moitié de ses revenus à payer des impôts est scandaleux »

Depuis 2006, un « bouclier fiscal » plafonne la somme des impôts à payer - impôts locaux (taxe foncière et d’habitation), impôt sur le revenu et ISF - à 60 % des revenus d’un contribuable. Cette mesure du gouvernement Villepin n’a pas suscité de grandes vagues de protestation. « Les gens projettent sur leur situation personnelle un discours qui ne les concerne pas », observe Vincent Drezet. En France, le revenu médian est de 1 800 euros. Payer 50% d’impôt dans cette situation serait bien évidemment scandaleux. « Les quelques contribuables qui gagnent quinze millions d’euros par an peuvent supporter une imposition à 75%. Ceux qui ont les moyens d’entretenir leur patrimoine peuvent s’acquitter de l’impôt. Sinon, ils en vendent une partie. Les impôts sur les stocks (ISF, taxes foncières) diminueront d’autant ».

La mise en place de ce bouclier fiscal coûte chaque année 400 millions d’euros à la collectivité. « Dont 350 millions d’euros profitent à 16 000 personnes », précise le fonctionnaire de Bercy. Le Trésor public vient ainsi de rembourser à un particulier un trop perçu de... 820 000 euros. On est très loin des montants de la prime pour l’emploi ! L’heureux gagnant - pardon, bénéficiaire - avait versé 848 000 euros au titre de l’ISF. Ce contribuable possède de nombreux biens immobiliers. Ayant, en 2006, investi dans des travaux et des acquisitions, ses bénéfices après impôts ont été beaucoup plus faibles que d’habitude. Il s’est donc vu rembourser la quasi-totalité de l’ISF. « Quelqu’un qui crée une entreprise, et donc investit plus qu’il ne perçoit, va être provisoirement exonéré, mais sortira ensuite du dispositif. Ceux qui restent dans le bouclier fiscal sont ceux qui, soumis à l’ISF, profitent déjà de son plafonnement ». Soit 5 000 personnes environ, dont les deux tiers ont un patrimoine net supérieur à 6,9 millions d’euros. Nicolas Sarkozy propose de porter le bouclier fiscal à 50 % en y intégrant les contributions sociales. On appelle cela la rupture.

Mensonge n°5 : « L’ISF est un impôt injuste »

Pauvres riches ! Le syndrome « île de Ré » a fait couler beaucoup d’encre. À cause de l’augmentation du prix du foncier, des îliens se sont retrouvés soumis à l’ISF malgré des revenus modestes. Les pourfendeurs de l’ISF en ont profité pour dénoncer son caractère inique. Face à quelques situations ubuesques, qui peuvent faire l’objet d’une demande de recours gracieux auprès du fisc, faut-il supprimer l’ISF ? « On peut s’en passer si on impose progressivement les revenus, y compris les revenus du patrimoine, propose Vincent Drezet. L’ISF n’est pas spécialement juste. La moitié de ses contribuables paie moins de 2 300 euros. Et 90 % des contributeurs n’excèdent pas 5 000 euros. Les vrais gagnants de sa suppression ne seront pas ceux qui possèdent un patrimoine de 700 000 euros, mais ceux qui ont dix fois plus ». L’ISF pose en fait la question de l’imposition du patrimoine, rarement abordée. Le patrimoine des ménages représente 8 000 milliards d’euros. Les 10% les plus riches en détiennent 46%, soit 3800 milliards. Les 50% les plus pauvres n’en détiennent que 9%. Le patrimoine est le reflet des inégalités qui se creusent. La mise en place d’un impôt progressif intégrant les oeuvres d’art, les forêts et les biens professionnels - aujourd’hui exonérés - pourrait même permettre de baisser le taux d’imposition.

Mensonge n°6 : « L’impôt sur l’héritage est abusif ».

Quel impôt plus impopulaire que celui sur les droits de succession ?

Pourtant, un quart de la population seulement s’en acquitte quand survient le décès d’un parent. En 2006, cela concernait 144 000 successions imposables sur 537 000 décès. « Les gens ont l’impression qu’on leur pique ce qu’ils ont patiemment mis de côté, mais la plupart ne sont pas concernés. En général, ceux qui ont constitué un patrimoine pendant leur vie sont exonérés », insiste Vincent Drezet.

La moitié des héritiers perçoit moins de 55 300 euros. Quant au patrimoine moyen transmis, il avoisine les 100 000 euros. Ces héritages se font pour l’essentiel en ligne directe. Grâce aux abattements, ils ne sont donc pas imposables, ou très peu. Reste les grandes fortunes accumulées et léguées au conjoint ou aux enfants. « Personne ne constitue une richesse tout seul dans son coin. Il s’enrichit dans le cadre d’une société et bénéficie d’une action publique efficace. Il est donc normal qu’on laisse une part de son patrimoine, notamment s’il est hérité de plusieurs générations », argumente Vincent Drezet.

Mensonge n°7 : « Les riches fuient la France »

Selon le rapport du sénateur Philippe Marini, 649 personnes redevables à l’ISF ont quitté la France en 2005. Soit deux par jour. À ce rythme, il faudra quand même plus de 600 ans pour que la France se vide de ses riches. Mais pour Vincent Drezet, les motifs de départ, variables selon les destinations, ne sont pas si évidents. « Selon une mission du Sénat sur la fuite des cerveaux, les raisons personnelles et professionnelles prévalent. La fiscalité arrive après. Vers la Belgique, où l’impôt sur le revenu est plus élevé, ce sont des entrepreneurs qui partent à la retraite et ne veulent pas être imposés sur leurs plus-values ni payer l’ISF. Vers la City de Londres, ce sont plutôt des jeunes couples qui s’installent pour des raisons professionnelles. Quand ils ont des enfants, ils reviennent en France pour bénéficier des services publics ». L’étude de Philippe Marini ne prend pas en compte que les départs. « Combien de gens reviennent ? Combien d’étranger s’installent ? Sur 100 000 Britanniques résidant en France, tous ne sont pas des RMIstes ni des fraudeurs du fisc ! », s’agace Vincent Drezet. « Nous demandons une enquête qui soit vraiment exhaustive ». Une telle étude dira combien de personnes s’installent en France avec bagages et comptes en banque pour bénéficier de ses services publics et de sa protection sociale, en partie financés par l’impôt. »

Notes

[1] Le Snui vient d’éditer un livre : Quels impôts demain ? état de l’impôt et réformes fiscales (Syllepse, 8€).

[2] Taux applicable aux PME dont le chiffre d’affaires n’excède pas 7,6 millions d’euros et réalisant des bénéfices inférieurs à 38 000 euros.

[3] Selon les chiffres établis par Alternatives économiques (septembre 2006) à partir des rapports annuels des entreprises.

Source

Ivan Du Roy journaliste à Témoignage chrétien

29 mai 2007


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