Les patrons latino-américains prennent le pouvoir

lundi 13 août 2018.
 

En Amérique latine, les chefs d’entreprise raflent les plus hautes fonctions exécutives : présidences du Pérou, du Chili, du Paraguay, de l’Argentine… Une étude confirme la très large surreprésentation actuelle des élites économiques au sein du pouvoir législatif.

Au Pérou, M. Pedro Pablo Kuczynski, un chef d’entreprise élu à la présidence en 2016 et contraint à la démission à la suite d’un scandale de corruption, a été remplacé le 23 mars 2018 par M. Martín Alberto Vizcarra, lui aussi chef d’entreprise. Même scénario il y a bientôt quatre ans au Panamá, où le grand patron Juan Carlos Varela a succédé au grand patron Ricardo Martinelli. Après le Mexique, où le dirigeant local de Coca-Cola, M. Vicente Fox, a occupé la présidence de 2000 à 2006, le Chili vient de réélire l’homme d’affaires Sebastián Piñera, qui avait déjà occupé la fonction suprême entre 2010 et 2014. À la présidence de l’Argentine ? Un homme d’affaires, M. Mauricio Macri, élu en 2015. Au Paraguay ? Un autre, M. Horacio Cartes, achève son mandat…

En Amérique latine, l’arrivée de chefs d’entreprise aux plus hautes fonctions exécutives constitue un phénomène aussi nouveau que répandu. Lors des phases de transition qui ont succédé aux dictatures, au cours des années 1980, le patronat s’était fait discret en raison de son soutien aux régimes militaires des années 1970. Inutile, par ailleurs, de trop s’agiter, puisque les démocraties émergentes se dotaient d’un principe fondamental : ne remettre en cause ni l’économie de marché ni l’intérêt supérieur de l’entreprise.

Le second cycle de réformes néolibérales, au cours des années 1990, a facilité la reconquête du champ politique par le secteur privé, notamment avec l’accès de dirigeants d’entreprise à des postes importants de l’administration publique, parfois même à la suite d’élections. Par endroits, le patronat a su orchestrer un rapprochement étroit avec des figures incarnant le populisme de droite latino-américain : MM. Alberto Fujimori au Pérou et Carlos Menem en Argentine, par exemple.

À partir de la fin des années 1990, trois facteurs ont fragilisé le secteur économique traditionnel et l’ont contraint à un repli tactique : les crises, en particulier celles de 1998 et 2001 ; l’afflux de capitaux étrangers, notamment par le biais des privatisations ; et l’arrivée au pouvoir de gouvernements progressistes (Venezuela, Brésil, Argentine, Bolivie, Équateur, etc.). Mais le contexte actuel s’avère de nouveau propice à une offensive politique patronale. La gauche s’essouffle, quand elle ne perd pas le pouvoir, alors que la crise semble discréditer son projet socio-économique. Dans ce contexte, les chefs d’entreprise retrouvent le chemin du militantisme politique, comme au Brésil, où la Fédération des industries de l’État de São Paulo, la plus grande organisation patronale du pays, a directement organisé des mobilisations contre la présidente Dilma Rousseff à la veille de son renversement parlementaire, en 2016 [1].

Dans un tel contexte, notre équipe de chercheurs a mené une enquête visant à mesurer plus précisément la participation des chefs d’entreprise à l’exercice du pouvoir législatif dans huit pays (Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Mexique, Pérou, Salvador et Uruguay) au cours de la période 2010-2017 [2]. Parmi les 801 députés de ce groupe de pays, nous avons identifié ceux qui avaient été chefs ou hauts cadres d’entreprise, grands propriétaires terriens ou commerçants avant d’être élus députés. En moyenne, c’était le cas de près d’un quart (23%) d’entre eux, même si les chiffres varient beaucoup d’un pays à l’autre, avec un maximum de 40% au Salvador et un minimum de 13% en Argentine.

Ces résultats confirment l’idée d’une surreprésentation des élites économiques au sein du pouvoir législatif en Amérique latine, puisque les chefs d’entreprise et assimilés ne représentent en moyenne que 3,4% de la population active dans la région. Sur la base des études disponibles, la situation s’avère plus caricaturale encore dans les sénats (lorsque le pays en dispose) : ils représentent ainsi 30% des membres de la chambre haute brésilienne [3] et 20% du Sénat uruguayen [4].

Miguel Serna


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