Pourquoi les océans sont-ils en danger  ?

jeudi 16 août 2018.
 

Avec Laurent Bopp, directeur de recherche au CNRS, professeur attaché à l’École normale supérieure, Véronique Garçon, directrice de recherche au CNRS, Legos, Vladimir Ryabinin, secrétaire exécutif de la commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco et Hélène Bourges, responsable de la campagne Océans pour Greenpeace

Un allié précieux contre le changement climatique

par Laurent Bopp, directeur de recherche au CNRS, professeur attaché à l’École normale supérieure

L’océan est un acteur essentiel du système climatique. Il échange tous les ans avec l’atmosphère des quantités phénoménales de chaleur, d’eau et de carbone, et contrôle ainsi en grande partie la répartition des climats à la surface de notre planète.

Mais depuis plus de deux cents ans, ces échanges ont un rôle particulier  : ils ont largement limité le dérèglement climatique auquel nous devons faire face aujourd’hui. En 2017, l’océan a absorbé près de 10 milliards de tonnes de gaz carbonique. Depuis le début de la période industrielle, c’est près du quart de nos émissions de gaz carbonique, liées à l’utilisation de pétrole, de charbon, de gaz naturel et à la déforestation, qui a été soustrait de l’atmosphère grâce à ce puits de carbone efficace. Autre action efficace  : l’océan absorbe la très grande majorité, plus de 90 %, de l’excès de chaleur qui résulte de l’augmentation de l’effet de serre. Et une part importante de cette chaleur rejoint les couches profondes de l’océan sans affecter la température de la surface de notre planète.

Cette absorption océanique de gaz carbonique et de chaleur ralentit donc la vitesse avec laquelle le dérèglement climatique se met en place – nous offrant un temps précieux pour nous adapter et pour mettre en place la transition énergétique indispensable à la baisse des émissions de gaz à effet de serre.

Mais cette aide précieuse que nous offre l’océan dans la lutte contre le dérèglement climatique n’est pas sans conséquence pour l’océan et pour ses écosystèmes. L’absorption de gaz carbonique par l’océan modifie en profondeur la chimie de l’eau de mer  ; parce que c’est un acide, le gaz carbonique une fois dissous dans l’eau de mer est responsable de l’acidification de l’océan et pourrait affecter le développement de nombreuses espèces marines, en particulier les espèces calcifiantes comme les coraux.

Autre conséquence, l’absorption de chaleur entraîne un réchauffement de l’eau de mer, une diminution du contenu en oxygène de l’océan et des modifications des courants marins. Les impacts potentiels de ces modifications sur les écosystèmes marins sont multiples et pourraient ainsi affecter la distribution des espèces marines et la productivité biologique de l’océan, avec des conséquences sur certaines des activités humaines qui reposent sur un océan «  en bonne santé  », comme la pêche.

Cette prise de conscience de l’impact du changement climatique sur l’océan et ses écosystèmes est relativement récente. Même si une quantification précise de ces effets est encore difficile, les scientifiques commencent à comprendre comment cet impact climatique se conjugue aux autres perturbations anthropiques, pollutions et surexploitations des ressources marines.

Les défis pour préserver la santé de l’océan sont donc multiples. Pour rendre les écosystèmes marins moins vulnérables aux effets du changement climatique, il faut d’abord limiter les effets des autres perturbations, mettre fin à la surexploitation des ressources marines et réduire les sources de polluants, éléments nutritifs, métaux, plastiques, qui terminent dans l’océan. Il faut enfin s’attaquer aux causes du changement climatique, les émissions de gaz à effet de serre. L’accord de Paris va dans la bonne direction, mais il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à limiter le réchauffement à moins de 2 °C. L’océan nous aide – ses écosystèmes comptent sur nous  !

L’asphyxie

par Véronique Garçon, directrice de recherche au CNRS, Legos, Vladimir Ryabinin, secrétaire exécutif de la commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco

Depuis les années 1960, la proportion de zones de haute mer dépourvues de tout oxygène a plus que quadruplé. Quant aux zones côtières à faible teneur en oxygène, y compris les estuaires et les mers, elles ont été multipliées par 10 depuis 1950. Les chercheurs du groupe de travail Global Ocean Oxygen Network (GO2NE), mis en place en 2016 par la commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco, représentant 21 institutions dans 11 pays, estiment que la teneur en oxygène va continuer à décliner dans ces deux types de zones de par le réchauffement climatique. Pour mettre un terme à ce déclin, il est impératif de limiter le changement climatique et la pollution par les nutriments. Près de la moitié de l’oxygène sur notre planète vient de l’océan. Cependant, les effets combinés de la surcharge en nutriments et du changement climatique augmentent considérablement le nombre et la taille des «  zones mortes  » en haute mer et en eaux côtières, où le niveau d’oxygène n’est plus suffisant pour assurer la survie de la majeure partie de la vie marine.

Dans les «  zones mortes  » traditionnelles, comme celles de la mer Baltique par exemple, la teneur en oxygène atteint des niveaux si bas que beaucoup d’animaux meurent asphyxiés. Comme les poissons évitent ces zones, leur habitat se réduit et ils se retrouvent plus exposés aux prédateurs et à la pêche. Certaines zones de pêche pourraient bénéficier du phénomène, du moins sur le court terme. La pollution par les nutriments peut en effet stimuler la production de nourriture pour les poissons. Par ailleurs, lorsque les poissons se retrouvent obligés de se regrouper pour fuir les zones à faible teneur en oxygène, il devient plus facile de les pêcher. Mais sur le long terme, cela pourrait conduire à la surpêche et ainsi nuire à l’économie. Même de plus petites baisses en oxygène peuvent freiner la croissance des espèces, entraver leur reproduction et entraîner des maladies, voire la mort. Le changement des teneurs en oxygène peut aussi déclencher le rejet de substances chimiques dangereuses, telles que le protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre plus puissant que le dioxyde de carbone, et le sulfure d’hydrogène, toxique. Si certaines espèces peuvent effectivement prospérer dans ces zones, il n’en est pas de même de la biodiversité dans son ensemble. Dans les eaux côtières, la pollution par les nutriments provenant des terres crée des proliférations algales qui consomment énormément d’oxygène lorsqu’elles meurent et se décomposent.

Le changement climatique est le principal responsable de ce phénomène en haute mer. Le réchauffement des eaux de surface empêche l’oxygène d’atteindre les profondeurs de l’océan. De plus, lorsque l’océan se réchauffe, il retient moins d’oxygène alors que la faune vivant dans les eaux plus chaudes a un besoin en oxygène plus important.

La santé de l’océan est vitale à la pérennité de notre planète. L’économie bleue ouvre d’immenses opportunités à travers les énergies renouvelables, le tourisme, l’aquaculture, ou encore les biotechnologies. La désoxygénation constitue une menace pour tous ces bénéfices que l’homme tire des écosystèmes marins. Pour faire face aux faibles teneurs en oxygène, il faut relever ces trois défis  :

– s’attaquer aux causes  : la pollution par les nutriments et le changement climatique, en réduisant de façon drastique l’utilisation d’engrais agricoles et les émissions de gaz à effet de serre,

– protéger les espèces marines les plus vulnérables et les ressources océaniques,

– améliorer la surveillance des teneurs en oxygène à travers le monde.

Mettre fin au changement climatique requiert un effort à l’échelle globale, mais des actions locales peuvent aider par exemple à réduire la désoxygénation due à la pollution par les nutriments. Tous ces efforts doivent s’inscrire dans la décennie 2021-2030 des Nations unies des sciences océaniques pour le développement durable.

Une urgence vitale

par Hélène Bourges, responsable de la campagne Océans pour Greenpeace France

Les océans occupent 70 % de la surface de notre planète. Ils portent les empreintes parfois indélébiles des changements de nos modes de vie. Surtout, ils sont le réceptacle de nombreuses pollutions engendrées par les activités humaines. Un cocktail toxique qui bouleverse le système océanique. Le réchauffement de la température des eaux de surface dû au changement climatique et l’arrivée d’eaux de ruissellement chargées en fertilisants provoquent l’effondrement des quantités d’oxygène dans les océans. Ce phénomène participe à l’apparition de «  zones mortes  ». Depuis cinquante ans, ces zones ont quadruplé en haute mer, avec une croissance encore plus forte dans les zones côtières. Le manque d’oxygène engendre la mort de la faune et de la flore marine existantes. Cette asphyxie progressive est un rappel cruel de la santé fragile et déclinante des océans. On oublie souvent que les océans jouent un rôle clé dans l’atténuation du changement climatique en agissant comme un immense puits de carbone. La vie marine fixe le CO2, sous différentes formes. Elle produit de l’oxygène en retour, via la photosynthèse des algues marines par exemple. Les océans fournissent ainsi la moitié de l’oxygène que nous respirons. Et bien sûr, ils sont une source de nourriture pour des milliards de personnes. Pour qu’ils puissent assurer ces fonctions vitales pour l’humanité, nous devons protéger la vie qu’ils abritent, en créant un réseau de réserves marines. Aujourd’hui, seulement moins de 3 % des océans font l’objet d’une protection.

En décembre 2017, après des années de discussion, les Nations unies ont enfin pris la décision d’élaborer collectivement un instrument juridique pour protéger la haute mer et sa biodiversité. Située hors des juridictions nationales, la haute mer couvre la moitié de la planète. Elle appartient à tous. Elle est pourtant un véritable Far West, où la soif de profit des industries extractives engendre surpêche, forages pétroliers risqués et destruction des grands fonds marins pour la recherche de minerais. Ce traité international permettrait à terme de protéger 30 % des eaux marines d’ici à 2030, comme le recommandent les scientifiques et les ONG, dont Greenpeace.

Grâce à sa flotte, Greenpeace mène des missions de recherche scientifique en mer, pour contribuer à l’augmentation des connaissances sur la vie marine et démontrer le besoin de la protéger. L’Esperanza, un des bateaux de l’ONG, remettra bientôt le cap sur le Brésil pour documenter un récif corallien unique situé dans l’embouchure de l’Amazone et aujourd’hui menacé par des projets de forages pétroliers, dont un porté par Total.

L’Arctic Sunrise, le brise-glace de Greenpeace, navigue en ce moment même dans l’océan Antarctique, pour y documenter la biodiversité des fonds marins. Le plus grand sanctuaire marin pourrait y être créé à la fin de l’année. Les États membres de la Commission de conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique se réunissent en octobre et pourraient s’accorder sur une proposition de l’Union européenne pour protéger la mer de Weddell. L’expansion de la pêche industrielle au krill, petite crevette qui est un des tout premiers maillons de la chaîne alimentaire marine, menace les baleines, les manchots et les milliers d’espèces qui vivent dans l’océan Antarctique.

La protection des océans prend une place de plus en plus importante dans les agendas internationaux. Les États ont su par le passé faire un effort collectif pour préserver de vastes zones de l’avidité humaine, comme le continent Antarctique, dédié à la paix et à la science depuis 1991. Plus qu’une cause sur un agenda, les océans ont désormais besoin d’actes pour leur protection. C’est notre souffle quotidien qui est en jeu.

Laurent Bopp

Directeur de recherche au CNRS, professeur attaché à l’École normale supérieure

Véronique Garçon

Directrice de recherche au CNRS, Legos

Hélène Bourges

Responsable de la campagne Océans pour Greenpeace France


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