Ventres à louer – Mères porteuses en Ukraine

samedi 18 août 2018.
 

Etre payée pour porter l’enfant d’autrui est un business « légal » en Ukraine. Ce marché de la mère porteuse en plein essor attire nombre de couples occidentaux.

La tristesse incarnée descend les escaliers de la gare centrale de Kiev. Elle ne prête pas attention aux chauffeurs qui alpaguent les arrivants, aux changeurs de devises à la sauvette, aux miliciens sourcilleux, aux petites vieilles fourbues qui époussettent le sol. Il y a des cris, des rires, des injures, des annonces, une odeur de pain et de renfermé. Et elle, la tristesse incarnée, qui marche les bras croisés, glissant sur le sol, avançant presque à regret, comme si elle laissait à chaque pas un peu d’elle-même, derrière ses talons usés. La tristesse incarnée, c’est Tania Berdnik. Elle a de grands yeux verts voilés, des mains de travailleuse. D’ici une heure, à l’autre bout de Kiev, dans une clinique à la devanture plus grise que le plus gris des ciels, elle va se faire implanter un embryon. Elle veut devenir mère porteuse. Elle a peur. Non pas de l’inconnu, mais du familier. Des blouses blanches, de la froideur du métal, de l’odeur aseptisée.

Tania a 32 ans. Elle vit dans le village de Kamenka, à environ 200 km au sud-est de la capitale, Kiev. Elle a deux filles, Dacha et Liouda, 12 et 14 ans. Leur père n’est plus là. En 2001, il est parti travailler au Portugal. Il n’a plus donné signe de vie. Tania a déposé plainte. Impossible d’obtenir réparation. Elle doit s’en sortir seule. « Avant, il y avait des usines à Kamenka. On produisait du sucre, du pain, des voitures. Tout a fermé. Les seuls bons postes sont occupés par des gens avec des réseaux, des contacts. » Pour subvenir à ses besoins, Tania a donc décidé de se lancer dans un commerce extrême, exploitant sa seule ressource : son corps. A dix reprises déjà, elle a vendu ses ovocytes, pour quelques centaines d’euros. Une procédure lourde, sous anesthésie générale, avec de fortes doses de médicaments, qu’elle a répétée plusieurs fois par an. En ce jour de mai, elle entreprend une démarche plus radicale. Elle a décidé, une nouvelle fois, de porter l’enfant d’un autre couple.

Sa première expérience avait mal tourné, en 2010. Tania était tombée enceinte tout de suite. Hélas, il s’agissait d’une grossesse extra-utérine, nécessitant une intervention chirurgicale d’urgence. Problème : qui devait payer ? « Tout le monde s’est renvoyé la responsabilité. Les clients accusaient la clinique. Au final, la femme, qui était ukrainienne comme moi, a accepté de payer. Son mari était français. S’ils n’avaient pas cédé, je ne sais pas ce qui serait arrivé. » Tania n’est pas découragée par cette épreuve. L’année suivante, elle se plie à nouveau à la procédure. La grossesse se passe bien. Tania baisse la tête, gênée. « C’était une fille. » Elle n’a eu aucun contact avec les parents.

UN MARCHÉ EN PLEIN ESSOR

Depuis notre première rencontre, à la gare de Kiev, rien ne s’est déroulé comme prévu pour la jeune femme. L’implantation de l’embryon n’a pas marché. Tania Berdnik a refusé de subir une nouvelle opération, furieuse de ne pas avoir été remboursée pour les frais de transport. Quatre heures de train jusqu’à la capitale, un billet à 11 euros, ce n’est pas rien. Heureusement, elle a trouvé du travail au village, conforme à sa formation. « Je bosse comme cuisinière. C’est très dur, je fais des journées de 8 heures du matin à minuit, pour 1 200 grivni (120 euros) par mois. » Son compagnon n’a pas d’emploi. Que pense-t-il de ses dons d’ovocytes, de ses grossesses rémunérées ? « Ça lui est égal... Je ne sais pas quoi vous répondre. » Silence. « C’est la vie », dit-elle en français.

Ainsi va l’Ukraine : un pied dans la modernité, l’autre dans la misère. Deuxième pays au monde, après l’Inde, pour la médecine reproductive, un marché en plein essor. On y trouve le meilleur, des cliniques privées de pointe, suréquipées, avec d’excellents spécialistes, et parfois le pire. Des intermédiaires véreux, des mères porteuses trompées et maltraitées, des bébés qui disparaissent ou bien sont pris au piège d’un conflit juridique. Tout est possible, car tout est flou. La loi, en Ukraine, se plie et se tord, faute d’une culture du droit et d’une séparation des pouvoirs. Vingt et un an après la disparition de l’Union soviétique, huit ans après la « révolution orange », le pays déprime. Certes, l’identité nationale s’est consolidée. Mais les espoirs de démocratisation sont fanés. L’arrivée à la présidence de Viktor Ianoukovitch, en février 2010, a sonné l’heure de la revanche pour le Parti des régions, russophone. La corruption, la confusion entre l’oligarchie et le pouvoir politique atteignent des sommets. Dans ce contexte, la survie n’est pas un vain mot. Il faut s’adapter, bricoler, contourner. Trouver des chemins de braconnier.

Longtemps ballottée de clinique en clinique au gré des interventions, Tania Berdnik a eu la chance, au moment de sa grossesse avortée, de tomber sur un médecin compétent et bien intentionné. Vladimir Kotlik dirige la clinique Mat i detia (« mère et enfant »), dans la banlieue de Kiev. Un petit bâtiment jurant avec les barres avoisinantes, dans lequel on enfile des protections en plastique sur les chaussures, par souci d’hygiène. Derrière le guichet, des hôtesses au foulard orange sourient. La propreté des lieux est parfaite, le bleu ciel domine et rassure. Dans la salle d’attente, de jeunes femmes feuillettent distraitement des magazines ou triturent leur portable. Une télévision parle de la Syrie, une autre montre un documentaire sur les œufs d’alligator. Dans cette clinique, de 300 à 400 enfants naissent chaque année par fécondation in vitro (FIV). Dont 30 par mère porteuse. Au niveau national, les estimations officielles restent modestes. L’Association ukrainienne de la médecine reproductive parle de 150 cas environ par an, mais ce chiffre ne concerne que les cliniques affiliées à l’association.

L’Ukraine est une destination privilégiée pour les couples occidentaux en détresse, qui constituent la moitié de la clientèle. Les repères ont changé, dans nos pays. La cellule familiale traditionnelle a reculé, l’homoparentalité s’est banalisée. Les progrès de la science nourrissent le refus de la fatalité. L’idée d’un droit à l’enfant fait son chemin en Occident, lourd d’interrogations médicales, juridiques, politiques, philosophiques, religieuses. La mère porteuse est au cœur de ce questionnement, d’autant que l’adoption devient de plus en plus difficile.

COMMERCE DU CORPS

Dans son bureau décoré par un vaste panneau de photos d’enfants, trophées de la science, Vladimir Kotlik explique les étapes de la procédure. Elle commence par une consultation avec les parents. Sont écartés d’office les célibataires, les malades du sida et de l’hépatite, ainsi que les homosexuels. « Beaucoup de clients ne veulent pas gâcher leur apparence physique par une grossesse. Ils réclament un enfant d’un claquement de doigts, ou bien plusieurs d’un coup. Or c’est une pratique médicale très encadrée. On a vu un couple voulant des enfants de trois mères porteuses différentes ! Impossible, bien sûr. » La règle est claire en Ukraine : il faut qu’un problème médical empêche le couple de procréer. Ensuite, il est inadmissible que la mère porteuse ait un lien génétique avec l’enfant qu’elle porte. En revanche, l’enfant doit en avoir avec au moins l’un des deux parents clients, issu du sperme du père ou de l’ovocyte de la mère.

Le choix de la mère porteuse, âgée entre 18 et 35 ans, se fait par l’intermédiaire d’agences spécialisées, qui disposent d’une liste de candidates et gèrent la sécurité juridique du contrat signé entre les parties. La candidate doit être déjà mère. Si elle est mariée, le consentement de son époux est obligatoire. Pendant la grossesse, elle peut rester à son domicile, ou bien être logée par les clients à Kiev. Ces derniers débourseront au total entre 40 000 et 50 000 dollars, dont environ 15 000 pour la mère porteuse, plus les frais du quotidien. Les critères physiques entrent en ligne de compte dans le choix sur catalogue, mais ils ne sont pas les seuls, nous explique Lioudmila Smagina, la directrice du Medical and Pharmaceutical Law Center, une des agences les plus sérieuses de Kiev. « Les femmes doivent se trouver dans des conditions sociales favorables, être bien entourées. Les personnes d’origine trop pauvres ont un niveau intellectuel inférieur, elles vivent dans un environnement pouvant impliquer de l’alcool ou même de la drogue. Si elles ont de grandes dettes, c’est aussi un motif de stress dommageable. »

Lioudmila Smagina est consciente des dérives possibles dans ces grossesses calculées, sur commande. « Nous sommes allés bien plus loin que la plupart des pays européens. Les valeurs morales sont parfois larguées loin derrière les progrès médicaux. » Le médecin Vladimir Kotlik se souvient d’un cas extrême, dans la ville de Kharkov où il a travaillé : celui d’une femme devenue mère porteuse pour sa propre fille, qui ne pouvait avoir d’enfant.Le 16 octobre, deux semaines avant les élections législatives, les députés de la Rada ont adopté un projet de loi sur la reproduction médicalement assistée. De longues années de débats et de polémiques l’avaient précédé. Le texte encadrait le recours aux FIV, fixant un âge limite (51 ans), et prévoyait des sanctions pénales sévères contre les cliniques hors la loi. Mais le 2 novembre, à la stupeur générale, le président Ianoukovitch a posé son veto sur le texte. Le chef de l’Etat a estimé que certains statuts et droits n’étaient pas bien déterminés, comme ceux de la mère porteuse. Résultat : en attendant une nouvelle mouture, l’Ukraine ne dispose que du code familial imprécis, qui autorise des dérives.

La plus ardente promotrice du texte est Ekaterina Loukianova, l’une des rares députées à s’intéresser à ces sujets de société. Cette partisane d’une vision conservatrice de la famille, hostile au mariage homosexuel, a sa formule préférée : « Un enfant n’est pas une valise ou un ordinateur. Ses droits doivent être prioritaires. » La députée a commencé à travailler sur la question des mères porteuses lorsqu’un scandale de résonnance internationale a éclaté. Il concernait un couple français, Patrice et Aurélia L. En mars 2011, le père avait tenté de sortir clandestinement d’Ukraine ses jumelles nées d’une mère porteuse, cachées dans son véhicule. Il s’est fait arrêter à la frontière avec la Hongrie. Les enfants étaient apatrides. Le couple a fini par leur obtenir la nationalité ukrainienne, puis un visa Schengen. Après des mois d’exil involontaire, ils ont pu revenir en France. « Je comprends qu’on est au XXIe siècle mais cette fuite en avant fait oublier nos bases morales, affirme la députée Loukianova. Dans l’Union européenne, mère porteuse n’est pas une activité commerciale. L’Ukraine, elle, a tendance à transformer la femme en produit. Ce marché n’est pas très éloigné de la prostitution. Il s’agit aussi du commerce du corps. »

Le problème, selon la députée, est que le ministère de la santé n’accorde pas de licence spécifique pour les technologies reproductives. Seulement une licence pour les pratiques gynécologiques. Une clinique peut donc s’improviser spécialiste de ce secteur sensible. Heureusement, les agences et les cliniques scrupuleuses anticipent la future loi. Elles refusent déjà de conclure un contrat avec des ressortissants de pays interdisant le recours aux mères porteuses. C’est le cas de la France, de l’Allemagne, ou encore de l’Italie. « Ça fait déjà trois ou quatre ans qu’on n’accepte que les couples des pays scandinaves, d’Angleterre, du Canada, des Etats-Unis et d’Israël, explique Valéri Zoukine, directeur de la clinique Nadia à Kiev et spécialiste respecté de la médecine reproductive. Je connais le cas d’une Française dont l’enfant a été placé dans un orphelinat depuis un an. C’est une tragédie. »

CASSE-TÊTE JURIDIQUE

Kiev et Donetsk sont les villes les plus dynamiques en matière de médecine reproductive. Elles ont un grand aéroport, des firmes juridiques, des infrastructures médicales variées. En province, la réalité est différente, souvent plus glauque. Irina Morozova se serait bien passée de sa petite célébrité. Mais son cas est devenu emblématique du flou entourant les mères porteuses. Nous l’avons rencontrée une première fois en mai, à Kiev, avec une pile de documents sous le bras, rendant visite à son énième avocat. Nous voulions la revoir chez elle, loin de la capitale, pour cerner le décor de son drame familial. Début décembre, à 300 km de Kiev. Irina vit au 5e étage d’un immeuble banal dans la petite ville de Bar. Vinnitsa, la capitale régionale, est à 70 km. La route est une langue de boue et de glace entourée de paysages blancs. Quand on arrive, quatre hommes palabrent au rez-de-chaussée, l’air soucieux. L’électricité a été coupée, il faut identifier la panne. Dans l’appartement familial d’une pièce, la température n’a pas encore eu le temps de redescendre et le frigo de dégeler.

La grand-mère a gardé les jumeaux pendant deux jours, tandis qu’Irina et son mari, Dmitro, s’affairaient entre Kiev et Vinnitsa. Agés de 2 ans, les garçons ne parlent pas encore mais sont très actifs, jamais avares d’une cascade. L’ordinateur n’a presque plus de secret pour eux. Des peluches sont accrochées sur la tringle des rideaux. Irina dort peu, picore plus qu’elle ne mange. L’angoisse lui écrase la poitrine, à quelques jours d’une décision judiciaire qui va bouleverser sa vie. Elle se débat avec ses faibles moyens et son instinct de survie, contre des ennemis invisibles. Des parents biologiques italiens, si loin. Des avocats, des ombres, des conspirations imaginaires. Irina n’est pas une mère de pacotille, une mère au rabais, une mère indigne. C’est une mère. Avec ses moments d’impuissance, de joie et de fatigue, couvrant ses petits d’une attention de louve. Dmitro, lui, est un grand gaillard à la mine un peu patibulaire, vêtu d’un pantalon de treillis. Il a beau être toujours en retard aux rendez-vous avec Irina, il est plein d’attention à son égard. Un jour, avant de partir travailler, il a collé un long poème d’amour découpé dans un journal sur le mur de la salle de bains.

Le couple s’est marié en 2008. Leurs revenus sont modestes. Irina a travaillé un temps comme serveuse, lui comme vigile. Début 2010, elle lit une annonce d’emploi adressée aux femmes, promettant une forte rémunération. Un intermédiaire, Sergueï K., l’invite à prendre un café. Aux tables voisines, d’autres candidates attendent leur tour. L’homme montre à Irina la brochure d’une clinique, à Kiev. "C’est quoi, ce travail ?

- Tu peux être donneuse, ou mère porteuse. N’aie pas peur, tout est légal, et ça rapporte beaucoup. Tu pourras t’acheter ce que tu veux."

Irina pense à sa fille de 13 ans. « Je me demande comment j’ai pu m’engager », soupire-t-elle, avec le recul. Le 27 avril 2010, après une batterie d’examens, on lui implante quatre embryons, bien au-delà des normes habituelles. La grossesse est destinée à un couple d’Italiens. Un mois plus tard, Dmitro découvre l’initiative de sa femme lorsque celle-ci est hospitalisée, en raison d’une hémorragie. « Quand il a vu Sergueï, l’intermédiaire, il a cru que c’était mon amant, dit-elle. C’était une scène hallucinante. »

Le 9 novembre, les jumeaux naissent, très prématurés. Albert et Artur vont mal, ils sont mourants et ne pèsent qu’environ 1,5 kg. On les évacue à Vinnitsa, où les équipements sont meilleurs. Dmitro fait des allers-retours, sur la route glacée, pour acheminer le lait maternel. « Je suis restée deux mois à l’hôpital, rappelle Irina. J’ai sauvé ces enfants, puis je les ai élevés, sans jamais signer de contrat avec les Italiens. Sergueï est venu me voir à l’hôpital, tout mielleux. J’ai refusé de parapher le document qu’il m’a soumis. J’ai alors décidé d’enregistrer les enfants sous mon nom. »

Normalement, les parents biologiques doivent déclarer les enfants dans les trois jours suivant la naissance. Mais le couple italien n’était pas là. A leur arrivée, Irina avait déjà décidé de garder les jumeaux. D’autant qu’elle n’avait rien touché de la somme promise. « Le couple italien est la première victime de cette affaire, explique leur premier avocat, Me Vadim Parkhomenko, puis c’est la mère porteuse. Elle aussi a été trompée. Il n’y a pas eu entre eux d’accord professionnel, formalisant comment l’argent serait versé et les enfants transmis. L’argent a été capté par les intermédiaires. »

Les Italiens ont porté plainte pour obtenir la garde des enfants. L’affaire est d’une grande complexité pour la justice ukrainienne. En première instance, en mars, le tribunal de Bar leur a donné raison. Le 10 décembre, la cour d’appel de Vinnitsa a rendu une décision lourde de conséquences, en confirmant ce jugement. Elle a demandé l’annulation du certificat de naissance. Albert et Artur, déjà âgés de 2 ans, doivent être rendus au couple étranger, pourtant originaire d’un pays n’autorisant pas le recours aux mères porteuses. La juge qui a rendu la décision, Lidia Soroka, nous confie que le dossier est « extraordinairement difficile. » Elle reconnaît que toutes les parties sont victimes. « C’est encore plus dur pour les Italiens, les parents biologiques, qui auraient aimé voir les premiers pas des enfants, dit-elle. Les intermédiaires ont arnaqué les deux côtés. Irina Morozova aurait dû recevoir l’argent, et eux les enfants. » Irina, elle, crie au complot. Elle est convaincue que les Italiens ont acheté la décision. Elle sait que les recours ne sont pas épuisés, contrairement à elle. La Cour suprême ukrainienne puis la Cour européenne des droits de l’homme peuvent se préparer à une sacrée migraine. L’histoire d’Irina Morozova est un désastre pour les enfants.

DES FEMMES HEUREUSES

Mais le recours aux mères porteuses, en Ukraine, n’est pas forcément source de tensions ou de drame. On connaît même des femmes heureuses. Elles ne sont pas toujours motivées par l’argent. Le cas de Ioulia Sidorenko sort de l’ordinaire. Cette jolie Kiévienne aux cheveux courts et au débit accéléré travaille comme chef des ventes dans un magasin de meubles importés d’Indonésie. Mais pas à plein temps, car elle veut être disponible pour ses deux enfants, Artiom, 7 ans, et sa sœur Lisa, 10 ans. La famille occupe un trois-pièces confortable dans un immeuble en banlieue de Kiev. Ioulia est volubile. Coquette aussi, la manucure impeccable. Et puis, comment ne pas le noter dans un pays où rien ne s’offre facilement à vous ? Ioulia semble naturellement douée pour le bonheur. Une forme de naïveté la protège des affres du monde.

Elle a rencontré Dmitri lorsqu’elle était encore lycéenne. Tous deux juristes de formation, ils ont travaillé plusieurs années à la mairie de Kiev. Mais la jeune femme voulait consacrer plus de temps à sa famille. « Je lis souvent des interviews de célébrités, qui parlent de leurs rêves artistiques. Depuis l’âge de 16 ans, mon rêve a toujours été d’être mère. » Celle de Ioulia est morte lorsqu’elle avait 1 an. Après avoir quitté la mairie de Kiev, la jeune femme ouvre un magasin de jouets pour enfants, sur un coup de cœur. Très vite, elle dégage des bénéfices et s’assure un revenu confortable, mais le travail se révèle une nouvelle fois trop prenant. Elle cède la boutique à une amie. Au printemps 2012, alors inactive et heureuse, elle découvre sur Internet des récits de mères porteuses américaines se disant épanouies. « A 30 ans, on réfléchit naturellement au sens de la vie. Certains font de l’humanitaire. Moi, j’ai pensé à ça. » Elle nous montre des photos de ses enfants lors d’une fête déguisée. Puis au théâtre, à la piscine, en vacances. Tout pour eux.

Ioulia Sidorenko a pris sa décision rapidement, puis a informé son mari. « Les hommes ne comprennent pas ces problèmes, ils ne peuvent se mettre à notre place. » Elle remplit un formulaire sur le site d’une clinique. Ses analyses sont parfaites, son profil séduisant. De retour de vacances familiales à Odessa, en août dernier, elle est contactée. Le couple client est riche et célèbre : elle, une belle Ukrainienne ; lui, un entrepreneur étranger de renom. On aimerait vous en dire plus, tant leur parcours est savoureux, mais le secret médical a un sens, au moins en France. Le couple vérifie scrupuleusement l’hygiène de vie de Ioulia, ses antécédents. Les deux parties parviennent facilement à un accord. Enceinte de 11 semaines lorsque nous la rencontrons, début décembre, la jeune femme n’a pas d’états d’âme. « Je fais tout en conscience. Je comprends que, génétiquement, ce n’est pas mon enfant. Je vais mettre l’argent de côté soit pour acheter une voiture, soit pour les études de mes enfants. »

Piotr Smolar


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