Turquie : « le HDP incarne la résistance à Erdogan » (Jean-Christophe Sellin)

dimanche 2 septembre 2018.
 

Jean-Christophe Sellin, Conseiller régional France Insoumise d’Occitanie et secrétaire national du Parti de Gauche participait à une délégation d’observateurs lors des récentes élections turques. Un mois après ces élections, il revient pour L’Heure du Peuple sur la situation dans ce pays.

Vous vous êtes rendu en Turquie du 23 au 26 juin pour les élections générales avec une délégation du Parti de Gauche. Quel était le but de ce déplacement ?

Jean-Christophe Sellin : Nous répondions à la demande du HDP (Parti Démocratique des Peuples) d’avoir à ses côtés des observateurs internationaux dans un contexte extrêmement difficile de répression, d’intimidation et de fraudes potentielles. Depuis plusieurs années, à chaque événement important, nous nous rendons en Turquie en solidarité avec le HDP pour les procès, pour leurs congrès et pour les élections cette fois-ci.

De nombreux observateurs internationaux ont dénoncé des arrestations et des pressions, la délégation du Parti de Gauche a été arrêtée dès son arrivée à l’aéroport d’Istanbul, que s’est-il passé ?

Au moment d’embarquer pour Diyarbakir (3ème ville du pays, Kurdistan turc), nous avons été placés dans le secteur fermé de l’immigration et interrogé par les services secrets turcs sur nos liens avec le HDP et …le PKK( Parti des Travailleurs du Kurdistan)*. Nous avons simplement répondu que nous répondions à l’invitation d’un parti légal, le HDP. Nous ne comprenions donc pas cet interrogatoire et cette entrave à circuler librement. Nous allions en Turquie pour observer le bon déroulement du scrutin dans le cadre des conventions internationales signées par la Turquie. Après deux heures et demie, de chaud et de froid, après avoir été menacés d’être expulsés le lendemain et d’être interdits de séjour à vie en Turquie, nous avons finalement été relâchés dans la soirée avec la possibilité de prendre le premier vol de 6h30 pour Diyarbakir. Le fait que Danielle Simonnet (co-coordinatrice du PG) et moi-même soyons élus a peut-être pesé pour notre libération.

Votre délégation à donc pu se rendre à Diyarbakir et observer le scrutin, avez-vous observez des fraudes pendant la journée de vote ?

Notre délégation était à la fois sur Diyarbakir-ville et dans la montagne. Dès l’arrivée, on a noté la présence militaire dans tous les bureaux de vote, avec des véhicules blindés dans les cours d’école et des gendarmes lourdement armés au sein même des bureaux de vote à quelques pas des urnes.

Dans la montagne d’Hazro à 80 km de Diyerbakir, Danielle et moi-même faisions partie d’une équipe volante qui répondait, au cas par cas, à l’appel d’un groupe de juristes volontaires du barreau de Diyarbakir. Ainsi en fin de matinée le dimanche 24 juin, nous avons été appelés sur l’école de Yazgi où il avait une situation extrêmement tendue. Des gardiens de village (en fait des miliciens armés par Erdogan) étaient rentrés dans l’école pour provoquer. Comme ça n’était pas suffisant le responsable local de l’AKP (le parti islamiste d’Erdogan),est venu, pistolet en main, pour menacer la présidente du bureau de vote. Une centaine d’habitants HDP s’est alors massée autour de l’école. Un escadron de gendarmerie est arrivé, armé de M16 et équipé d’automitrailleuses pour officiellement assurer le bon déroulement du scrutin, filtrant toutes les étapes du bureau de vote. Le dispositif a été partiellement levé à 13h mais à partir de 14h aucun observateur n’était autorisé à voir ce qui s’y passait pour empêcher une quelconque observation pour la fermeture des bureaux à 17h. On a appris que les urnes sont reparties par hélicoptères militaires. Malgré ces pressions, ces entraves avec notamment le regroupement des bureaux de votes, obligeant des gens à faire dix ou vingt kilomètres à pied pour voter, le HDP a fait 75% des voix ici.

Parlons maintenant des résultats de l’élection, avec 52,59 % le président Recep Tayyip Erdogan et son parti l’AKP (Parti de la justice et du développement) ont remporté les élections présidentielles et législatives, quel est votre analyse des résultats ?

La crise sociale qui traverse le pays est en partie canalisée sur le terrain nationaliste et ethnique en désignant notamment les kurdes comme boucs émissaires des difficultés. Comme on a pu le vérifier les élections générales, présidentielles et législatives, du 24 juin en Turquie se sont déroulées dans un contexte de répression, d’intimidation et de fraudes généralisées.Malgré tout, l’AKP baisse de 7% et c’est grâce à un bloc électoral AKP - MHP droite islamiste -extrême droite qu’il a une majorité absolue au parlement. Avec un score truqué, Erdogan met en place un régime présidentiel à marche forcée. Erdogan n’a pas obtenu la majorité des deux tiers des sièges parlementaires nécessaires pour engager, seul, une réforme constitutionnelle.

Le résultat du HDP (Parti démocratique des peuples) était un des enjeux de ce scrutin législatif en pleine répression. Avec un résultat de 11,62 %, il a dépassé le barrage électoral des 10%. Pour avoir un groupe parlementaire de 68 députés. Quelles vont être les conséquences pour Erdogan de l’existence de cette opposition du HDP au sein du parlement et dans la société ?

Depuis sa prison, notre camarade Selahattin Dermitas, candidat du HDP réalise 8% des voix. En nette progression depuis novembre 2015, le parti HDP obtient 68 sièges (au lieu de 59 auparavant).Dans ce contexte terrible, le HDP résiste et reste la troisième force sociale et politique de Turquie. Il incarne l’axe de résistance et porte un programme d’alternative démocratique, basée sur le féminisme, le non-confessionnalisme de l’activité publique, l’écologie, la répartition des richesses et le droit des minorités. Comme l’indique le HDP concernant les perspectives après ces élections du 24 juin : « La situation de détresse dans lequel la Turquie est plongée depuis plusieurs années et la détérioration alarmante des diverses principes fondamentaux nous réserve un avenir incertain mais cela ne nous décourage aucunement. Cela nous encourage au contraire à continuer notre lutte pour la démocratie dans les mois et les années à venir, peu importe les nouvelles entraves déjà en cours pour encombrer notre chemin ».

*Le PKK est sur la liste des organisations « terroristes » de l’UE et des Etats-Unis. Pourtant, on doit aux militants du PKK, aux unités combattantes femmes-hommes des YPJ et YPG au Rojava d’avoir chassé Daesh et Al-Qaida de Kobané et de Raqaa. Ils étaient en partie appuyés par les …forces spéciales françaises, anglaises et américaines.

Simon Berger


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