Elections européennes : la France insoumise change de cap et ouvre la porte à un rassemblement à gauche (Mediapart)

dimanche 23 septembre 2018.
 

À l’aube d’élections européennes cruciales, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon entend devenir plus attractif dans le jeu politique...

Ce n’est pas un virage à 180 degrés. Mais le fond de l’air n’est plus le même. À l’aube de cette rentrée, la France insoumise (FI) aborde une nouvelle phase de son existence. Ce week-end, au parc Chanot, le palais des congrès de Marseille où était organisée l’université d’été de la FI, Jean-Luc Mélenchon a donné le ton. Lors d’un discours à destination des militants et du grand public, il a abandonné l’hypothèse, très controversée à gauche, d’un plan B, équivalent d’une sortie de la France de l’Union européenne. Ouvrant ainsi la porte à un rassemblement large derrière lui.

Dimanche, en présence de quelques journalistes rassemblés devant la basilique Notre-Dame-de-la-Garde, le député de Marseille a ensuite officiellement entériné ce changement de cap qui couvait depuis des mois. Il faut sortir d’une « attitude de renfermement » pour « ramener la gauche au peuple », a expliqué celui qui, depuis toujours, voue une admiration sans bornes à François Mitterrand, qui avait porté le « programme commun », avec le parti communiste, en 1981.

« C’est une nouvelle étape, oui, a-t-il confirmé. On ne peut pas se comporter de la même manière quand on est dans cette situation [de centralité – ndlr] que quand on est un petit groupe qui essaie de gagner son droit à la survie. On est dans un autre rapport à la société donc il faut assumer. On est rugueux dans la polémique, dans les mots, mais on a intérêt à ce que les choses n’aillent pas plus loin. »

Pas question, pour l’instant, de revenir aux alliances à l’ancienne. Mais, chez les cadres de la FI, on n’entend plus vilipender haut et fort et la « soupe aux sigles » et autres « tambouilles » électorales. Le mot « gauche » est réapparu dans les discours. À neuf mois des élections européennes, c’est une séquence plus pacifiée qui s’ouvre pour le mouvement. Les piques à l’encontre des communistes et des socialistes ont été mises en veilleuse. Le temps de la construction de digues infranchissables entre la FI et le reste de la « gôche » (sic) paraît révolu.

Invité par le PCF à la fête de l’Humanité, qui aura lieu du 14 au 16 septembre, Jean-Luc Mélenchon, qui avait refusé de s’y rendre l’an dernier, n’a pas décliné : « Il faut que j’y réfléchisse », dit-il d’un air qui laisse penser qu’il ira.

En introduction de son discours aux « Amfis d’été », samedi, Jean-Luc Mélenchon a eu un mot pour tous les responsables politiques (des communistes aux socialistes en passant par les hamonistes et les écologistes) qui s’étaient rendus au parc Chanot. Sans oublier un « salut de la fraternité » pour l’université d’Attac, organisée le même week-end à Grenoble. « Ici, il n’y a pas de dogme. Chacun d’entre nous construit sa conscience politique. Il n’y aura jamais de police de la pensée », a-t-il lancé à la tribune.

Même la députée Clémentine Autain n’en revient pas de ce changement de ton. Il y a encore quelques mois, elle avait subi les foudres du leader de la FI après avoir plaidé, dans l’hebdomadaire Politis, pour une dynamique plus unitaire. Aujourd’hui, l’ancien défenseur d’un populisme à la Chavez la prend affectueusement, et ostensiblement, par les épaules. Elle ne peut que se féliciter de ce « bougé » : « Jean-Luc tient à ce qu’il y ait une homogénéité en interne, mais il y a désormais cette idée de rassembler des profils plus variés et que la conflictualité peut s’exprimer en interne. »

« C’est sûr que quand tu es fort, tu peux être plus iconoclaste (sic) que quand tu es un groupuscule », ajoute son camarade du Palais-Bourbon, Alexis Corbière.

L’approche des européennes, l’an prochain, n’est pas pour rien dans ce renouveau. L’élection, qui est censée achever la recomposition du champ politique, est risquée pour la FI. Si le mouvement s’était adressé, avec sa stratégie populiste mise en œuvre pendant la présidentielle, aux classes populaires, elles sont traditionnellement très abstentionnistes aux européennes. Il faut désormais convaincre un électorat plus « gauche traditionnelle » : « Nous [ne devons] pas oublier ou repousser les classes moyennes supérieures “sachantes” », expliquait ainsi, Jean-Luc Mélenchon, à Mediapart, en juillet.

L’arrivée du socialiste de l’aile gauche, Emmanuel Maurel, qui pourrait figurer sur la liste de la France insoumise pour les élections européennes, semble, du reste, de plus en plus probable. Jean-Luc Mélenchon ne tarit pas d’éloges sur son ancien camarade de la rue de Solférino. Et, chez les cadres de la FI qui, il n’y a pas si longtemps voyaient en horreur tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un « solférinien », on argue que « Maurel, ce n’est pas le PS ».

De quoi énerver très fort Olivier Faure, le premier secrétaire du parti, qui redoute de voir décrocher les 20 % de socialistes qui avaient voté pour Emmanuel Maurel lors du congrès d’avril dernier. « On veut arracher un bout de socialos, mais en le faisant à la loyale, car pour le coup, on est vraiment d’accord sur le fond des idées », souligne Alexis Corbière.

C’est aussi pour cette raison que le fameux plan B, pomme de discorde à gauche durant la présidentielle, est en train d’être définitivement vidé de sa substance. Plus question du fameux « l’Europe, on la change ou on la quitte » qui avait fait scandale, au PCF ou chez les partisans de Benoît Hamon. « La proposition du plan A, [c’est] on change les règles […], a expliqué Jean-Luc Mélenchon à ses militants, à Marseille, le plan B [c’est] on le fera quand même, avec l’appui de ceux qui pensent comme nous. » Ou comment le plan B est devenu... le plan A.

Puisqu’il faut cocher toutes les cases pour attirer les électeurs de la « gauche morale », le discours se fait aussi de moins en moins ambigu sur les migrants. Dès qu’il le peut, Mélenchon cite l’Aquarius et félicite SOS Méditerranée, loin du silence prudent qu’il avait observé, en juin dernier [1]. Quant aux thèmes classiques de la gauche social-démocrate, ils sont aussi revenus sur le devant de la scène : la baisse du temps de travail ou les retraites.

Reste à savoir comment ce « bougé » sera perçu en interne. Avant les grandes vacances déjà, François Cocq [2], membre du Parti de gauche, ainsi que quelques autres figures de la France insoumise, avait qualifié de « grand bond en arrière » le changement stratégique qu’il voyait poindre à l’horizon. Aux « Amfis », la tête de liste pour les européennes, Charlotte Girard, a aussi reconnu que tous les militants étaient loin de partager les mêmes convictions sur les migrants. Francis Parny, cadre du mouvement, a souligné, devant les militants rassemblés dans un atelier, comme pour leur mettre la puce à l’oreille : « Notre stratégie n’est pas forcément figée, ni dans un sens ni dans l’autre. »

Autrement dit, si l’évolution se fait lentement mais sûrement, rien n’interdit quelques retours en arrière pour n’oublier personne sur le chemin du changement.

PAULINE GRAULLE


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