Alimentation industrielle (3 / 4) : Les acteurs citoyens : transparence, effet cocktail et gouvernance renforcée

mercredi 12 septembre 2018.
 

Le groupe parlementaire de la France insoumise a la possibilité d’initier la création d’une commission d’enquête une fois par session, par le biais de ce qui est appelé « droit de tirage. » Nous avons décidé de consacrer notre toute première commission d’enquête à la question de l’alimentation industrielle, sujet auquel personne ne peut échapper, avec une préoccupation constante : comment reprendre le pouvoir sur son assiette ? La présidence de cette commission revenant de droit à un-e insoumis-e, le groupe parlementaire FI m’a proposé cette fonction. J’ai donc la charge d’en mener les travaux qui déboucheront sur un rapport et des propositions concrètes à la fin du mois de septembre. En attendant, je me permets de vous en proposer un condensé en plusieurs parties.

Troisième volet pour tenter de tirer les enseignements des auditions des acteurs citoyens au sens large (ONG, associations, personnalités engagées…)

La question de l’alimentation et de la transition de notre modèle alimentaire, parce qu’elle touche directement notre quotidien en même temps qu’elle est éminemment politique, a été investie depuis un certain par les mouvements citoyens et ce qu’on appelle parfois avec inexactitude la « société civile. » C’est finalement le terrain parfait pour développer des réflexions propres aux mouvements alternatifs qui ont pour principales caractéristique d’articuler le global et le local. Les portes d’entrées diffèrent pourtant en fonction des acteurs : de la question de l’éducation et du patrimoine culturel à l’information (pour des initiatives privées) en passant par la santé publique et la sécurité alimentaire (pour des associations) ou par l’écologie et le modèle agricole (pour les grandes ONG). Preuve que le sujet embrasse un très large champ de thématiques, qui finissent irrémédiablement par s’entrecroiser une fois la spécialité de chacun dépassée.

Parlons d’abord des initiatives qui proviennent d’en bas, nées et menées à bien à hauteur de citoyen-ne-s, très souvent pour combler les manques des pouvoirs publics vis-à-vis de demandes et de besoins de la population. Je pense d’abord à l’association « Les pieds dans le plat », constituée de diététiciens et de cuisiniers frustrés des errements de la restauration collective et qui ont décidé de reprendre en main leur activité : composer l’assiette des autres, celles des enfants dans les écoles. Ils militent et travaillent pour changer les circuits d’approvisionnements en y mettant des aliments bio, produits localement et de saison, redonner du sens aux métiers de la restauration collective et y remettre de l’humain là où il avait quasiment disparu. Ils produisent des documents et forment des professionnels sur la pratique de la Cuisine (avec un C majuscule) dans les collectivités ou encore sur les marchés publics. Il y a aussi un hybride, à mi-chemin entre l’association, la structure de recherche et le « think tank », appelé le BASIC. Ils font un effort conséquent de collecte et d’agrégation de données et en sortent des constats aussi pertinents que glaçants : 80 % de ce qui est consommé à la maison provient de la grande distribution, dont le marché est contrôlé à 92 % par 6 enseignes. L’industrialisation de l’alimentation participe à la précarisation générale du travail, en créant surtout des contrats précaires et en faisant en sorte que la valeur soit captée essentiellement par les distributeurs (+ 100 % de marge en 15 ans), puis les industriels (+ 50 %) au détriment des agriculteurs qui n’ont vu aucune progression de leurs revenus. Pour eux aussi, les solutions futures se trouvent dans les initiatives locales de labellisation (AOP), de construction de projets alimentaires territoriaux soutenus et financés (PAT) et de circuits courts (AMAP…).

Enfin, nous avons ce qu’il convient d’appeler une « start up », Yuka, qui a construit une application permettant aux citoyens de se baser sur le maximum d’information possible au moment de l’achat, pour comparer et se décider. Voici une tentative comme une autre de mettre un peu de transparence dans un secteur volontairement opaque. Il ne s’agit pas ici de chanter les louanges de l’initiative privée pour l’opposer au public. Bien au contraire. En revanche, lorsque que la société est en avance sur le politique et l’économique, il faut le reconnaitre. Et se demander comment l’on s’appuie sur ces initiatives localisées pour les étendre au pays en créant un modèle plus vertueux et un cadre législatif qui le garantit.

Les associations de consommateurs, comme la Fédération française des diabétiques, insistent sur les répercussions sur les conséquences sur la santé de la population et le problème de son information, dominée par le marketing et la publicité. Un détour par l’alerte sur le diabète et le sucre n’est pas inintéressant. J’avais déjà écrit sur le cas du sel, celui du sucre est comparable. La consommation de sucre par individu est en moyenne de 100 gramme par jour, alors que 3 fois moins suffirait ! Inutile de préciser que le diabète est en constante progression depuis de nombreuses années, et que dans ce domaine comme dans d’autres, le coût des soins est beaucoup plus élevé que celui de la prévention. Les populations les plus touchées par ce phénomène sont de deux types. D’abord, les habitant des territoires d’Outre-mer car les produits distribués dans les DROM sont plus sucrés qu’en métropole ! Ensuite, les enfants les plus exposés aux écrans (TV, Internet), souvent de catégories plus défavorisées.

Les études montrent une corrélation claire entre exposition à la publicité, consommation en excès de produits problématiques et surpoids. L’UFC-Que choisir partage ce constat et demande de réglementer fermement la publicité à destination des enfants, alors que ce secteur n’est soumis qu’à l’autorégulation des médias et des annonceurs. Au-delà de la seule publicité, posons des limites claires au marketing : comment est-ce possible de vanter des produits sans gluten ou sans sucre alors que ces éléments sont remplacés par de nombreux additifs ? Comment peut-on appeler les préparations industrielles pour le petit-déjeuner, destinées aux enfants et bourrées de sucre et de gras, des « céréales » ?

Comment peut-on vendre des surimis « goût homard » sans un gramme de homard à l’intérieur, ni même d’arôme, comme le fait remarquer Foodwatch ? Les études fournies par les fabricants sur l’innocuité de leurs produits sont insuffisantes. L’UFC propose la création d’un fonds, alimenté par les entreprises, servant à financer des évaluations de la part des institutions publiques et indépendantes lorsque cela est nécessaire. À défaut, le principe de précaution doit s’appliquer, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Foodwatch insiste sur la confusion entretenue par les majors de l’agro-alimentaire autour de l’information à donner au consommateur, en contestant le Nutriscore et en lui proposant des alternatives « maison » plus avantageuses, où l’unité de compte est la portion. D’autre part, le cadre règlementaire qui sert de base à la Répression de fraudes (DGCCRF) est beaucoup trop lacunaire. C’est en grande partie lié à son élaboration, sur laquelle on a laissé les filières de l’agro-alimentaire s’arroger le monopole et toute la latitude pour créer des « codes » spécifiques à chaque catégorie d’aliment. Enfin, unifier et simplifier la gouvernance est une nécessité alors qu’aujourd’hui 4 ministères interviennent sur l’alimentation et sont à l’origine d’une myriade d’actions et de programmes entre lesquels je mets quiconque au défi de s’y retrouver.

Une lueur d’espoir est allumée par Solagro qui a étudié dans l’histoire comment les systèmes dominants ont été basculés par une minorité. A ce titre la présence de « Bio » et/ou « Local » dans les hypermarchés doit être prise comme une victoire, un premier pas vers un autre modèle alimentaire.

Les autres principales ONG, WWF et Générations futures, élargissent le spectre et font de l’alimentation une partie essentielle d’un tout englobant modèle agricole et transition écologique des activités humaines. Ainsi, son industrialisation a des impacts majeurs sur la concentration des terres, la banalisation des paysages et la biodiversité, alors que 30 % des oiseaux des champs et 80 % des insectes ont disparu. Ils sont rejoints par l’initiative Solagro et son scénario Afterres2050, qui prévoit de nourrir la planète en respectant nos objectifs climatiques et écologiques. Cela consiste à changer radicalement notre modèle agricole en rejetant les monocultures, en valorisant économiquement les services environnementaux et externalités positives, en articulant le Programme National Nutrition Santé avec les objectifs des accords de Paris.

Le poids de l’image des produits vendus est également à déconstruire : une pomme lisse et brillante vendue en grande surface a subi en moyenne 50 traitements et il est prouvé que si l’on acceptait quelques taches noires sur les bananes, on ferait baisser de 70 % la quantité de pesticides utilisés lors de la culture. Leurs inquiétudes se concentrent maintenant sur les accords de libre-échange, qui rendent difficile toute relocalisation des productions. Un poulet peut être considéré comme local s’il a été nourri tout sa vie avec du soja argentin (la France en importe 3,6 millions de tonnes par an). Solagro propose de s’appuyer sur le réseau des lycées agricoles et d’en faire des avant-garde de l’agriculture de demain, rappelant que 17 % des lycées sont passés au bio, contre 6 % des surfaces agricoles actuelles. Nous nous rejoignons aussi quand je propose que nos chambres d’agriculture soient changées en chambres de l’agriculture et de l’alimentation.

Rien de très différent de ce que développe le journaliste et critique Périco Légasse, dans un style plus cocardier, en soulignant que nous avons perdu 80 % de notre patrimoine agricole depuis 1980. Il propose des mesures, radicales mais finalement partagées unanimement :

– investir dans l’éducation à l’alimentation, dès l’école, pour réapprendre à manger et déchiffrer les informations commerciales

– s’émanciper du marketing et de la publicité

– protéger l’agriculture des traités de libre-échange

Pour que l’action, précieuse et fournie, de tous ces acteurs, ne soit pas vaine, nous aurons besoin surtout de volonté politique et d’un cadre institutionnel robuste et lisible.


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