Meurtre de Vanesa Campos, prostituée trans, à Paris : les travailleuses du sexe dénoncent des responsabilités politiques

jeudi 6 septembre 2018.
 

Les travailleuses du sexe accusent la loi de 2016 d’avoir dégradé leurs conditions de travail et de les avoir rendues plus vulnérables en les isolant davantage.

Pour se rendre à l’endroit où Vanesa Campos a été tuée, il a fallu s’enfoncer jusqu’au cœur du bois de Boulogne. La marche blanche organisée pour lui rendre hommage, vendredi 24 août, en fin d’après-midi, est partie de la porte Dauphine, a traversé le boulevard périphérique, emprunté les larges artères du parc de l’ouest parisien, puis les routes plus étroites, avant d’atteindre le trottoir fatal au bout d’une bonne demi-heure de marche, vendredi 24 août, en fin d’après-midi.

Une semaine plus tôt, dans la nuit du 16 au 17 août, une femme est morte ici, au milieu de la végétation anarchique. Une prostituée transgenre de 36 ans originaire du Pérou, où son corps sera rapatrié prochainement. Vanesa Campos était arrivée à Paris il y a deux ans. Ce soir-là, comme à son habitude, elle avait pris son poste à 20 heures.

Les circonstances du meurtre sur lequel enquête la brigade criminelle de la police judiciaire restent floues. D’après le témoignage de plusieurs de ses consœurs, sept ou huit hommes se seraient attaqués à Vanesa peu avant 23 heures : des membres d’un « groupe de “roulottiers” qui écume le bois et détrousse clients et prostituées », selon une source policière citée par l’AFP. C’est en voulant protéger un de ses clients qu’elle aurait été rouée de coups, avant de recevoir une balle au thorax.

Les quelque 300 personnes constituant le cortège ont réclamé « justice pour Vanesa » et recouvert de roses blanches l’endroit où son corps a été retrouvé. Ses « compañeras » les plus proches, celles qui travaillaient à ses côtés, ont pris le micro pour dire leur tristesse et leur angoisse, le plus souvent en espagnol. « Nous sommes toutes en danger, s’est exclamée Romina, originaire d’Equateur. Aujourd’hui c’est Vanesa, demain ça peut être n’importe laquelle d’entre nous. »

« La loi est responsable de la mort de Vanesa »

Tristesse et angoisse ont vite cédé la place à la colère, résumée par cette pancarte : « Arrêtez nos agresseurs, pas nos clients. » Objet du courroux des travailleuses du sexe et des associations, la loi d’avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, autrement appelée loi de pénalisation du client, et qui punit ce dernier de 1 500 euros d’amende – 3 750 en cas de récidive. Conséquence indirecte, selon Anaïs, militante quinquagénaire au Syndicat du travail sexuel, qui souhaite conserver l’anonymat : « Depuis deux ans, un nouveau phénomène d’agressions en série fait surface, qui n’existait pas auparavant. »

LES CLIENTS, CRAIGNANT LA NOUVELLE LOI, ONT CESSÉ DE FRÉQUENTER LES ZONES TROP EXPOSÉES

« La loi est à 100 % responsable de la mort de Vanesa », tonne Giovanna Rincon, directrice d’Acceptess-T, association de défense des personnes transgenres à l’initiative de la marche. « Avant, les filles étaient le long des grandes avenues, éclairées par les lampadaires, protégées par le passage des voitures », explique Anaïs. Les clients, craignant la nouvelle loi, ont cessé de fréquenter ces zones trop exposées. « Vanesa et ses collègues se sont donc enfoncées de plus en plus dans les bois pour échapper à la vue des policiers, et se sont retrouvées dans des endroits où les agresseurs savent qu’ils peuvent agir en toute tranquillité parce qu’ils ne sont pas visibles. »

Situé sur la route du Pré catelan, et bien que jouxtant le très huppé Lagardère Paris Racing, le coin où travaillait Vanesa Campos a des airs de coupe-gorge. « J’ai fait le bois pendant sept ans, je n’aurais jamais osé mettre les pieds ici », soupire Giovanna Rincon.

Des fleurs sont déposées en hommage à Vanesa Campos, une prostituée de 36 ans tuée au bois de Boulogne, à Paris.

Outre ce déplacement forcé, la loi de 2016 est accusée d’avoir rendu les travailleuses du sexe plus vulnérables, contraintes face à la baisse d’activité d’accepter des clients, des prix, et des pratiques – notamment des rapports sexuels sans préservatif – qu’elles auraient refusés par le passé. « J’ai commencé à exercer le travail du sexe il y a vingt ans, je n’ai jamais vu autant de précarité au sein de cette population », affirme la directrice d’Acceptess-T.

Cinq personnes écrouées

L’hommage à Vanesa Campos a été l’occasion de dénoncer la criminalisation grandissante du travail du sexe et la dégradation des conditions de travail. « La violence n’est pas uniquement le fait de quelques hommes en dehors du système, explique Anaïs, elle est au contraire nourrie par tout un système de pensée, de lois et de politiques publiques qui répètent en permanence : la vie d’une pute, a fortiori trans et migrante, ne compte pas. Nous le constatons une fois de plus dans l’absence de réactions politiques. »

Les associations s’offusquent qu’il ait fallu attendre une semaine pour que Marlène Schiappa adresse ses « sincères condoléances » aux proches de Vanesa Campos. La secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes a promis, le matin de l’hommage, « des actions concrètes et efficaces contre les violences faites aux personnes prostituées, en particulier migrantes, trans, ou en situation de fragilité ».

« Il n’y a aucune raison que les agresseurs de Vanesa ne recommencent pas, puisque les flics s’en foutent », redoute Anaïs. Huit personnes ont tout de même été arrêtées le 21 août, et cinq d’entre elles étaient toujours écrouées lundi, a appris Le Monde de source policière. Le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire du chef de meurtre commis en bande organisée et vols en réunion avec dégradations.

Les associations et les collègues de Vanesa Campos craignent cependant que le nombre d’individus dangereux sévissant dans les alentours ces derniers temps ne dépassent largement les sept ou huit qui ont frappé dans le nuit du 16 au 17 août. Pas impossible que certains rôdent déjà de nouveau dans les sentiers du bois de Boulogne : plusieurs travailleuses du sexe affirment les y avoir revus depuis le drame

Henri Seckel


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