Mort de Maurice Audin, si longtemps après : « La reconnaissance des responsabilités de l’Etat, enfin ! »

vendredi 21 septembre 2018.
 

Enfin, une reconnaissance des responsabilités de l’Etat dans la disparition de Maurice Audin. Après soixante et un ans d’un combat âprement, inlassablement mené par Josette Audin, un combat qui force l’admiration, pour savoir ce qui est arrivé à son mari après son arrestation, en juin 1957, par des militaires français, à leur domicile, à Alger. Aussi cette reconnaissance, après si longtemps, c’est une libération – et d’abord pour Josette Audin et ses enfants.

Non pas qu’ils soient libérés de la question de savoir dans quelles circonstances leur mari et père est mort, entre les mains des militaires qui le détenaient, l’interrogeaient, le torturaient ; peut-être même a-t-il été exécuté par un commando venu l’assassiner. Si la question les taraudait, elle continuera tant que l’enquête commencée pendant la guerre elle-même n’aura pas abouti.

Que la vérité reste à établir n’empêche pas l’essentiel : Maurice Audin est mort du fait de militaires agissant dans un cadre d’exception qui, en tant que dispositif légal, implique les autorités politiques. Aussi, de l’armée à Alger, la chaîne des responsabilités remonte à Paris. La généralisation est logique, obligatoire.

Douloureux retours sur soi

« Enfin ! » aurait certainement dit Pierre Vidal-Naquet, à qui il faut rendre hommage en tant que pilier du Comité Maurice Audin qui, en France métropolitaine, a pris le relais du combat de Josette Audin dès 1957. Ici, la reconnaissance libère la société française du conflit qui l’a animée, en interne. Elle y met un terme non par un consensus impossible à construire – les positions entre partisans de l’indépendance et de l’Algérie française ont été irréductibles.

Mais avec la distance que permettent les décennies qui se sont écoulées depuis, la reconnaissance des responsabilités de l’Etat dans la disparition de Maurice Audin fait un choix au nom des valeurs qui sont celles de la nation française depuis la Révolution et qui figurent en tête de la Constitution, au frontispice des bâtiments officiels. La reconnaissance se place au-dessus de la mêlée.

EN L’ABSENCE DE POURSUITE PÉNALE, IL RESTERAIT À CHACUN DES RESPONSABLES INDIVIDUELS DE PROCÉDER À SON EXAMEN DE CONSCIENCE

Autre conséquence et non des moindres de cette généralisation possible à partir du cas de Maurice Audin : la reconnaissance des responsabilités de l’Etat pose la question, en regard, des responsabilités individuelles dans ces tortures et disparitions. Il est sûr qu’une élucidation des circonstances de la mort de Maurice Audin permettrait de nommer un ou des individus coupables de l’avoir tué d’une manière ou d’une autre. En l’absence de poursuite pénale – l’amnistie de 1962 les en protège – il resterait à chacun d’entre eux de procéder à son examen de conscience.

Il n’en demeure pas moins que prendre la mesure d’un système de répression et lui faire endosser les responsabilités qui lui incombent revient à soulager ceux qui, aujourd’hui, s’interrogent : pourquoi y avoir participé ? pourquoi ne pas avoir désobéi ? Tout peut être invoqué : la jeunesse, l’ignorance, la faiblesse de caractère, la pression du groupe, la folie passagère après la mort d’un copain, le défoulement facilité par l’alcool, l’obéissance à laquelle contraignent la hiérarchie, la discipline, la peur des sanctions…

En dépit d’une historiographie riche sur le sujet, les mécanismes de l’opposition radicale à l’autorité restent énigmatiques et de fait, dans toute guerre, ceux qui s’insurgent au nom de leurs idéaux ou de la morale, ne constituent toujours qu’une très étroite minorité. Alors si une reconnaissance peut entraîner des retours sur soi toujours douloureux – car elle est l’occasion de se replonger dans un passé qu’on a pu préférer taire et enfouir –, elle peut aussi aider ceux que cette histoire hante encore à mieux l’affronter.

Effets de pourrissement

Tardive, cette reconnaissance l’est certainement, mais celui qui aujourd’hui la prononce n’en porte pas la faute. Unilatérale aussi, pourra-t-on regretter, mais après tout, chaque société, chaque nation a le droit – le devoir ? – de faire son propre inventaire historique. La guerre d’indépendance algérienne et son cortège de violences sont partie intégrante de l’histoire de France. Elle est la guerre de décolonisation qui a le plus massivement bouleversé la société française, concernée en profondeur par l’envoi du contingent.

Aux anciens combattants s’ajoutent les Français d’Algérie, les harkis, les immigrés venus d’Algérie et, pour tous, leurs descendants. Aussi cette guerre recèle des enjeux internes à la société française qui, à force d’être niés ou négligés, produisent des effets de pourrissement. Elle est exploitable à l’extrême droite, qui campe encore sur la nostalgie de la colonisation. Aussi ce passé colonial a sans nul doute contribué à configurer ce qu’est aujourd’hui encore le racisme anti-maghrébin.

« La dilution des responsabilités ne les fait pas pour autant disparaître, écrivait Pierre Vidal-Naquet. Il reste nécessaire de les mettre à jour, non pour obtenir le “ châtiment des coupables ” mais pour pouvoir regarder la vérité en face, et peut-être, en effet, “liquider le passé” Avec la reconnaissance, enfin, l’apaisement ?

Sylvie Thénault (Historienne)

• Sylvie Thénault est directrice de recherche au CNRS. Spécialiste de la guerre d’indépendance algérienne et de la colonisation, elle a travaillé plus particulièrement sur les législations d’exception. Elle a notamment publié, dans la revue « Histoire@Politique » (n° 31, janvier-avril 2017), « La disparition de Maurice Audin. Les historiens à l’épreuve d’une enquête impossible (1957- 2014) ».


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