Droit de choisir son mari : prison requise contre la famille d’une élue LRM enlevée et séquestrée

vendredi 12 octobre 2018.
 

Des parents de Mounia Haddad étaient jugés devant le tribunal correctionnel à Tours.

Il y eut de rares rires, jeudi 27 septembre, dans la salle no 17 du tribunal correctionnel de Tours. Le sujet n’avait pourtant rien de drôle. Mais peut-être fallait-il voir dans ces réactions du public une marque de gêne ou de nervosité face à l’énormité de certaines déclarations du père et des deux oncles de Mounia Haddad, qui comparaissaient pour avoir enlevé puis séquestré cette jeune femme, les 18 et 19 juillet, tandis qu’un quatrième prévenu, son frère, était poursuivi pour menace de mort à son encontre.

Il y eut aussi des larmes, celles de Mounia Haddad. La jeune femme s’est caché le visage dans ses mains durant une bonne partie de l’audience. A la barre, il a fallu que l’un de ses avocats lui apporte des mouchoirs. Cette conseillère départementale (LRM) d’Indre-et-Loire aujourd’hui âgée de 29 ans, qui travaillait comme agent administratif dans un centre hospitalier, dit avoir été « traumatisée » par des mois de « galère », depuis qu’elle a annoncé, fin 2017, son intention de se marier avec Slimane M. Une union que n’a jamais approuvée son père.

Le 16 juillet, Karim Haddad, le père de Mounia, est parti de Saint-Pierre-des-Corps, dans la banlieue de Tours. Avec ses frères, Omar et Mohammed, il a parcouru en voiture plus de 900 kilomètres pour arriver à Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes), où Mounia s’était installée avec son compagnon, sans prévenir sa famille. Puis les trois hommes ont attendu que la jeune femme sorte seule de son appartement, le 18 juillet en fin de matinée. Mohammed est allé à sa rencontre, l’a poussée dans le véhicule, et tous sont immédiatement partis en direction de Tours. Elle restera cloîtrée chez ses parents jusqu’au lendemain matin et la venue de la police, alertée par Slimane M. Son téléphone et son sac à main lui avaient été confisqués.

Fuite inévitable

Déjà, en avril, le père était allé à Antibes (Alpes-Maritimes), où sa fille avait fui une première fois, avec son compagnon. « Je ne l’ai jamais contrainte », assure pourtant Karim Haddad à la barre, contre toute évidence. De son aînée, dont il reconnaît qu’il ne voulait pas qu’elle se marie avec Slimane M., il dit : « Je lui ai toujours laissé le choix. » La présidente du tribunal : « Vous êtes sûr, monsieur ? – Archisûr. » Il y a pourtant ce message vocal reçu sur le portable de Slimane M, provenant du téléphone de Karim Haddad, le 15 mai : « J’espère que tu vas lui passer – espèce de connard, de pédé – le message à ma fille : la prochaine fois quand je la chope, elle est morte. » Le prévenu nie et offre pour seule réponse : « Je n’ai jamais menacé ma fille. »

Les oncles et le père dressent le tableau d’une famille soudée, où Mounia, engagée en politique, « la chouchou », faisait la fierté de ses parents. Une famille de tradition, aussi, où l’on demande l’autorisation au patriarche, indispensable, avant de se marier. Une famille protectrice, enfin, où l’on dit « s’inquiéter » de ce prétendant, Slimane M., soupçonné d’être violent et de nuire à Mounia, voire de la radicaliser.

La jeune femme réfute ces soupçons. « J’ai toujours été là pour eux, résume-t-elle. La seule chose que j’ai demandée, c’était de pouvoir me marier. » Elle raconte une famille oppressante, qui la conduit à aller voir un imam et à passer un test de virginité, à accepter d’aller en Algérie pour un futur mariage forcé, ou à donner une procuration à son père concernant un compte d’épargne sur lequel elle avait réussi à économiser 41 000 euros. Une famille qui rend la fuite inévitable. Il y a ce frère, aussi, qui lui envoie des insultes, à l’image de cet e-mail du 17 mai, dans lequel il la met en garde : « Remets un pied ici et je te mets une balle dans la tête. Pas de pute chez nous, casse-toi. » Au tribunal, le frère persiste et ne s’excuse pas. « Je l’ai reniée personnellement », explique-t-il.

« Famille du Moyen Age »

Le procureur de la République, Bruno Albisetti, dénonce « une famille du Moyen Age, qui impose sa vision à sa fille ». Il requiert trois ans de prison dont dix-huit mois de sursis contre Karim Haddad, trois ans dont deux avec sursis contre Mohammed, deux ans dont un avec sursis contre Omar, et de « dix à douze mois » de sursis contre Zakaria, le frère menaçant.

Plaidant la relaxe, Me Malik Behloul, conseil du père et des oncles, raille « la justice des larmes » et « un dossier qui fait vendre des titres ». A propos de la plaignante, pour laquelle il n’a, pas plus que ses clients, montré le moindre signe extérieur d’empathie durant l’audience, il ajoute que « sa parole ne vaut pas vérité, c’est un élément qu’il faut confronter à d’autres, contradictoires ».

Me Abed Bendjador a, pour sa part, demandé au tribunal de reconnaître « la souffrance » de sa cliente. « Il faut rappeler à la famille que sa mission, c’est certes de donner aux enfants des racines, mais aussi de leur donner des ailes. Il nous a manqué une chose à cette audience : des remises en question. Et cette phrase qui aurait pu être : “Mounia, nous sommes désolés, nous nous sommes peut-être trompés.” » Mais d’excuse pour la plaignante il n’y eut pas. Jugement attendu le 8 novembre.

Yann Bouchez (Tours, envoyé spécial)


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