Hourra ! La finance va détruire son propre monde

samedi 13 octobre 2018.
 

Le 15 septembre 2008, la faillite de la banque américaine Lehman Brothers faisait basculer le monde dans la crise financière. Dix ans plus tard, les anciens traders de la banque ont organisé une fête pour « célébrer » cet anniversaire. Les peuples, eux, n’ont toujours pas fini de payer pour eux. 950 milliards d’euros ont été injectés dans le système bancaire européen, en plus des 3500 milliards d’euros de garanties apportées par les États. L’augmentation de la dette publique, et les coupes dans les services publics et les prestations sociales qu’elle a entrainé sont la conséquence directe de l’irresponsabilité de la finance folle. La décennie a été celle où les États et les peuples ont colmaté la brèche pendant que les financiers la réouvraient ailleurs.

Car dans le même temps, en dépit des promesses la main sur le cœur des dirigeants européens et américains de l’époque, rien n’a changé. On laisse la finance régner sur toute l’économie et sur les États. Aucune de ses pratiques les plus outrancières n’ont été jugulées.

Par exemple, la titrisation, cette méthode qui consiste à transformer des crédits à la consommation ou immobilier en produits financiers, continue d’être encouragée par la Commission européenne. La pire forme a même été réhabilitée. Il s’agit de la possibilité offerte aux entreprises de titriser leurs dettes. Cette invention a pourtant été la broussaille qui a entretenu et propagé le feu dans la forêt de la finance.

Autre exemple : les activités spéculatives des banques n’ont pas été séparées des activités de banque commerciale classique. Les banques peuvent continuer à jouer sur les marchés financiers l’argent de leurs petits déposants. En France, Pierre Moscovici, alors ministre des Finances de Hollande, a été le scénariste d’une comédie indigne pour saboter cette séparation tout en faisant croire qu’il l’organisait. À la fin, à peine 2% des activités spéculatives d’une banque comme la Société Générale étaient concernés. Les banquiers, morts de rire, ont bu a la santé du PS !

N’oublions pas le rôle des agences de notation qui, tout en faisant la pluie et le beau temps, avaient absolument ignoré le risque qu’elles avaient sous les yeux. Elles sont toujours là. Leur pouvoir a été augmenté et elles fonctionnent toujours sur le principe de la corruption officialisée : les entreprises qu’elles notent sont celles qui les payent.

La différence entre 2008 et 2018 ? C’est pire maintenant qu’avant. Sous les yeux de tous une bulle gigantesque s’est formé. C’est celle de la « finance de l’ombre ». 99 000 milliards de dollars gérés par des fonds spéculatifs, des sociétés de capital-investissement qui échappent à toute régulation.

Il y aura donc une autre crise financière. Le monde croule sous les dettes. Au total, 169 000 milliards de dollars de dettes, tout confondu. C’est 72 000 milliards de dollars de plus en dix ans. Relisez le chiffre pour être sûr de votre compréhension. Pour les deux tiers, cette dette est privée, soit contractée par les ménages, soit par les entreprises. En France, la dette des entreprises s’est accrue de 750 milliards d’euros depuis 10 ans. Cette croissance ne s’est pas accompagnée d’investissements dans l’appareil productif équivalents. En effet, l’industrie française reste par exemple l’une des moins bien robotisée. Les géants du CAC40 ont préféré utiliser cet argent pour se lancer dans des programmes de rachat de leurs propres actions afin d’en doper artificiellement le rendement pour leurs actionnaires. De pures opérations financières sans aucune utilité pour l’économie réelle. J’ai dit souvent que ces dettes ne seront jamais remboursées. C’est pourquoi je milite pour une conférence européenne de la dette. Mon souhait est de trouver les moyens de régler ce problème de manière raisonnée et ordonnée. Mais par définition, les croyants de la magie du marché qui règlera tout ne peuvent l’accepter. La catastrophe est donc en vue aussi solidement installée que le phare du Planier en mer devant Marseille.

Dans cette période, la Chine a elle aussi participé à l’emballement de la dette mondiale. La dette totale y a été multipliée par cinq en 10 ans. Elle atteint 256% de son PIB. Cependant, elle n’est pas de même nature que dans d’autres parties du monde. Les dettes des entreprises chinoises sont pour la plupart libellées en yuan et détenues à l’intérieur du pays. Cette caractéristique la met un peu à l’abri des secousses des marchés financiers internationaux. En fait, il s’agit essentiellement de banques publiques qui ont prêté de l’argent à des entreprises d’État. Tout cela reste donc sous le contrôle du puissant État chinois. La dette chinoise, bien qu’importante en volume, n’est pas le principal risque pour l’économie mondiale. Sauf si la Chine décide de frapper au cœur de l’économie américaine en vendant ses propres titres de dette sur le trésor des USA. Mais c’est une autre histoire. Je l’ai déjà évoquée ici il y a peu et j’y renvoie mes lecteurs assidus. D’autant que cette conjoncture est de retour dans le cadre de la guerre commerciale que les USA mènent contre la Chine. La riposte chinoise se fait aussi sur ce tableau et nous aurons bientôt l’occasion de voir que ce n’est pas sans conséquences pour le monde entier.

La situation des États-Unis est bien plus problématique. Leur dette est, en stock, la plus importante. Surtout, ils sont retombés dans leurs habitudes les plus dangereuses qui ont déjà précipité le monde dans la crise en 2008. Les crédits subprimes, vendus à des familles aux faibles revenus, ont atteint de nouveau 600 milliards de dollars. Ils représentent 23% du total des crédits distribués aux ménages américains. Quant à Wall Street, les traders des grandes banques s’y sont partagés l’an dernier 31 milliards de dollars en bonus. Un record depuis 2006. Ce chiffre est indécent. Il est surtout inquiétant. En effet, la taille des bonus reçus par les traders mesure les risques à court terme qu’ils prennent. Une petite secousse, un coup de dé chinois sur les bons du trésor, un retour de l’inflation, une remontée des taux d’intérêt pourraient avoir des conséquences imprévisibles sur le système financier américain. Et donc sur le monde. La domination du dollar sur le monde est la certitude de la diffusion des crises étasuniennes au reste du monde. Les pays émergents ont déjà commencé à en faire les frais. Ces derniers mois, la Turquie, l’Indonésie ou le Brésil on subi des fluctuations du dollar renchérissant brutalement leur dette. Ce n’est pas anodin : les pays dits émergents font les deux tiers de la croissance mondiale.

Ces exemples montrent l’extrême instabilité du système. La finance est un parasitage permanent sur l’économie productive. Mais elle peut aussi tout entrainer dans l’abîme. La définanciarisation est une tâche prioritaire pour nous.


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