« Guérir les patients est-il un modèle économique soutenable ? »

lundi 15 octobre 2018.
 

Le médicament est une industrie très rentable. C’est même le premier marché du monde. En 2015, le magazine américain Forbes publiait un classement des actions les plus juteuses pour les actionnaires. L’industrie pharmaceutique y arrivait largement devant la banque, l’informatique ou la communication.

En France, l’entreprise Sanofi est de celles qui gavent le plus leurs actionnaires. Entre 2013 et 2016, elle a même rendu plus de dividendes qu’elle n’a fait de profit. Et depuis 2009, c’est en moyenne 95% des bénéfices qui sont redistribués aux actionnaires. Elle empoche par ailleurs de copieux chèques de l’État français, notamment au titre du crédit impôt recherche. Partout dans le monde, les retours sur investissement exceptionnels pour les actionnaires sont la norme pour les grands laboratoires pharmaceutiques.

Comment un tel résultat est-il possible ? Ce n’est certainement pas en faisant des choix qui correspondent à l’intérêt général. Guérir les maladies ou éradiquer les grandes pandémies n’est pas leur sujet. Le 10 avril 2018, la banque Goldman Sachs publiait une note sur le modèle économique des laboratoires intitulée « Guérir les patients est-il un modèle économique soutenable ? ». L’analyste financier s’inquiète notamment d’innovations scientifiques qui permettraient de soigner plus rapidement et définitivement certaines affections. Le modèle économique de l’industrie de médicaments ne repose pas sur ces objectifs. Ses investissements sont concentrés sur des médicaments dit « blockbusters ». Ces produits sont destinés à soulager les symptômes plutôt qu’à guérir. Ils visent des affections qui touchent une clientèle riche plutôt que celles qui tuent le plus. Car celles-ci sont concentrées en milieux pauvres.

Les dérives de ce système sont déplorables sur le plan sanitaire. La consommation d’antidépresseurs en France en est un exemple frappant. 10% de la population en consomme régulièrement. Pourtant, leur efficacité pour soigner la dépression est encore sujet à une discussion scientifique. Ils ont par contre un effet addictif avéré. Aux États-Unis, les laboratoires ont investi massivement le marché des antidouleurs. Jusqu’à provoquer des vagues d’addiction graves. Ainsi, l’OxyContin, « blockbuster » du laboratoire Purdue Pharma, aurait provoqué 200 000 morts par overdose depuis 1999. En France, tout le monde se souvient du Médiator, produit phare des laboratoires Servier censé lutter contre l’obésité en agissant comme un coupe faim. Cette arnaque est responsable de 1200 à 1800 morts. On pourrait aussi citer le cas des antibiotiques. Entre 2000 et 2015, la consommation d’antibiotiques dans le monde a augmenté de 65%. Leur usage désordonné ou inaproprié a permis d’augmenter la variété des bactéries plus résistantes. D’après l’OMS, cette situation est responsable de 700 000 morts par an.

Ce résultat économique de machine à cash est obtenu grâce à l’activité principale des laboratoires : le marketing et le lobbying. Ils y dépensent largement plus d’argent que pour la recherche scientifique. Alors que la recherche et développement compte pour 15% de leur chiffre d’affaire en moyenne, leurs dépenses de marketing en représentent 25%. Ces entreprises lèvent des armées de visiteurs médicaux. Leur métier est de convaincre les médecins prescripteurs de remplir leurs ordonnances avec les produits les plus rentables. Les arguments ne sont pas toujours scientifiques. L’association « regards citoyens » a montré qu’entre 2012 et 2014, les visiteurs médicaux avaient dépensé 244 millions d’euros en cadeaux aux médecins. Cela va du stylo au week-end à la mer tout frais payé sous prétexte de colloque.

Pour neutraliser la régulation de l’État, les laboratoires utilisent les mêmes méthodes de corruption généralisée. L’inspection générale des affaires sociales décrivait dans un rapport sur le Médiator le rôle de la puissance publique de la façon suivante : « la chaîne du médicament fonctionne aujourd’hui de manière à ce que le doute bénéficie non aux patients ou à la santé publique mais aux firmes ». Les laboratoires ont toute liberté pour effectuer les essais cliniques. Et leurs scientifiques maison sont très actifs dans les procédures d’autorisations de mises sur le marché. L’actuelle ministre de la santé, Agnès Buzyn, était auparavant directrice de la Haute Autorité de Santé. Elle déclarait alors ouvertement que les liens entre son agence publique et les laboratoires étaient pour elle une chose positive. Quant à l’organisme chargé de négocier les prix avec des multinationales, il ne compte qu’une vingtaine d’équivalents temps plein. À tous les étages, la faiblesse de l’État et la connivence de caste dominent.

Nous proposerons lors de la discussion sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale des solutions pour en finir avec ce système. Nous proposons d’interdire les conflits d’intérêts malsains entre les organismes de l’État et les laboratoires. De bannir les visiteurs médicaux des hôpitaux publics. A tous les bouts de la chaîne, nous voulons introduire la démocratie médicale, l’avis des patients. Enfin, il faut sortir des griffes de l’argent notre santé. C’est pourquoi nous sommes pour la création d’un pôle public du médicament. Nous proposerons une voie concrète pour commencer à bâtir cet indispensable service public avec le démarrage d’un programme de production et de distribution des médicaments essentiels par la pharmacie centrale des hôpitaux.


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