Lettre ouverte à un président haï (François Ruffin)

dimanche 2 décembre 2018.
 

bis)

Jusqu’à quand, Monsieur Macron, abuserez-vous de notre patience ? Avant même votre élection, à la veille du second tour, je vous adressais une « Lettre ouverte à un président déjà haï » : « Vous êtes haï, vous êtes haï, vous êtes haï. Je vous le martèle parce que, avec votre cour, avec votre campagne, avec la bourgeoisie qui vous entoure, vous êtes frappé de surdité sociale. Vous n’entendez pas le grondement : votre heure, houleuse, sur le parking des Whirlpool, n’était qu’un avant-goût. C’est un fossé de classe qui, face à vous, se creuse. »

Avec douze fois « vous êtes haï » en une trentaine de lignes, je vous prévenais avec un rien d’insistance. Et stylistiquement parlant, je ne porte pas ce texte en bandoulière comme une fierté littéraire. Sur le fond, néanmoins, je n’en renie rien, l’avertissement sonnait juste : vous êtes aujourd’hui haï, massivement haï. C’était en germe hier, on assiste désormais à la moisson. Le fossé s’est transformé en gouffre.

Ce rejet, dont vous êtes l’objet, les sondages ne font que l’effleurer. Eux mesurent votre cote d’amour, et elle plonge, certes, elle est basse, mais dans le même étiage d’impopularité que vos prédécesseurs, 20 %, 25 %, qu’importe : un socle demeure, un socle qui tiendra peut-être tout votre quinquennat, un socle qui peut même suffire à remporter des scrutins, abstention et division aidant. Ce que les instituts ne mesurent pas, en revanche, c’est le dégoût, puissant, virulent, que vous suscitez chez, combien ? à la louche un quart ? un tiers ? des Français.

Vous l’avez palpée par vous-même, cette haine, de la Lorraine aux Ardennes, de la Marne à la Somme, lors de votre semaine d’« itinérance mémorielle ». Vous avez fait le jovial, « j’aime aller au contact », « je reviendrai plus souvent », mais ce ressentiment, dans votre propre peuple, a bien dû vous meurtrir. Et, je l’espère, vous alerter. Samedi dernier, surtout, qu’est-ce qui rassemblait les « gilets jaunes » ? Qu’est-ce qui les unissait, bien plus que le gazole ? Qu’est-ce qui, par-delà mille différences, leur faisait un trait commun ? Vous. L’aversion que vous provoquez.

Et ça se comprend. Vous avez déchiré le contrat social. Vous déchirez la France.

Depuis votre entrée à l’Elysée, vous menez une politique injuste, si manifestement injuste : comment le corps social n’en serait pas heurté, violenté ? Car il fallait oser : supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune, et en même temps, en même temps, relever la CSG pour les retraités, gratter cinq euros sur les APL des locataires, éliminer 200 000 contrats aidés ? C’est si excessif, tellement abusif : ça ne touche pas qu’au porte-monnaie, au « pouvoir d’achat », l’orgueil d’un peuple en est blessé, son honneur : on se moque de lui, son propre chef de l’Etat se moque de lui. Et à cette injustice, à cette évidence de l’injustice, comme on jette du sel sur une plaie, vous ajoutez l’arrogance de l’injustice, à grand renfort de « gens qui ne sont rien », de « feignants », de « Gaulois réfractaires », de « vous n’avez qu’à traverser la rue » et autres « pognon de dingue », comme des provocations renouvelées.

Vous êtes fou. Je vous écoute, et je me dis : « Il est fou. »

Vous êtes frappé d’hybris, de la « démesure » des héros antiques, qui se prenaient pour des dieux. Le sort s’acharne alors sur eux, le malheur crève la montgolfière de leur ego, bref, les ramène à leur humaine condition, les yeux percés d’Œdipe pour enfin voir. Et l’on pourrait parier - par quelle lumière ? - sur votre retour à la réalité et à l’humilité, pseudo-Jupiter qui remet les pieds sur Terre.

Il faut espérer, toujours. Croire en l’homme, soit.

Mais votre hybris, votre démesure, ne vous est pas propre. Elle vous dépasse. C’est celle d’une classe qui s’est coupée du monde commun, qui s’est détachée de la nation. C’est celle d’une caste qui a vu sa fortune multipliée par sept en vingt ans, et qui néanmoins défiscalise, optimise, paradise, panamise, caïmanise, qui relègue l’intérêt général derrière celui des multinationales, qui cumule rachats d’actions, dividendes, golden parachutes et aux autres stock-options, et qui, en même temps, en même temps, sans honte, s’en va prôner au peuple des salariés, des retraités, de se serrer la ceinture, de faire des sacrifices. Bref, c’est celle d’une élite qui se place au-dessus de l’humanité, de ses lois, sur un Olympe pour nantis et qui se croit tout permis.

Vous êtes fous, collectivement fous.

Je suis inquiet, vraiment. Pas pour vous, du tout, mais pour mon pays que vous menez à la folie. A bon entendeur.


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