A la mémoire de Ta Thu Thâu

dimanche 5 décembre 2021.
 

Il y a 75 ans, Ta Thu Thâu (1906-1945) , militant responsable de la section indochinoise de la IV éme Internationale mourrait, assassiné par les agents staliniens d’Ho Chi Minh….

Georges Orwell écrivait : “Ceux qui sont maîtres du présent, pourquoi ne serait-ils pas maîtres du passé”.

Qui parle aujourd’hui de Ta Thu Tâu ? De son action, de ses années de prison ?

Et pourtant il fut à la tête d’une des rare section de la IV ème Internationale à avoir eu une réelle implantation de masse (avec la section du Sri Lanka)…

Dans l’Indochine coloniale, composée de cinq entités ( Cochinchine, au statut de colonie, Annam, Tonkin, Cambodge et Laos,au statut de protectorat), le capitalisme français faisait des bénéfices inouïs sur les mines de charbon, les plantations d’hévéas et l’exploitation des masses “indigènes”….

Dans les années 1920-30, 233 000 travailleurs de l’industrie et des plantations représentaient un prolétariat jeune, dynamique et revendicatif…

Les classes moyennes : commerçants, propriétaires terriens s’étaient dotés de deux partis : le parti constitutionaliste et le parti progressiste qui ne cherchaient qu’à s’entendre avec la puissance coloniale contre des “miettes”. La jeusesse se tournait plus volontier vers des organisations plus radicales ( Jeune Annam, Parti de l’Indépendance annamite).

C’est en 1925 que Nguyen Ai Quoc, plus connu sous le nom de Ho Chi Minh fondait à Canton, en Chine le Parti Communiste Indochinois, trés lié au Parti Communiste Chinois et inféodé à Moscou. Appliquant la politique aventuriste du Véme congrés de l’Internationale communiste, il se lança dans une série de grèves en 1930-31. Celles ci furent durement réprimées : 4000 arrestations et 1700 tués.

A Paris,en 1927, un groupe d’étudiants annamites prends contact avec le PCF et son délégué aux questions coloniales, Jacques Doriot. Celui ci développe la “ligne” : dans les pays colonisés, privilégier d’abord l’alliance avec la bourgeoisie nationale : il faut d’abord faire la révolution “bourgeoise” et ensuite seulement penser à la révolution prolétarienne.C’est l’application de la théorie stalinienne des “étapes” qui a mené la section chinoise à la catastrophe de 1927 !

Ta Thu Thâu, le principal organisateur de ce groupe évolue vers le marxisme, rencontre Rossmer et l’opposition de gauche, écrit des articles dans “la Vérité” et s’initie à la théorie de la Révolution permanente de Léon Trotsky.

Le 24 mai 1931, il organise une manifestation devant l’Elysée pour protester contre les condamnations à mort des émeutiers de Yen Bay. Arrété et emprisonné il est expulsé de France et se retrouve à Saïgon. Il constitue immédiatement un groupe de jeunes qui organise les coolies et les ouvriers de Saïgon.

Arrêté, emprisonné, torturé, il devient trés populaire dans le prolétariat de Cochinchine. Entre deux séjour en prison il continue son travail de regroupement. Le PCI est obligé de reconnaitre la qualité du travail de Ta Thu Thâu, et pour lutter contre la répression de la police coloniale, PCI et Trotskyste en viennent à faire un “front commun” autour d’un journal et d’un groupe : “La Lutte” .L’hebdomadaire tire à 10 000 exemplaire, et va présenter des candidats aux élections municipales, dans le “collège indigène” : système colonial qui permet aux “blancs” de diriger la mairie. Un millier d’électeurs français a autant de voix que 300 000 indigènes, dont seulement 4300 peuvent voter. Malgré cet obstacle la liste “La Lutte” obtient deux élus.

Lors de grèves de 1936-37, qui touche l’Indochine aprés la France, Ta Thu Thâu et les trotskystes organisent 600 Comités d’Action et créent une fédération des syndicats de Cochinchine.

Pendant ce temps le Parti Communiste d’Indochine soutient le Front Populaire de Blum et des radicaux et met en veilleuse le mot d’ordre d’indépendance . Le PCI quitte “la Lutte” qui reste aux mains des trotskystes.

Au même moment, la gouvernement de Front Populaire demande à l’Indochine de lever un impôt de 30 millions de Piastre et de mobiliser 20 000 tirailleurs indigènes pour se préparer à un conflit avec le Japon. Les militants communistes acceptent ce projet pendant que les trotskystes mobilisent des milliers d’anamites contre. Ho Chi Minh déclare que “les trotskystes sont des supôts du fascisme japonais et doivent être exterminés.”

Or aux élections municipales de 1939, la liste “Le Lutte” raffle 80% des voix dévençant largement les staliniens et les partis nationalistes…

Le régime colonial frappe : élections invalidées, les élus dont Ta Thu Thâu sont arrétés et envoyés au bagne de Poulo Condor pour cinq ans.

En 1940, l’armée japonaise occupe l’Indochine avec la complicité du régime de Vichy. En 1944, les prisonniers sont libérés. Ta Thu Thâu, pourtant trés éprouvé par le bagne (il est à moitié paralysé) se remet tout de suite à la tâche de reconstruire la section trotskyste : il fonde la Ligue Communiste Internationaliste.

La situation en Indochine est assez confuse : l’armée japonaise décide de diriger directement l’Indochine , destitue la direction vichyste et proclame l’indépendance du pays sous la direction de l’empereur Bo Daï. Le parti Communiste se dissout dans un « front patriotique », le Viet Minh. L’armée japonaise quitte le pays et Ho Chi Minh nomme un gouvernement : il négocie l’entrée des troupes britanniques au sud et des troupes chinoises (Tchang Kaï Tcheck) au Nord. Mais en même temps il récupère une grande partie de l’armement japonais. Les militants trotskystes se battent , en particulier à Saïgon contre le retour des français. Des émeutes éclatent à Saigon : des quartiers entiers sont en rébélion. On assiste à des défilés monstres sous le drapeau de la IV ème internationale chantant l’Internationale. Ho Chi Minh négocie l’arrivée d’un corps expéditionnaire de 15 000 soldats français. Le Viet Minh est prêt à négocier une indépendance partielle sous quelques conditions avec la France. Mais l’amiral d’Argenlieu refuse le compromis et attaque les troupes du Viet Minh (bombardement d‘Haïphong) : un gouvernement français avec des ministres communistes engage une guerre contre un peuple dirigé par des communistes !!!

Les trotskystes demandent l’armement des milices du peuple, le partage des terres, le contrôle ouvrier sur les usines et sont violemment dénoncés par les staliniens comme des diviseurs qui rompent le lien entre les alliés (Angleterre, Amérique, Union Soviétique).

Ta Thu Thâu est arrêté alors qu’il faisait la navette entre les groupes trotskystes de Hanoï et de Saigon : trois tribunaux « populaires » refusent de le condamner à cause de son prestige et de son passé. Mais les tueurs staliniens le fusillent à Quang Ngaï sans doute en octobre 1945.

Des centaines d’autres trotskystes sont passés par les armes.

Quelques uns parviennent à fuir en France ou le bureau de la IVéme Internationnale dirigé par Pablo leur reproche de ne pas comprendre « qu’Ho Chi Minh est un trotskyste naturel » !!!!

En 1954, les accords de Genève, qui mettent fin à la « guerre d‘Indochine » voient les représentant de l’Union Soviétique et de la Chine communiste faire pression sur le Viet Minh pour qu’il accepte des conditions beaucoup moins avantageuse que leur victoire de Dien Bien Phu pouvait laisser espérer. La scission du Viet Nam en deux et l’instauration d’un régime militaire au sud allait entraîner la deuxième guerre dite du Viet Nam qui allait couter la vie à 2 ou 3 millions de vietnamiens.

Pour la petite histoire, je me rappelle du congrès de mon syndicat , le SNTRS CGT à Seynod ou un représentant du Viet Cong devait intervenir. Avec d’autres délégués trotskistes, nous sommes restés assis pendant l’ovation en nous disant « assassin de Ta Thu Thâu... ».

Plusieurs pistes de réflexions : d’abord, le trotskysme n’était pas condamné à être marginal, ensuite, le fait que le bureau international de la quatrième n’a jamais cherché à contacter la section indochinoise, qui a été laissé isolée au point de vue international. Coincée entre la répression coloniale et la répression stalinienne elle avait vraiment besoin d’aide. A ce sujet, il a manqué aux trotskystes une organisation militaire pour passer « de l’arme de la critique à la critique des armes » pour paraphraser Marx. Or il est évident que la section indochinoise n’a même pas entendu parler de la « politique militaire prolétarienne » que prônait Léon Trotsky en 1940, peu de temps avant son assassinat et que le bureau international allait « enterrer » (mis à part les textes de van Heijenoort).

D’ailleurs, la suite allait être édifiante : la direction pabliste allait se mettre entièrement aux basques du Viet Minh, puis du Viet Cong lors de la guerre contre l’intervention américaine. A noter le travail qu’à mené Raoul auprès des travailleurs vietnamiens en France…

Pierre Saccoman

A lire absolument : les Cahiers Léon Trotsky n° 40 et 46 sur les révolutionnaires d’Indochine, le n° 56 sur Raoul : page 34 : Raoul et ses viets….


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