Pouvoir d’achat et CSG : ces retraités qui s’estiment « trahis par la nation »

mercredi 26 décembre 2018.
 

Le gouvernement multiplie les gestes financiers pour tenter de faire retomber la colère contre les mesures qui frappent les pensions.

Le tout premier e-mail, Jean-Luc l’a envoyé à son député le 28 février. Ce retraité de 62 ans, qui vit dans le Calvados, y expliquait d’un ton grinçant que la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) de 1,7 % sur les pensions instaurée au 1er janvier représentait ni plus ni moins qu’un « racket ».

Sa femme et lui, soulignait-il, anciens employés de la Sécurité sociale, 40 000 euros de revenus annuels à deux, ont vu leur pouvoir d’achat « amputé d’environ 800 euros » par an. Quand, au bout d’un mois, l’assistante du député La République en marche (LRM) lui a demandé son adresse postale, il l’a communiquée dans l’heure, doublée d’un mail encore plus énervé. Depuis, à sa grande déception, plus de nouvelles.

La décision du gouvernement d’augmenter la CSG sur les pensions des retraités pour compenser la suppression des cotisations chômage et maladie pour les salariés du privé l’a « heurté ». « Extrêmement, explique-t-il aujourd’hui d’un ton indigné. La solidarité générationnelle, je n’ai pas attendu pour la faire en aidant nos enfants en galère. J’ai participé à la construction de ce pays, je n’ai jamais volé mon salaire, jamais touché d’Assedic. Quand on travaillait, on payait la retraite de nos aînés. Et maintenant, on va payer pour les actifs ? C’est la double peine en fait ! »

« Je coûte un pognon de dingue »

Selon Bercy, la mesure toucherait 60 % des retraités, soit 7,5 millions de personnes. Et comme Jean-Luc, ils sont nombreux à s’être émus auprès de leur député de se voir « amputés » d’une part de ce qui leur était dû, poussant trente-neuf députés LRM à demander au gouvernement d’étendre le nombre de Français exonérés, dans un courrier révélé lundi 1er octobre. « Chaque jour, nous rencontrons dans nos permanences des retraités pour qui cette augmentation crée un creusement des inégalités. (…) Cette mesure est injuste socialement », écrivent les députés signataires. Mercredi 3 octobre, à l’appel de neuf organisations syndicales, une délégation de retraités devait encore aller manifester devant l’Assemblée nationale, espérant être reçue par Gilles Le Gendre, le président du groupe LRM.

Parmi les retraités interrogés par Le Monde, au-delà des attaques au porte-monnaie, c’est d’abord le message même qui a choqué. Les mots sont souvent forts, empreints d’émotion : « Je me sens humiliée », dit l’une, « spolié », dit un autre.

Ancien professeur d’histoire en Seine-Saint-Denis, Jean-Claude, 70 ans, se sent « trahi par la nation ». « Toute ma vie j’ai défendu les valeurs de la République, et maintenant j’ai juste l’impression que je coûte un pognon de dingue !, confie-t-il, offensé. Le pacte est rompu ! »

Baisse des pensions, hausse de tout le reste

Mais la colère est encore montée d’un cran après l’annonce, fin août, que les pensions de retraites n’augmenteront plus autant que l’inflation en 2019 et en 2020. « Ça m’a donné un coup de sang ! », raconte Patrick, 63 ans, qui rappelle que retraité ne rime pas qu’avec « grand-parent ». Avec 1 560 euros de pension par mois, soit 40 euros de moins qu’avant la hausse de la CSG, ce père a toujours à charge sa fille de 20 ans.

Veuf, il ne touche pas de pension de réversion, mais paye, en revanche, des impôts sur la pension d’orpheline de sa cadette. « J’ai toujours été un peu fourmi, car je savais que je n’étais pas large, raconte-t-il. Je me suis privé toute ma vie, et là je vais devoir continuer. Faut pas être misérabiliste non plus, mais c’est pas simple. » D’autant que ces retraités soulignent l’augmentation parallèle de plusieurs de leurs dépenses.

Tandis que sa retraite de 1 675 euros a perdu 30 euros par mois depuis le 1er janvier, Martine, 61 ans, a vu le loyer de son appartement de Cachan (Val-de-Marne) augmenter de 12 euros. « Heureusement que je me chauffe peu ! » Contrairement à Jean-Luc, dont le gaz de chauffage est concerné, depuis avril, par la taxe sur la consommation des produits énergétiques.

Dans le Cantal, Alain et sa femme observent, eux, avec inquiétude augmenter le prix de l’essence. « A la campagne, on doit tout faire en voiture, précise cet ancien ingénieur dans le ferroviaire. La première supérette est à douze kilomètres, si vous y allez deux fois par semaine, ça chiffre. » Il a fait ses comptes : la suppression progressive de la taxe d’habitation, annoncée par le gouvernement comme une mesure compensatoire, ne suffira pas. « Cette année, c’est 111 euros d’économies. Or, on a perdu 624 euros rien qu’en CSG ! » Même son épouse a perdu 7 euros par mois sur les 397 euros de sa petite retraite, car c’est le foyer fiscal qui est pris en compte dans le calcul. Et la mesure correctrice annoncée mi-septembre par le gouvernement pour exonérer 300 000 retraités supplémentaires n’y changera rien. « Tant qu’ils prennent en compte le foyer fiscal, on est sûr de ne pas y avoir droit ! »

« Décroissant forcé ! »

Alors, beaucoup taillent dans les dépenses. A Ostwald (Bas-Rhin), près de Strasbourg, Serge, 70 ans, et une liste infinie de métiers exercés, a renégocié ses assurances, trouvé un abonnement téléphonique moins cher, s’est désabonné des Dernières Nouvelles d’Alsace. Soit près de 1 000 euros annuels d’économies qui compensent les 800 euros de CSG. Au passage, il a écrit à la députée (LRM) des Yvelines, Aurore Bergé, après qu’elle a estimé que l’on pouvait « légitimement demander un effort générationnel » aux retraités. « J’étais prêt à lui envoyer toute ma paperasse ! Elle sait pas ce que c’est d’avoir bossé toute sa vie comme ça ! »

Jean-Luc, à Caen, est devenu « décroissant forcé ! » Il passe son temps sur Internet à traquer les bonnes affaires : « Pour réparer ma chaudière, j’ai trouvé la pièce à 30 euros au lieu de 110. Grâce à un tutoriel, je l’ai posée moi-même. Mais c’est là qu’on voit que leur idée est contre-productive : je ne fais pas vivre un professionnel, je ne reverse pas de TVA. »

Persifleur, il a même fait état de cette démarche dans son e-mail à son député. « Quand on est retraité, on ne peut pas faire grand-chose pour exprimer sa colère, on ne va pas se mettre en grève ! » Martine trouve aussi qu’ils sont une « proie facile » « quand, dans le même temps, il y a 100 milliards d’euros de fraude fiscale ! »

Si Alain et sa femme, qui d’habitude n’y vont « jamais », iront manifester, lors des journées de mobilisation comme celles des 3 et 9 octobre, Jean-Luc et Martine n’y croient plus guère. Tous comptent davantage sur les prochaines élections pour dire leur colère à Emmanuel Macron : « Il nous a vus une fois, il nous verra pas deux », prévient Alain.

Aline Leclerc


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