Éric Coquerel : «  Les gilets jaunes incarnent la résistance au libéralisme  »

jeudi 31 janvier 2019.
 

Pour le député insoumis Éric Coquerel, la force du mouvement tient à «  l’intelligence collective  » née sur les ronds-points, que le grand débat de Macron ne suffira pas à contenter.

Faire retomber la colère à tout prix pour ne pas tout perdre. C’est l’objectif du « grand débat national », lancé par Emmanuel Macron mardi 15 janvier. Mais cette consultation a déjà du plomb dans l’aile. Questions fermées, refus de débattre de la répartition des richesses, de l’impôt sur les sociétés… Seuls 29 % des Français ont l’intention d’y prendre part. Rien d’étonnant, estime Éric Coquerel, qui qualifie ce débat d’inutile. Le député La France insoumise de Seine-Saint-Denis ne le croit d’ailleurs pas en mesure d’éteindre le mouvement des gilets jaunes, en dépit des violences (de la part des manifestants comme des policiers) qui émaillent les rassemblements.

Quelle analyse faites-vous du regain de la mobilisation des gilets jaunes (1), en dépit des annonces du gouvernement et du lancement du « grand débat national » ?

Éric Coquerel : Je n’ai pas été surpris. De ce que j’ai pu entendre, à Paris ou en régions, la mobilisation est restée très forte sur les ronds-points. Deux raisons expliquent cette tendance. La première est que la colère des gilets jaunes n’a pas disparu. Pire, les réponses biaisées du gouvernement ou même l’absence de réponses l’ont alimentée. L’autre raison est que ce mouvement a permis de recréer un lien social. Tout comme des grévistes qui occupent une usine, les gilets jaunes ont leurs revendications. Mais à cet objectif premier s’ajoutent des mécanismes de solidarité, de discussion et de dialogue qui donnent envie aux personnes de continuer.

Dans un monde où l’on renvoie chacun à son individualité, ce sont des moments d’intelligence collective, d’émancipation et de convivialité. D’autant que ce mouvement n’est pas une mobilisation sociale comme les autres. En termes quantitatifs, tout d’abord, mais aussi en raison de ce qu’il incarne. La mobilisation est constante et se radicalise.

Le mouvement des gilets jaunes est parti d’une opposition à l’augmentation de la taxe carbone et, au fur et à mesure, il a étendu son champ aux questions du partage des richesses, des privilèges et de l’injustice sociale. En clair, il est devenu de plus en plus progressiste. Ce n’est pas seulement en raison de l’influence des militants et des sympathisants de La France insoumise qui y participent depuis le début, c’est grâce à cette intelligence collective dont je parlais. C’est pour cela que, dès le départ, il fallait définir ce mouvement par son contenu et surtout pas par sa composition. Regarder où il va et non pas d’où il part. Je le classe au rang de grands événements comme Mai 68 – même s’ils sont très différents. Ce sont des mouvements que l’on a rarement l’occasion de connaître dans une vie. Sans présager qu’il mènera à une révolution, force est de constater qu’il s’agit d’une situation révolutionnaire.

Le mouvement a été marqué par des scènes de violences importantes… Votre soutien est-il compatible avec ces actes ?

Je ne connais pas un mouvement de ce type qui n’ait eu sa part de violence. Aujourd’hui, tout le monde célèbre Mai 68 ; pourtant, les manifestants d’alors n’ont pas fait dans la dentelle ! On ne peut pas aimer les moments révolutionnaires seulement lorsqu’ils sont montrés dans une exposition ou figés sur des photos en noir et blanc. Il faut être cohérent. Je veux bien que l’on parle de la violence des manifestants, mais il faut aussi évoquer celle du gouvernement. Il y a une escalade de la violence, dans sa dramatisation notamment. Des phrases comme celles qu’a pu prononcer Luc Ferry (2) sont révélatrices.

Dès la deuxième manifestation, le gouvernement a envoyé les blindés dans la rue. Un choix a été fait : celui de la répression, de l’intimidation et de la calomnie. En utilisant un vocabulaire guerrier, le gouvernement entretient ce climat et les violences afférentes. Benjamin Griveaux (3) parle même d’« esprit munichois », comme s’il avait affaire à un ennemi proche du nazisme !

Dans ces circonstances, les policiers sont plus enclins à se livrer à des actes violents. Nous en sommes à plus de 2 000 blessés, dont presque 100 grièvement, et 11 morts. Même s’ils ne sont pas tous imputables à la répression, ils sont dus à ce climat, à l’utilisation d’armes qui ne sont pas autorisées ailleurs en Europe, comme les grenades de désencerclement et les LBD (4). Et nous avons un gouvernement qui explique qu’il n’y a pas de violences policières ! Ça renforce l’idée, qui est celle d’une partie des policiers, qu’ils peuvent tout se permettre. Il y a longtemps que les habitants des quartiers populaires le subissent. Je sais pourtant que beaucoup de fonctionnaires de police n’apprécient pas ce rôle qu’on leur fait jouer.


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